Archivée - Étude sur les indiens contemporains du Canada : Besoins et mesures d'ordre économique, politique et éducatif – deuxième partie (Le rapport Hawthorn, octobre 1967) page 2 sur 2
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Étude sur les indiens contemporains du Canada : Besoins et mesures d'ordre économique, politique et éducatif – deuxième partie
auteur : (Direction des affaires indiennes)
date : (octobre 1967)
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Chapitre V - Une philosophie de l'éducation des indiens: énoncé de quelques principes directeurs
Toute politique scolaire doit être centrée sur un certain nombre d'objectifs. Afin d'être en mesure d'énoncer les principes directeurs qui orienteront les grandes politiques scolaires du gouvernement vis-à-vis les collectivités indiennes du Canada, il est nécessaire d'examiner trois types de situations:
- La crise de conscience des collectivités indiennes du Canada;
- Les faibles niveaux de scolarité de la population d'ascendance indienne;
- Les données modernes de la pédagogie et le renouveau scolaire.
L'analyse de ces trois éléments nous permettra d'énoncer quelques principes théoriques devant servir à l'élaboration d'une stratégie de la scolarisation des Indiens. Cette stratégie, d'ailleurs, ne peut pas se dissocier des expériences scolaires concrètes tentées depuis plus d'un quart de siècle par le gouvernement central. Les résultats de ces efforts furent examinés dans un chapitre antérieur. C'est à la lumière de ces résultats et des analyses socioculturelles que nous conduirons ici que nous pourrons énoncer les principes qui serviront de normes dans l'élaboration d'une politique scolaire globale valable pour les prochaines années.
1. La crise de l'identité ethnique chez les Indiens
Il n'est point nécessaire de visiter plusieurs réserves indiennes pour être immédiatement frappé par la crise de conscience des communautés indiennes. Cette crise majeure se manifeste à la fois dans l'identification ethnique ambiguë et dans des conditions de vie défavorisées dans la mesure où ces dernières se reflètent dans tout un éventail de critères tels que l'emploi, le niveau de vie, l'organisation sociale et les relations inter culturelles avec les Blancs.
Affirmons au point de départ qu'il existe une multitude de traditions culturelles indigènes au Canada qui ont été plus ou moins transformées sous l'impact des contacts de civilisation, de l'avancement technique et des communications de masse.
II ne s'agit point ici de mesurer l'étendue et l'intensité de ces changements culturels sur les réserves indiennes ou encore de classifier les groupes indigènes selon leurs niveaux d'acculturation. Il s'agit pour nous d'établir quelques principes généraux qui nuanceront nos affirmations ultérieures. Il existe, d'une part, des différences substantielles entre les diverses tribus du Canada par rapport à la force de l'identité ethnique. En général, les tribus dont les bases économiques sont les plus solides et dont la viabilité économique est assurée sont aussi celles qui s'identifient avec le plus de vigueur à leur passé et à leurs traditions. De plus, à l'intérieur des tribus elles-mêmes les groupes ne sont pas homogènes. Les vieux, en général, ont un intérêt plus grand dans les choses du passé que les jeunes. Un très grand nombre de jeunes, en effet, prêtent peu d'attention aux leçons du passé que leurs aînés leur proposent. Dans certains cas même les jeunes rejettent ouvertement les coutumes traditionnelles et expriment leur admiration pour tout ce qui n'est pas Indien.
Ceci étant dit, on peut affirmer que le désir de conserver l'identité ethnique indienne persiste autant dans les communautés encore peu touchées par la civilisation moderne que dans celles où les divers éléments de la société technique commencent à s'implanter. Si le désir de s'identifier à l'une ou l'autre des civilisations autochtones et de demeurer Indien est encore très fort, les éléments constitutifs de cette identité sont souvent peu précis et parfois même contradictoires. Ceci revient à dire que les modèles de conduite proposés sont mal définis et incorporent des éléments traditionnels qui voisinent des éléments étrangers incompatibles. On rappellera le courage et la force morale des ancêtres, on racontera maints exploits pour démontrer leur bravoure, leur dextérité, leur ingéniosité, voire même, leur intelligence exceptionnelles. On se souviendra aussi, bien sûr, des coutumes et des institutions ancestrales. Si on met de côté cette conception du passé, en tant qu'elle se reflète par les traits de caractère des ascendants et par les cérémonies et les coutumes d'autrefois (un autrefois plus ou moins lointain) les groupes ont habituellement vite épuisé la liste de ce qui constitue leurs traits distinctifs. Mais le passé lointain est conçu comme "l'âge d'or" des diverses civilisations indiennes tandis que le présent est jugé, par les Indiens, comme étant un temps de crise, une période de décadence.
Un deuxième aspect de l'image de soi des collectivités indiennes est lié à leur statut d'infériorité et de dépendance vis-à-vis les Blancs. Sans être un peuple vaincu ou conquis, ils sont sous la dépendance juridique et psychologique des Blancs, en tant qu'individus et en tant que collectivités, ils ont longtemps été considérés, par quelques-uns des Blancs qui veillaient sur leur bien-être, comme des êtres inférieurs incapables de décider pour eux-mêmes ce qui était bon ou bien pour eux. Ces conceptions erronées ont été le fondement d'une politique paternaliste du gouvernement central qui a diminué graduellement chez l'Indien la fierté nationale, le sens de l'initiative et la prévision à long terme. Ce sont là, bien entendu, quelques- unes des répercussions des politiques administratives du gouvernement central qui ont visé à enfermer l'Indien dans un univers culturel restreint, si restreint même, que l'Indien en est venu à se mépriser lui-même et à se considérer comme inférieur non seulement sur le plan des chances de vie (conditions économiques, scolaires et juridiques) mais aussi sur celui de son origine ethnique.
Les Indiens blâment les Blancs pour leur "déchéance" psychologique et sociale. A leur point de vue, les Blancs les ont dépossédés et les ont exploités sans jamais les faire bénéficier pleinement des fruits de leur richesse. Ils ont consenti à donner de l'argent aux Indiens afin d'avoir bonne conscience et de croire qu'ils avaient satisfait à leurs obligations. En fait, les Indiens croient que les Blancs se sont emparés de leurs propres richesses et qu'ils n'ont jamais été dédommagés pour cette dépossession calculée. Si les Indiens ne sont plus capables de vivre comme leurs ancêtres, disent-ils, c'est que les Blancs les ont placés dans des conditions telles (les réserves) que la perpétuation des coutumes indigènes devenait fort difficile. Les Blancs se sentent toujours obligés de verser de l'argent aux Indiens, mais ce sont là de bien faibles compensations. l'Indien comprend mal que le Blanc ne veuille point lui donner encore davantage et refuse de lui procurer des services additionnels à même ses propres ressources. Pour l'Indien, ce sont là autant de prérogatives discriminatoires qui visent à maintenir la supériorité et la suprématie du Blanc.
Pourtant le Blanc est pour l'indien un modèle. Il est logé confortablement, il mange en abondance régulièrement, il s'habille convenablement, il peut s'acheter une automobile et voyager, il est capable de s'approprier un certain nombre de possessions matérielles qui lui apportent facilité et confort, il peut, surtout, améliorer son sort et nourrir des projets pour ses enfants.
Voilà, en gros, la double polarité de l'identification indienne. Dans l'élaboration de l'image qu'il se fait de lui-même l'Indien introduit, pêle-mêle, des éléments provenant de ces deux traditions hétérogènes. Par suite de cette situation conflictuelle, il n'est donc pas étonnant que l'image de soi soit ambigue. Idéalement et idéologiquement parlant, il veut préserver un nombre de traditions de ses ancêtres car elles seules peuvent servir de tremplin et nourrir une évolution bénéfique de la communauté dans le sens d'un devenir propre. Mais, d'autre part, plusieurs de ces traditions sont déjà perdues ou transformées et les réalités de la vie quotidienne le placent constamment en présence de valeurs et d'attitudes de la vie moderne qui le forcent sinon à renier le passé tout au moins à le contester comme élément d'inspiration. Il se sent constamment projeté d'un pôle à l'autre selon qu'il entretient des relations sociales avec ceux de sa propre ethnie ou qu'il entre en contact avec les Blancs.
Voici notre intuition. Le passé, plus ou moins mythique, du groupe constitue également un pôle de revendication et un pôle d'identification. On se sert du passé pour rappeler aux Blancs leurs obligations vis-à-vis les populations indiennes. Car l'Indien avoue qu'il peut difficilement abandonner ses nouvelles habitudes de vie et retourner en arrière; même dans les endroits les plus isolés, les modes traditionnels de subsistance sont de plus en plus abandonnés. Au surplus, on observe un pluralisme idéologique, une grande diversité de points de vue dans la définition des objectifs "indiens" pour l'ensemble des collectivités. Plusieurs leaders et associations nourrissent des ambitions nationales. Jusqu'à maintenant aucun chef de file, aucune organisation a été capable de se définir en termes acceptables à l'ensemble des groupes ou à créer l'unanimité au sujet des objectifs à poursuivre. Même à l'intérieur d'une tribu ou d'une réserve, les fonctions de direction sont souvent assumées par des factions rivales qui partagent des vues différentes sur l'ensemble des questions qui concernent la communauté. Tenant compte de ces constatations, il est bien évident que la vigueur de l'identité ethnique (telle qu'elle s'exprime dans le sentiment d'appartenance au groupe d'origine) de même que les attitudes vis-à-vis la culture dominante (en tant que pôle d'attraction et de prestige) vont varier d'un individu à l'autre en fonction d'une multitude de facteurs institutionnels et personnels. Cette crise de conscience est lourde de conséquences pour les orientations culturelles des individus et des groupes auxquels ils appartiennent. Les Indiens vont soit se redéfinir en fonction d'aspirations nationales partagées ou ils vont laisser ces divisions internes s'ajouter aux ambivalences créées par les contacts inter culturels avec les Blancs. Dans le premier cas, il s'agirait d'un renouveau indien tandis que dans le second, nous assisterions à une désagrégation graduelle des structures traditionnelles et une assimilation des individus à plus ou moins brève échéance. Remarquons toutefois que l'intégration des individus aux mêmes objectifs est une condition nécessaire mais insuffisante à la survie des diverses traditions indigènes. Plusieurs autres facteurs doivent s'ajouter à ces conditions préalables, à savoir: un rehaussement des conditions de vie et des niveaux de bien-être et de santé; une scolarisation plus élevée et une meilleure préparation technique; une organisation sociale rajeunie et l'apparition d'élites vigoureuses et éclairées; bref, c'est tout un climat socio-culturel qu'il s'agit de restaurer, c'est un ensemble d'inégalités économiques et sociales qu'il s'agit de faire disparaître. Ces dernières considérations nous invitent à discuter très brièvement des conditions de vie sur les réserves ainsi que des niveaux de scolarisation de la population.
2. Les inégalités économiques et sociale des réserves en regard du reste du pays
A. La culture au sein de la réserve
La première partie de notre rapport démontre clairement les différences substantielles qui existent entre les conditions de vie sur les réserves et les conditions de vie au sein de la société majoritaire. Par conditions de vie dans les réserves, nous entendons des facteurs tels que le milieu géographique, la grandeur de la famille et sa situation financière, la satisfaction des besoins traditionnels et nouveaux de l'ensemble des membres, le travail du chef, la scolarisation des enfants, le niveau de satisfaction des individus, leur bien-être et leur santé. Comme premier principe, on peut affirmer que la plupart des réserves indiennes, telles qu'elles sont constituées présentement, n'offrent pas aux individus qui y vivent l'ensemble des ressources matérielles, psychologiques et culturelles nécessaires à la survie du groupe en tant que tel. En d'autres termes, plusieurs réserves n'offrent pas à leurs résidants l'ensemble des conditions préalables à l'autosuffisance. Pour autant, elles ne sont pas viables en tant qu'unités socioculturelles, il faut qu'elles soient constamment réanimées de l'extérieur, artificiellement cela va de soi pour subsister. Dans le cas de réserves bien constituées, ces apports externes sont presque négligeables mais dans la plupart des situations, les apports externes sont si nombreux et importants qu'ils compromettent les dynamismes internes de réajustement et les chances de reprise en charge. s'il fallait soudainement réduire substantiellement ou arrêter cette aide extérieure, nous susciterions, à coup sûr, la disparition rapide de plusieurs de ces unités socio-culturelles. Nous savons qu'une telle éventualité est impensable dans la conjoncture actuelle. Bien au contraire, pour plusieurs années encore à tout le moins, ces apports extérieurs, financiers, en services professionnels et en biens de consommation vont aller en s'accroissant. Cette augmentation des services extérieurs (y compris l'orientation et le contrôle des activités sur les réserves) sera rendue nécessaire pour deux raisons: (a) une dépendance de plus en plus grande sur l'extérieur pour la subsistance économique; et (b) mie élévation constante du niveau des besoins sous la double influence des contacts inter culturels et des communications de masse.
(a) Une dépendance de plus en plus grande sur l'extérieur pour la subsistanceéconomique
Il y a cinquante ans, la plupart des réserves étaient en mesure de pourvoir à l'ensemble des besoins économiques de leurs membres par l'utilisation des techniques traditionnelles de subsistance. Aujourd'hui, les territoires de chasse sont plus restreints et les chasseurs sont de moins en moins nombreux. La chasse est en train de devenir une activité symbolique ou même sportive, un peu de la même manière que le citadin d'origine rurale retournera à la campagne pour se revaloriser lui-même en communiant à un passé rural idéalisé. Il y a là, il nous semble, une parenté rituelle profonde. Ces besoins seraient d'autant plus forts chez l'Indien qu'il ne s'est pas encore intégré à la société technique et qu'il en a plutôt subi tous les contrecoups.
La très grande majorité des réserves absorbent une proportion plutôt faible de leur main- d'oeuvre active: cela est dû au sous-développement économique des réserves et à leur piètre ajustement à une économie de marché. Ceci veut dire que la très grande majorité des travailleurs doivent se trouver un emploi à l'extérieur ou chômer durant la majeure partie de l'année. Comme très peu possèdent les qualifications techniques et professionnelles (lui leur permettraient de trouver un emploi rémunérateur et stable, ils sont presque tous condamnés au chômage chronique et aux travaux manuels irréguliers que peut offrir la réserve ou qu'ils trouvent dans le milieu environnant. Le sous-emploi généralisé, de même qu'un niveau de vie plutôt bas placent les Indiens vivant sur les réserves dans un état permanent de pauvreté et d'indigence. Les nombreuses mesures de sécurité sociale et les nombreuses formules de compensation venant du gouvernement fédéral et des divers gouvernements provinciaux (dans certaines provinces, les services de bien-être aux Indiens sont du ressort provincial) ne font qu'atténuer l'ensemble des privations financières des familles. II faudrait une assistance financière plus substantielle encore pour satisfaire à l'ensemble des besoins réels des Indiens. l'existence de processus de désintégration sociale dans les milieux où la pauvreté sévit (celle-ci est alors considérée comme un facteur dominant dans l'ensemble des conditions qui suscitent la désintégration du milieu) est trop bien connue dans la littérature sociologique pour en faire l'examen ici. qu'il suffise de rappeler que non seulement les réserves n'échappent pas à cette tendance: elles semblent la subir plus encore que la plupart des autres types de communautés économiquement défavorisées. Les répercussions indésirables de la pauvreté semblent être plus intenses encore puisque les collectivités indiennes sont pour la plupart des unités artificiellement constituées et ne disposent pas habituellement des freins structuraux que l'on retrouve dans les communautés naturelles. La pauvreté économique n'engendre pas seulement des privations matérielles chez les familles et des phénomènes de désintégration sociale, elle accroît encore la dépendance de l'Indien sur le Blanc (le gouvernement) et accentue son sentiment d'infériorité. Il se sent de moins en moins un citoyen à parts entières. De par son statut ethnique, il est comme condamné automatiquement à un état économique inférieur. l'injustice lui apparaît comme étant d'autant plus grave qu'il désire sensiblement les mêmes privilèges, les mêmes biens et les mêmes services que le Blanc.
(b) Une élévation constante des niveaux des besoins sur les réserves
Au fur et à mesure que les Indiens connaissent davantage les modes de vie des Blancs à la suite des voyages et des contacts avec les Blancs sur la réserve et par la médiation des divers moyens d'information, ils aspirent eux aussi à être mieux logés, à mieux manger et surtout à s'habiller selon le standard en cours chez les Blancs. Mais ils désirent également certains biens nouveaux synonymes de prestige, tels que l'ameublement moderne et l'automobile. Cette élévation des besoins telle qu'elle se traduit par une volonté de jouir des mêmes possessions matérielles et mêmes symboles de richesses que les Blancs ne fait qu'accentuer l'indigence des Indiens. En effet, plus l'écart entre le niveau des besoins et les possibilités financières concrètes de les combler est grand. plus grandes sont les frustrations et les privations senties par les Indiens.
Si la situation économique des réserves demeure stationnaire (si elle se détériorait. les conséquences seraient encore plus graves) il est à prévoir que les revendications des Indiens pour un accroissement dans leur niveau de bien-être vont devenir de plus en plus fortes et de plus en plus contraignantes. Celles-ci s'exprimeront avec beaucoup d'assurance puisque, dans l'opinion indienne, elles veulent corriger une injustice qui irait en s'accentuant. A toutes fins pratiques. l'administration centrale dépenserait des sommes de plus en plus grandes pour réduire l'écart entre le niveau des besoins sentis et le niveau des besoins satisfaits (le niveau de vie).
Si l'hypothèse que l'intégration des Indiens à la société canadienne plus large continuera de s'accroître en atteignant des populations de plus en plus nombreuses est vraie, on serait justifié de conclure que le niveau des besoins va s'accroître d'une façon parallèle et que les argents nécessaires pour combler les différences seront proportionnellement plus élevés. Cette hypothèse postule que la conjoncture économique demeurerait sensiblement la même. Or on sait que le gouvernement central et quelques autres gouvernements provinciaux font actuellement à divers endroits des expériences de redressement économique et de planification de l'économie. Les résultats de ces diverses expérimentations seront connus d'ici quelques années. Même dans l'hypothèse la plus optimiste, ces programmes ne toucheront que quelques réserves. Les succès économiques ainsi obtenus sur une échelle réduite ne sauraient alléger qu'une fraction de l'ensemble des pressions économiques nouvelles auxquelles nous avons fait allusion plus haut.
Deux autres considérations s'ajoutent aux précédentes pour renforcir l'hypothèse de charges financières plus lourdes de la part des gouvernements. La première réfère à l'explosion démographique des réserves. Au rythme de croissance actuelle (3.04 en 1965). la population indienne du Canada vivant sur les réserves doublerait d'ici vingt ans à peu près à la condition que les politiques juridiques et administratives demeurent sensiblement les mêmes. Ce simple accroissement naturel des populations sur les réserves nécessitera des dépenses additionnelles à chaque année.
L'autre remarque nous apparaît plus subtile: les conséquences de la pauvreté et de l'indigence vont se refléter à tous les niveaux de la structure sociale et comportent des coûts masqués. Ces frais aussi vont s'accroître si les communautés ne peuvent pas reconquérir une certaine auto-suffisance sur le plan économique.
Les diverses observations effectuées jusqu'à ce jour convergent: elles documentent quelques aspects de la crise de la civilisation indienne. Cette crise ne s'exprime pas d'une manière uniforme. Certaines réserves, qui se suffisent presque à elles-mêmes, ressentent elles aussi les pressions des Blancs; mais elles sont capables de les atténuer en s'appuyant sur des éléments positifs dans la communauté. d'autres réserves, au contraire, sont entièrement dépendantes de l'État et ont perdu presqu'entièrement toute initiative. Les conflits "intergénérationnels" (naissant entre parents et enfants au sujet de la vision du monde et des valeurs les plus fondamentales dans la vie; entre les élites traditionnelles et les jeunes élites acculturées; entre les vieux ménages et les jeunes ménages; entre les analphabètes et ceux qui ont reçu de l'instruction; entre ceux qui s'accrochent désespérément aux traditions anciennes et ceux qui veulent inventer au jour le jour les modes d'adaptation axés sur les conditions changeantes du milieu) sont le résultat d'idéologies opposées et concurrentes. ils reflètent l'état de crise dans lequel se trouvent les Indiens qui vivent sur les diverses réserves du Canada.
Cet état de crise ne nous apparaît pas comme étant transitoire. La question fondamentale sur l'avenir des collectivités indiennes est la suivante: comment faire de l'Indien un citoyen à part entière au Canada, tenant compte de ses identifications profondes, de ses affinités ethniques et de ses aspirations les plus fondamentales'~ l'Indien est actuellement dans une situation de conflits, il est incapable, par lui-même, de les résoudre et d'effectuer des choix définitifs. Nous devons le préparer à effectuer ses choix en le renseignant sur le contenu et la signification des processus en cours. Cesseront-ils d'être des Indiens pour tout cela? Nous ne le croyons pas. Bien au contraire, en se libérant des contraintes qu'imposent la pauvreté et la marginalité culturelle, les Indiens retrouveront leur fierté et leur dignité, conditions essentielles à leur épanouissement et à leur progrès.
B. La faible scolarité des populations indiennes
Avant de traiter des objectifs scolaires proprement dits, nous voudrions: (a) énoncer quelques postulats au sujet du droit des Indiens à l'instruction, (b) définir la position défavorable dans laquelle ils ont toujours été jusqu'à aujourd'hui par rapport à l'instruction formelle, et (c) chercher à concilier l'opposition apparente entre une scolarisation formelle poussée et la perte graduelle de la conscience nationale et de l'identité ethnique.
(a) L 'instruction est un besoin nouveau
Lorsqu'on examine l'évolution des sociétés techniques, on remarque que leurs membres accordent de plus en plus d'importance aux besoins nouveaux par opposition aux besoins traditionnels. Les besoins nouveaux sont ceux de l'automobile, du mobilier moderne et des appareils ménagers, des loisirs commercialisés, de la sécurité contre l'ensemble des risques et finalement celui de l'instruction. Chacun de ces besoins nouveaux n'est pas simplement vu comme une nécessité (dont on doive bénéficier dans un avenir prochain pour être heureux et pour être un membre de plein droit de son groupe) mais vu comme un droit. Par rapport au besoin d'instruction, en particulier, les Indiens ne sont pas différents des autres Canadiens. Eux aussi considèrent que l'instruction est une nécessité pour réussir dans la vie (nous soulignerons l'ambiguïté du concept de "réussite" plus loin) et un droit. Ceci veut dire que les Indiens doivent être traités sur le même pied que les Blancs, qu'ils doivent être en mesure de recevoir l'instruction la plus poussée (niveau de scolarisation) et la plus appropriée (niveau de spécialisation) possible, en fonction de leurs goûts et de leurs talents. c'est là un principe dont l'application peut être rendue difficile par les conditions écologiques de l'habitat indigène (isolement géographique, difficultés de transport, faible densité démographique, nomadisme annuel et rigueur du climat) ou encore par les conditions administratives particulières inhérentes à l'application d'un programme scolaire dans ces milieux. Ce sont là des aspects qui ont été examinés à l'occasion de l'analyse des structures administratives et pédagogiques des écoles indiennes. Mais ce droit que les Indiens possèdent de se faire instruire signifie aussi qu'ils doivent participer de plus en plus à l'organisation (en tant que membre d'un comité d'études ou en tant que commissaires d'école), à l'administration (en tant que maître ou en tant qu'administrateur d'école) et à la planification des programmes scolaires. Finalement ce droit à l'instruction implique que les programmes scolaires appliqués aux Indiens doivent leur permettre de progresser et d'évoluer dans le sens d'un devenir propre.
L'opinion des Indiens sur la question du droit à l'instruction est unanime. d'ailleurs la très grande majorité des Indiens, comme nous l'avons vu, considèrent l'instruction comme une nécessité pour s'adapter aux conditions et exigences de la vie moderne. l'instruction est un besoin si fortement ressenti par les Indiens qu'ils considèrent que le gouvernement central et les gouvernements provinciaux ont des obligations considérables vis-à-vis d'eux. Ce sont là, bien sûr, des attitudes générales explicites que l'on observe lorsqu'on interroge les Indiens sur le principe même de la scolarisation. Mais on observe également une certaine ambiguïté, voire même une certaine hostilité voilée lesquelles constituent des attitudes implicites de mécontentement et de malaise. Les aînés, les chefs de file et les parents reconnaissent que leurs enfants et leurs petits-enfants seront incapables de vivre de la même manière qu'eux, qu'ils doivent subir un apprentissage spécial pour s'adapter à la société technique et faire oeuvre utile, ils sentent aussi que soustraire leurs enfants aux programmes actuels de scolarisation serait les condamner à vivre dans un état perpétuel d'infériorité et de dépendance. Mais l'éducation de leurs enfants est une entreprise dirigée par des étrangers et orientée en fonction de la vie dans la société des Blancs. Voilà les composantes de l'attitude ambiguë des Indiens vis-à-vis l'instruction de leurs enfants.
L'opposition indienne à la scolarisation se situe donc surtout au niveau des grands objectifs poursuivis et à celui des techniques utilisées pour les réaliser le plus adéquatement possible. Dit autrement la conception indigène de l'instruction ne correspond pas à l'idéologie gouvernementale et à celle des innovateurs. Par voie de conséquence, les services offerts ne correspondent pas tout à fait aux besoins sentis, parfois, aux besoins exprimés. Les Indiens ne croient pas trouver à l'école (ou ne trouvent pas effectivement) les divers éléments-structures et programmes-qui leur permettraient de se réaliser eux-mêmes selon leur conception propre. Cette inadéquation entre la conception indienne de l'instruction et la conception gouvernementale nous permet de comprendre quelques-unes des craintes et des oppositions des communautés indiennes.
L'absence de correspondance entre les besoins sentis de la population indienne et les intentions du gouvernement n'est pas l'unique facteur qui justifie les succès partiels obtenus depuis un quart de siècle dans le domaine scolaire. II faut également remarquer que les Indiens ont eux-mêmes eu très peu d'occasions d'exprimer pleinement leur position à ce propos, rendant ainsi difficile l'intervention gouvernementale. Au surplus, les structures scolaires actuelles rendaient extrêmement difficile la pleine participation des Indiens à l'administration et à la planification scolaires.
(b) La scolarisation des Indiens: inégalité des chances
Même si ce principe de l'égalité des chances pour tous les Canadiens quelque soit leur origine ethnique et la foi qu'ils professent est acquis depuis longtemps, certains groupes à toutes fins pratiques, ont été plus désavantagés que d'autres par rapport à leurs chances de recevoir une bonne instruction. On sait que les facilités scolaires des centres métropolitain ont été durant plusieurs années supérieures à celles existant dans les petites villes et petits centres et surtout à celle existant dans les milieux ruraux. Au surplus, certaines communautés rurales isolées n'ont pas été en mesure d'offrir à leurs résidants une instruction adéquate. Dans ces milieux scolairement défavorisés, on trouve un grand nombre d'analphabètes et d'individus dont la scolarité moyenne est faible, c'est-à-dire, en deçà d'une septième année de scolarité. Les résidants de ces milieux n'ont même pas pleinement bénéficié des facilités scolaires existantes: on retirait les enfants de l'école assez tôt parce qu'on avait besoin d'eux pour travailler sur la ferme ou pour gagner un salaire.
A l'instar de ces communautés rurales géographiquement éloignées des centres, les collectivités indiennes ont été en général plus défavorisées encore sur le plan scolaire. La double raison qui jouait en défaveur des communautés rurales est également valable pour les collectivités indiennes. Il était difficile d'y organiser des écoles et de recruter un personnel compétent pour y enseigner. Mais la raison la plus importante c'est que les populations indigènes elles-mêmes comprenaient mal la nécessité de l'instruction et, surtout, ne pouvaient envoyer leurs enfants aux écoles qu'irrégulièrement.
Maintenant que les structures de subsistance traditionnelles sont en bonne voie d'être déplacées complètement sur les réserves par des structures liées à une économie de marché, les Indiens, comme les autres Canadiens, sont eux aussi soumis aux exigences du marché du travail. Comme tous les Canadiens peu instruits ils éprouvent beaucoup de difficulté à se trouver un emploi régulier qui leur apporte les revenus nécessaires à la satisfaction de l'ensemble des besoins de leurs familles. Ils doivent, de plus, affronter certains préjugés qu'ont les employeurs blancs. Leurs milieux de résidence, la réserve et le territoire avoisinant, offrent très peu d'emplois stables. Cette absence d'emplois permanents a contribué à consolider le statut de prolétaires des Indiens. Voyons comment ce prolétariat est né.
Les études sur la scolarité dans les sociétés industrielles ont établi que le niveau de scolarité est associé à toute une constellation de facteurs très divers. Par exemple, pour les raisons que nous avons mentionnées plus tôt, on sait que le milieu d'origine influe sur la scolarité. On a établi aussi que le niveau de scolarité est en étroite relation au niveau professionnel. Plus la scolarité est élevée, meilleures sont les chances qu'un individu se situe à un palier supérieur de l'échelle professionnelle. On sait également qu'au fur et à mesure que vieillit un individu, ses chances de mobilité ascendante s'accroissent lorsque sa scolarité est supérieure à la moyenne. Inversement la vulnérabilité (susceptibilité au chômage et mobilité descendante) des travailleurs les moins instruits s'accentue avec leur vieillissement. Il a aussi été démontré que le niveau de vie est aussi intimement relié à la scolarisation, les travailleurs les plus instruits gagnant les salaires les plus élevés sur une base régulière.
En perdant leur infrastructure économique traditionnelle, les réserves sont devenues de plus en plus dépendantes sur l'extérieur pour leur subsistance économique (subsides gouvernementaux et emplois saisonniers). Mais, en même temps, les Indiens deviennent des travailleurs qui entrent en concurrence avec les autres travailleurs disponibles et qui atteignent les niveaux de vie permis par leur scolarisation. Il y a dans les réserves une abondante main- d'oeuvre non qualifiée: mais les postes disponibles, en général, pour ce genre de main- d'oeuvre sont peu nombreux et peu stables. Ceci revient à dire qu'une faible scolarisation ne permet pas aux Indiens de gagner leur vie et de vivre convenablement. Cette affirmation s'applique d'ailleurs aux autres catégories de Canadiens peu instruits. Les Indiens comptent de plus en plus sur l'État pour leur subsistance économique. Il y a bien dans les régions avoisinantes des réserves, des industries d'extraction et de transformation qui pourraient embaucher de la main-d'oeuvre indienne à la condition que celle-ci ait les niveaux de qualification voulus.
Nos propos antérieurs ont visé à établir qu'un niveau de scolarisation donné entraîne sur le plan des répercussions possibles tout un ensemble de conséquences particulières. Les travailleurs les moins instruits sont comme condamnés à vivre dans un état plus ou moins permanent de dépendance économique. Mais nous avons négligé, à dessein, d'ajouter à ces handicaps déjà sérieux ceux qui sont liés au statut de minorité culturelle des Indiens. Ce statut influe à la fois sur les performances scolaires proprement dites et sur les chances d'obtenir un emploi une fois qu'un travailleur a atteint un niveau de scolarité donné. On peut affirmer, sans craindre de se tromper, que les Indiens ont été défavorisés sur ces deux plans à la fois. ils ont toujours été dans une position défavorable par rapport à leur instruction formelle et une fois diplômés de l'école par rapport aux chances de se trouver un emploi permanent sur le marché du travail. Tout programme d'intervention gouvernementale qui ambitionne de procurer aux Indiens une certaine indépendance économique par le truchement de la scolarisation et d'un apprentissage technique approprié doit prévoir en même temps les structures et les mécanismes qui permettront aux Indiens de se trouver des emplois stables sur le marché du travail. Ce principe fut amplement documenté dans le premier volume du Rapport.
Soulignons, au passage, que la scolarisation dans les écoles indiennes et dans les écoles intégrées doit préparer à l'exercice d'un métier et à l'adaptation à la société des Blancs. l'habileté qu'a effectivement un Indien à se trouver un emploi est non seulement la résultante de sa scolarisation mais aussi la conséquence de son niveau d'acculturation. s'il connaît bien les valeurs des Blancs, s'il a des aptitudes linguistiques, s'il est parfaitement conscient des normes des Blancs au travail, il aura de meilleures chances de se trouver un emploi et de le garder.
3. Les fonctions de l'instruction chez les Indiens
On peut définir la scolarisation des jeunes Indiens comme étant un des aspects du processus général de socialisation et du processus particulier d'intégration à la société canadienne plus large. Par rapport au processus général de socialisation, l'école est un des systèmes socialisants qui entre en concurrence avec d'autres systèmes socialisants, tels que la famille, les groupes d'âge et de voisinage, l'Eglise et les communications de masse. l'ensemble des valeurs et des attitudes qu'acquièrent les jeunes Indiens provient de ces diverses institutions par l'intermédiaire des agents et des fonctionnaires qui les représentent plus ou moins parfaitement.
Tenant compte des pressions concurrentes qu'exerce l'un ou l'autre de ces agents sur les enfants, on peut énoncer l'hypothèse suivante: la famille et l'école sont deux univers sociaux parallèles en opposition, ayant entre eux très peu de points de recoupements. Cette hypothèse peut être nuancée en tenant compte du degré d'avancement des bandes et de la localisation des réserves. Ces deux univers sociaux tendent à se rapprocher dans les réserves situées dans des milieux métropolitains ou à proximité des villes, tandis qu'ils s'écartent de plus en plus l'un de l'autre dans les réserves qui sont éloignées des villes ou qui sont encore très près des structures traditionnelles de vie. Dans les réserves encore peu touchées par la vie urbaine, il existe une opposition assez prononcée entre les expériences vécues à la maison et celles vécues en milieu scolaire. La maison et l'école constituent deux configurations culturelles bien distinctes et exigent de la part de l'enfant des modes d'adaptation discontinus. Par discontinuité dans le mode d'adaptation, nous voulons dire que les exigences particulières de chacun des deux univers sont si différentes que l'écolier doit s'ajuster en fonction de chacun d'eux successivement à chaque fois qu'il passe d'un univers à l'autre. Cette discontinuité crée des conflits plus ou moins sérieux chez l'enfant et influe sur son rendement scolaire. Même inconsciemment l'enfant préfère un système à l'autre. Dans les réserves éloignées, l'écolier choisit, dans presque tous les cas, les valeurs proposées par le système socialisant familial. Une fois cette préférence exprimée, comme nous le disions antérieurement, l'enfant cherche systématiquement à se comporter à l'école comme s'il était à la maison. Il appliquera dans le contexte scolaire les critères culturels valables à la maison, mais désapprouvés la plupart du temps par l'institutrice. Au contraire, dans les réserves situées à proximité des villes, le choix de l'écolier tendra à s'inverser, c'est-à-dire que l'enfant tendra à agir davantage en fonction des critères scolaires et à dévaloriser les critères familiaux. Par voie de conséquence, l'enfant utilisera à la maison les critères scolaires et cherchera à se comporter comme un Blanc. Sa conduite sera ordinairement désavouée par ses parents.
Ce modèle polaire met l'accent sur les cas extrêmes: nous savons qu'il y a plusieurs types intermédiaires que l'on pourrait difficilement placer dans l'une ou l'autre des catégories ci-devant mentionnées. De plus, peu importe le degré de rapprochement des communautés indiennes des centres blancs, aucune d'elles n'est parfaitement homogène. On pourrait y trouver, à l'intérieur, divers types de familles, divers types d'écoliers.
Mais la performance scolaire, comme nous l'avons vu au chapitre précédent, n'est pas uniquement le résultat de l'orientation première de l'écolier, selon qu'il se réfère à sa culture d'origine ou à celle des Blancs. Elle est aussi le résultat, entre autres, de l'aptitude de l'enfant, de sa motivation scolaire, du contexte institutionnel (genre d'écoles, genre de vie en dehors des heures de cours si l'étudiant est pensionnaire, nature de la discipline et des diverses formes de contrôle), de la formation professionnelle et pédagogique des enseignants, des attitudes de l'écolier vis-à-vis des enseignants. et du travail scolaire proprement dit (attention en classe, travail à la maison. etc.). On ne saurait évaluer l'efficacité des divers contextes scolaires sur les rendements scolaires qu'à la condition de tenir plus ou moins constants les divers autres facteurs énumérés plus haut. d'ailleurs le critère du rendement scolaire de l'enfant est fort probablement insuffisant pour comparer, par exemple, les écoles sur les réserves, les pensionnats et les écoles intégrées. Il faut également tenir compte des objectifs poursuivis, des services offerts, des coûts d'opération, des influences qu'exerce l'école sur le milieu communautaire proprement dit, etc.
Nous revenons à la question du début. La scolarisation suscite-t-elle à la longue des conflits sérieux d'allégeance? Ces conflits, s'ils existent. nuisent-ils à l'épanouissement de l'identité* nationale. à l'autonomie des bandes? Les comparaisons sont toujours imparfaites. Si nous prenons le cas des Canadiens français, on se rend compte que le rehaussement des niveaux d'instruction et l'urbanisation progressive du Québec n'ont pas affaibli le sentiment d'appartenance et la force de l'identité ethnique. Bien sûr un certain nombre de Canadiens d'expression française se sont concrètement désintéressés de leur origine. Mais la majorité reste fidèle à son groupe d'appartenance. ils sont très différents des Canadiens français d'il y a deux générations. mais ils continuent de s'identifier à leur groupe ethnique. Si nous nous fions à cet exemple les Indiens peuvent s'instruire davantage et se mieux préparer aux exigences techniques du marché du travail sans pour cela renoncer à leur identification ou jeter par-dessus bord toutes les coutumes du groupe. l'antinomie que nous avions mentionnée au départ n'est qu'apparente. c'est dire que le jeune Indien peut acquérir plusieurs des valeurs et des comportements des Blancs sans pour cela affaiblir nécessairement son identité ethnique.
Nous présenterons ici la conception gouvernementale de l'instruction, celle-ci s'exprimant dans trois objectifs majeurs: (a) l'amélioration des conditions de vie des Indiens sur les réserves; (b) la préparation à l'exercice d'un métier; (c) l'accession graduelle à l'autonomie.
A. L 'amélioration des conditions de vie des Indiens sur les réserves
C'est là un objectif très général qui englobe tous les autres, à la condition de bien saisir sa signification profonde. Améliorer les conditions de vie sur les réserves, c'est à la fois faire en sorte que les réserves deviennent des unités socio-culturelles viables (des unités sociales fonctionnelles) et que les Indiens qui y vivent puissent satisfaire d'une manière convenable à l'ensemble de leurs besoins. Il y a là deux concepts qui mériteraient à eux seuls de longs développements, nous voulons dire, celui "d'unité socioculturelle viable" et celui de "satisfaction convenable des besoins". II existe d'ailleurs entre eux de très étroits rapports d'interdépendance étant donné que ce sont habituellement dans les milieux les mieux constitués socialement que les individus ont de meilleures chances d'atteindre cet état d'équilibre qu'est le bien-être par la satisfaction de l'ensemble de leurs besoins. Nous ne pouvons ici que référer à leurs dimensions les plus importantes. l'unité socio-culturelle viable c'est celle qui répond aux exigences fonctionnelles de la société, qui fournit à l'ensemble des individus qui y vivent les éléments et les cadres nécessaires à leur survie. Ce sont pour ainsi dire des conditions culturelles minimales qui rendent la vie en groupe possible, tant durant les premières années de l'existence qu'aux périodes ultérieures du cycle de vie. Cela veut dire: des ressources naturelles, l'établissement de structures qui permettent la satisfaction des besoins physiologiques de l'individu, une répartition des rôles et des responsabilités en fonction des aptitudes individuelles, des canaux adéquats de communication, des objectifs communs pleinement définis et contrôlés, l'apprentissage des jeunes, un leadership éclairé, enfin tous les éléments nécessaires à la bonne marche des rapports sociaux. Par la satisfaction de l'ensemble des besoins, on veut dire que l'individu est en mesure de trouver dans le milieu de vie l'ensemble des éléments qu'il juge nécessaires à son bien-être et à celui de sa famille.
Améliorer les conditions de vie sur les réserves c'est à la fois établir des structures économiques qui permettront éventuellement la pleine embauche des résidants; c'est améliorer les conditions de logement, d'alimentation et les soins hygiéniques; c'est rehausser les niveaux de vie; c'est réduire les diverses manifestations de la désintégration sociale; c'est favoriser un renouveau dans le leadership afin que les élites nouvelles oeuvrent en vue de la conquête complète de l'auto-détermination et redéfinissent l'idéologie nationale; c'est favoriser les loisirs créateurs et restructurateurs; c'est établir une tradition intellectuelle et artistique, en un mot, c'est permettre un plein épanouissement de chacun des individus et de chacune des traditions culturelles. Il faut que l'Indien prenne une meilleure conscience de ce qu'il a été, de ce qu'il est et surtout de ce qu'il peut devenir pourvu qu'on lui fournisse les instruments nécessaires à son développement.
Nous sommes conscients que cette façon optimiste d'envisager l'instruction, à savoir qu'elle est un outil essentiel d'adaptation dans la société technique, prête le flanc à des critiques sérieuses. Nous constatons seulement que l'instruction est une condition essentielle, mais non suffisante, à une évolution progressive. En effet, l'instruction permet à un individu de connaître davantage, de mieux apprécier ce qu'il est et ce qu'il fait, de mieux comprendre ce que sont et ce que font ses prochains (l'aspect humaniste de l'instruction) et elle permet aussi d'exercer un métier ou de remplir une fonction (l'aspect utilitaire de l'instruction) nécessaires à la bonne marche de la société. Mais encore faut-il que l'individu puisse trouver dans son milieu d'existence les opportunités d'exercer ses talents sur une base permanente et que ses activités professionnelles lui rapportent l'argent dont lui et les siens ont besoin pour vivre convenablement.
B. La préparation à l'exercice d'un métier
Nous ne discuterons pas ici des meilleures techniques de formation intellectuelle et professionnelle des élèves. Il s'agit plutôt d'affirmer un certain nombre de principes à respecter dans l'effort de scolarisation des Indiens. Rappelons que les Indiens jugeront habituellement de la qualité de l'instruction à partir de ce que font avec leur instruction les
Indiens instruits. Il y a donc un aspect pragmatique de l'instruction: celle-ci doit préparer le travailleur à occuper des postes sur le marché du travail. Les réserves sont un milieu de résidence très spécial qui offrent habituellement très peu d'emplois. Parfois certaines industries d'extraction ou de transformation viennent s'installer à proximité des réserves. Mais il serait risqué de préparer les Indiens à occuper seulement ces postes. Aussi certains métiers ont peut- être attiré davantage les Indiens. Ces structures de l'emploi ne doivent nullement masquer le principe que les Indiens ont le droit d'atteindre le plus haut degré de scolarité possible et celui d'accéder à l'ensemble des métiers de l'échelle professionnelle. Le goût et les aptitudes personnels devraient être les seuls facteurs qui viennent limiter le niveau de scolarité et le genre de spécialisation.
Puisque l'école et l'ensemble des programmes scolaires sont conçus pour permettre l'accession à un métier ou à une profession en autant que les jeunes indiens réussissent dans leurs études et qu'ils soient orientés vers les institutions scolaires appropriées, il faut instaurer le plus vite possible la scolarité obligatoire jusqu'à l'âge de dix-huit ans. Cette scolarité obligatoire permettra à ceux qui ont le talent nécessaire de se rendre au moins jusqu'à une neuvième année avant de s'orienter vers les écoles techniques et professionnelles et d'accéder, au moment opportun, au cours secondaire et au cours universitaire. Ceci veut dire que l'école primaire ne devrait jamais être terminale. Dans les cas où des étudiants n'ont pas les capacités intellectuelles pour se rendre jusqu'à une neuvième année, la spécialisation et le préparation à un métier pourraient être plus précoce. Cela suppose aussi une généralisation des services d'orientation scolaire pour les jeunes indiens afin de déterminer les champs de spécialisation les plus en rapport avec leurs talents naturels.
Les principes que nous venons d'invoquer sont reliés aux fonctions strictement utilitaires de l'école et des milieux scolaires (pour les étudiants). Mais l'école a aussi une fonction sociale et communautaire. Si l'école prépare à la formation spécialisée (c'est ce genre de formation qui permet à un individu de se trouver un emploi), elle doit aussi former l'intelligence, meubler la mémoire, cultiver le jugement et l'imagination créatrice, développer également la conscience de ses responsabilités sociales. c'est l'aspect humaniste (fonction générale) de l'instruction. il faut que l'enfant, surtout celui qui vit dans un univers social restreint, soit conscient des liens qui le rattachent à ceux qui vivent avec lui et à tous ceux qui vivent en dehors des réserves. il doit comprendre l'ensemble des responsabilités qui lui sont dévolues en tant que citoyen d'une réserve et en tant que citoyen canadien tout court.
En tant qu'institution communautaire, l'école doit être une partie intégrante de la communauté. Elle peut être le centre d'activités sociales, récréatives et culturelles. On devrait encourager l'établissement d'associations parents-maîtres, afin d'associer les parents aux travaux scolaires des maîtres. l'école peut encore aider les adultes scolairement défavorisés par l'établissement de programmes d'éducation des adultes et de récupération scolaire.
C. L 'accession graduelle à l'autonomie
Dans quelle mesure une scolarisation plus poussée des Indiens va permettre l'accession à l'autonomie est la question à laquelle nous devons répondre.
Jusqu'à présent, ce ne sont pas nécessairement les plus instruits qui ont accédé aux divers postes de direction sur les réserves. Mais au fur et à mesure que les réserves ont entretenu des relations de plus en plus nombreuses avec le monde extérieur, les Indiens eux- mêmes se sont rendus compte que leurs représentants devraient être capables de s'exprimer dans la langue des Blancs et de comprendre suffisamment bien leur mode de vie pour être en mesure de faire valoir leurs propres revendications. c'est ainsi que le niveau d'instruction, de même que les expériences de vie en dehors des réserves sont devenus des facteurs valorisés par les Indiens eux-mêmes dans la désignation de leurs représentants et chefs de file. Le niveau d'instruction est donc de plus en plus considéré comme un facteur d'importance dans la négociation des points de vue indigènes.
4. Les données modernes de la pédagogie
Dans cette section, nous résumerons les principales données de la pédagogie moderne afin de bien saisir les exigences qu'elles imposent tant au niveau de l'écolier, qu'à celui des maîtres et des programmes scolaires. Ces données s'inspirent du Rapport de la Commission royale d'enquête sur l'enseignement dans la province de Québec.Note de bas de page 151 Règle générale, ces données ont une valeur universelle et par conséquent, toutes choses étant égales par ailleurs, elles peuvent s'appliquer à l'éducation des Indiens. Nous prendrons soin de soulever les problèmes particuliers que suscite l'instruction des Indiens. Nous discuterons les aspects suivants: (a) le progrès de l'enseignement; (b) une culture scolaire puéricentrique et les exigences de la pédagogie active; (c) culture générale et spécialisation; (d) ouverture sur le monde et conscience sociale; (e) équilibre physique et mental; et (f) la formation des maîtres.
A. Le progrès de l'enseignement
Le progrès de l'enseignement s'est manifesté d'une double manière: par la démocratisation de l'enseignement à toutes les couches de la population et par le pluralisme des options et des orientations scolaires. Presque chaque enfant indien-peu importe où sa réserve est située-a aujourd'hui l'assurance théorique qu'il peut fréquenter l'école aussi longtemps qu'il le désire, qu'il peut aspirer à recevoir la formation intellectuelle, technique et professionnelle disponible aux Blancs. l'enseignement chez les Indiens est lié en principe au talent et à la persévérance scolaire quoique en pratique influencé par les moyens de fortune des parents.
L'enfant indien peut choisir une formation professionnelle qui correspond entièrement à ses aptitudes et préférences. Toutes les aspirations scolaires et professionnelles de l'enfant (en autant qu'elles sont réalistes) peuvent être théoriquement réalisées grâce aux programmes scolaires déjà existants, à l'activité d'orientation scolaire des conseillers pédagogiques qui acheminent les enfants vers les institutions spécialisées appropriées et grâce aussi à l'accessibilité de plus en plus généralisée (les ententes conjointes) aux Indiens de toutes les institutions d'enseignement des Blancs. Le système scolaire, en général, offre des cours qui respectent la diversité des aptitudes et la variété des intérêts personnels. Le gouvernement central, en collaboration avec les gouvernements provinciaux, s'engage à fournir à tous l'instruction la plus poussée et la mieux appropriée. Ces programmes, comme nous l'affirmions plus tôt, sont même offerts aux Indiens vivant dans les régions les plus éloignées et à ceux qui sont les plus économiquement défavorisés.
Si les disponibilités scolaires se sont accrues et si les programmes scolaires offerts aux Indiens se sont multipliés, on ne peut pas prétendre qu'il y ait eu chez les Indiens de progrès correspondants dans le niveau de scolarité atteint et dans la persévérance scolaire. Il faudra chercher à comprendre le décalage qui existe entre les progrès institutionnels et les progrès individuels. c'est au niveau de la perception indigène de la scolarisation, à celui des motivations scolaires et des aptitudes d'adaptation des individus dans le contexte scolaire qu'il faut chercher les facteurs susceptibles d'expliquer les insuccès partiels de l'action dirigée du gouvernement auprès des communautés indiennes.
B. Une culture scolaire puéricentrique
Une culture scolaire centrée sur l'enfant tente de mettre en pratique les connaissances psychologiques dont nous disposons sur le développement de l'intelligence et du sentiment chez l'enfant ainsi que sur le processus de maturation, en général. Cet ensemble de connaissances sur l'enfance permet d'accroître la motivation scolaire, d'améliorer les techniques de formation intellectuelle, d'éviter les retards scolaires et, finalement, de rehausser les niveaux d'instruction. Une école centrée sur l'enfant (un peu de la même manière que les maternelles) est dynamique dans ce sens que l'enfant participe d'une manière active à ce qui s'y fait. Comme on l'affirme dans le Rapport Parent, la pédagogie active "se propose toujours de partir de l'enfant, de ses intérêts de son jeu, de son imagination pour développer chez lui la curiosité intellectuelle et l'initiative personnelle. On cherche à éliminer le pédantisme du maître, le carcan des programmes, la passivité de l'enfant. Ce courant de pensée s'inspire des valeurs que nous voulons voir honorer à l'école: respect de l'intelligence, des dons créateurs, de l'esprit de recherche."Note de bas de page 152
Ce sont là des objectifs parfaitement valables dont l'application aux classes indiennes suscite de nombreux problèmes. Mentionnons, entre autre, l'apprentissage linguistique des jeunes écoliers indiens et la tenue de rôles à l'école qui n'ont point de correspondance dans leur univers quotidien. Nous n'aborderons pas ici la question éminemment complexe de l'enseignement à l'école dans les langues indigènes et des difficultés pratiques que cet enseignement soulève. Nous partons, au contraire, de la situation générale dans laquelle se trouvent les écoliers indiens. Par suite de leur connaissance déficiente de la langue de l'école (anglaise ou française, selon les cas), par suite de leur timidité et par suite aussi de leur inexpérience dans la tenue de certains rôles familiers aux Blancs, les principes de l'école active peuvent imposer aux écoliers indiens certains désavantages psychologiques et culturels. En somme, la question la plus fondamentale à poser est celle du moment de l'instruction intégrée. Vaut-il mieux que ce soit dès le début de la scolarisation ou s'il est préférable, qu'elle survienne plus tard?
C . Culture générale et spécialisation
Les données récentes de la pédagogie indiquent qu'il est nécessaire de conserver une culture de base générale pour tous (tronc commun) la plus poussée possible à la condition qu'elle permette le passage des étudiants d'un niveau à l'autre sans heurts (du primaire, au secondaire, au professionnel et à l'universitaire) et leur cheminement vers l'une ou l'autre des diverses options professionnelles. Nous avons affirmé auparavant que les Indiens ne devaient pas être restreints à assumer certaines fonctions professionnelles particulières. Ils ont, en tant que groupe, les talents qui leur ouvrent l'éventail complet des options professionnelles. Pour autant ce principe est tout aussi valable pour eux qu'il l'est pour les jeunes écoliers blancs.
Nous savons qu'il n'en a pas été ainsi jusqu'à maintenant: cela était dû à un ensemble de circonstances telles que les niveaux de scolarité des Indiens et les retards scolaires de toutes sortes. De par leur faible scolarité, les Indiens ont été surtout confinés à des occupations inférieures dans l'échelle professionnelle. Mais à mesure que les Indiens bénéficieront des avantages scolaires considérables de l'école intégrée et des campus scolaires régionaux (le "collège polyvalent", le "comprenhensive high school"), ils seront exposés de plus en plus à des programmes scolaires très variés, à l'intérieur desquels il y a des cours communs suivis par tous et des cours optatifs pour répondre aux goûts et préférences de chacun. Par le jeu des "options progressives" de plus en plus rétrécies, l'étudiant, vers l'âge de seize ans, pourra s'orienter plus ou moins définitivement vers la carrière de son choix. Quant aux étudiants ayant des problèmes d'adaptation scolaire ils feront l'objet d'attention spéciale et ils seront éventuellement préparés à entrer sur le marché du travail par la mise en place de cours terminaux appropriés. On devra également surveiller le progrès scolaire des jeunes indiens afin d'éviter des retards inutiles dans leur progression d'une année à l'autre.
D. Ouverture sur le monde et conscience sociale
Essentiellement, il s'agit de préparer les étudiants à la vie, celle-ci étant prise dans une acceptation très large. On sait que l'activité professionnelle d'un individu n'est qu'une activité parmi plusieurs autres. Pour autant, l'école doit non seulement initier à la tenue d'un emploi, mais aussi préparer l'individu à vivre pleinement et à apporter une contribution valable à la société dont il est membre. On ne peut pas dissocier les fonctions professionnelles des fonctions sociales de l'instruction. Au surplus, l'individu qui exerce un métier en retirera une plus grande satisfaction, s'il perçoit la nature et l'importance de son métier dans l'ensemble des activités et ainsi du reste. Pour toutes ces raisons et pour plusieurs autres qui ne peuvent être examinées ici, le processus d'éducation doit favoriser chez l'étudiant une meilleure connaissance du monde extérieur et une meilleure prise de conscience de ses responsabilités en tant que citoyen. Cette ouverture sur le monde et cette prise de conscience sociale sont d'autant plus nécessaires aux jeunes écoliers indiens qu'ils devront éventuellement s'adapter au genre de vie de la société plus large et développer l'autonomie des réserves. c'est vraiment la génération qui pousse qui acceptera ou refusera de prendre l'ensemble des dispositions nécessaires à l'affranchissement des Indiens. Ils prendront cette décision dans la mesure où nous les aurons préparés à la prendre, c'est-à-dire, dans la mesure où nous leur aurons fait comprendre la nature et le fonctionnement de la société plus large et dans la mesure où nous leur aurons fourni les instruments nécessaires à l'émancipation. Cette philosophie de l'éducation doit constituer le fondement des nouvelles politiques scolaires vis-à- vis des Indiens. Cette fonction de l'instruction est d'autant plus importante pour les Indiens qu'elle les prépare et les achemine vers la plénitude de l'autonomie.
La pédagogie moderne cherche en même temps à assigner au livre sa vraie place dans une éducation globale et à se dégager de son emprise. Le livre ne doit pas s'interposer comme un écran entre l'élève et le monde; il doit préparer et prolonger le contact avec les réalités. Il est de première importance de donner aux élèves le goût de lire et de bien lire. Mais un enseignement actif fait aussi sortir l'élève de son livre et de la classe, le mène dans la nature, lui fait connaître son milieu social et humain, lui fournit un laboratoire à sa taille et à son niveau.Note de bas de page 153
E. Équilibre physique et mental
II n'est nullement nécessaire d'insister sur le fait qu'un programme d'enseignement s'adresse à l'organisme humain pris globalement. Pour autant, il faut tenir compte des données médicales et psychiatriques modernes dans la formation intellectuelle des jeunes. Cette formation sera d'autant mieux réussie qu'elle tiendra compte de l'influence du physiologique sur le psychologique (et inversement) et de l'influence de ces divers niveaux sur l'évolution intellectuelle de l'écolier. On doit admettre des différences dans les aptitudes intellectuelles et dans les constitutions émotives des écoliers. On comprendra ainsi comment vont réagir les uns et les autres vis-à-vis de l'angoisse, de l'ambition, de la compétion et enfin de toutes les situations qui se produiront dans la classe.
Si jusqu'à maintenant on a accordé peu d'importance à l'aspect "santé physique" chez l'enfant indien, on a beaucoup trop négligé ses réactions émotives dans le contexte scolaire. On s'est beaucoup trop désintéressé des conséquences psychologiques que pourraient entraîner pour l'enfant la punition, les contraintes et les menaces, en un mot le climat psychologique créé par la personnalité du maître, ses techniques d'enseignement et de contrôle des résultats. Ces éléments psychologiques sont d'autant plus importants pour l'écolier indien dont l'apprentissage est fait dans un contexte culturel étranger (il s'agit ici de l'école de réserve et de l'école intégrée) et dont les gestes et réactions peuvent être mésinterprétés (interprétation ethnocentrique) par les maîtres. Voilà autant de raisons qui justifient non seulement les soins physiques spéciaux à l'école mais aussi des soins psychiatriques afin de procurer aux enfants exceptionnels et handicapés les services dont ils ont besoin pour recevoir une formation adéquate et s'épanouir.
F. La formation des maîtres
Le Rapport Parent est explicite sur ce point et nous nous contenterons de le citer:
Dans tous les pays, on a bien compris que pour s'engager dans ces voies nouvelles et pour remplir ces fonctions, le système d'enseignement a besoin d'éducateurs très compétents. c'est la clé de voûte du système et le seul espoir de voir s'accomplir les réformes rêvées. . .. Quels que soient les programmes, les normes établies, les expériences mises en chantier, c'est du personnel enseignant que dépend en définitive la solution. .. Pour en faire de vrais éducateurs, on veut donner à tous les futures maîtres une véritable formation pédagogique, basée sur des études assez poussées en psychologie et en sciences sociales. On veut que tous les enseignants aient une culture générale plus solide et que ceux de l'enseignement secondaire soient des spécialistes dans un champ du savoir.Note de bas de page 154
A toutes ces exigences de la préparation professionnelle des maîtres, il faut ajouter, pour les maîtres qui dispensent un enseignement auprès des Indiens, une connaissance de la psychologie indienne, des cultures indigènes et du milieu de travail que représente la maison sur les réserves. Cette compréhension particulière que doit avoir l'enseignant de ses écoliers indiens est un élément critique de la motivation scolaire de l'écolier et de l'ensemble des attitudes scolaires qu'il professe.
Chapitre VI - Les antécédents de l'organisation officielle et de l'administration des collectivités indiennes
Afin de placer la discussion qui suit dans une perspective appropriée, nous présentons un bref aperçu de la situation, tant à l'époque des premiers contacts entre les Européens et les Indiens que depuis cette époque, en ce qui concerne la direction et l'administration relatives aux sujets dont l'importance dépasse le cadre des membres d'une maison et de la lignée familiale, que nous qualifierons vaguement de sujets politiques. Nous avons déjà traité à fond certains de ces sujets dans la première partie de ce rapport, mais nous devons souligner de nouveau certains points saillants, qui placent les prochains chapitres dans un contexte historique.
L'homme a inventé plusieurs formes d'institutions politiques, mais il existe un certain ensemble de fonctions politiques que les sociologues considèrent comme étant pratiquement universel, bien que ces fonctions puissent être remplies par plusieurs types d'institutions. En quelques mots, ce sont les fonctions suivantes: le maintien de l'ordre et de la paix au sein d'un groupe en réglant les différends; la mise en vigueur des règlements; la coordination des formes d'activité qui intéressent toute la communauté, et non uniquement les individus ou les familles; la représentation d'un groupe auprès d'autres groupes; la direction de certaines formes d'activité, comme la guerre contre d'autres groupes.
Dans certaines sociétés, ces fonctions sont remplies par des institutions spécialisées, comme les gouvernements, les judicatures, les corps policiers et le corps diplomatique. c'est le cas des sociétés importantes, qui comportent des noyaux très populeux et où l'on consacre moins d'énergie à la subsistance. Cependant, dans les sociétés de moindre envergure absorbées par les problèmes de subsistance, ces fonctions sont généralement remplies par des institutions non spécialisées, comme le groupement des parents. Dans un sens, on peut dire que ces petites sociétés n'ont pas besoin d'institutions spécialisées.
Certaines sociétés indiennes du Canada possédaient de telles institutions. Chez les Iroquois, qui pratiquaient plus intensivement l'agriculture que tout autre groupe au Canada, on trouvait une densité supérieure de population, des villages permanents plus étendus, plus de guerre véritable - distincte des escarmouches, raids et sorties - que dans le reste du pays. Comme on le sait, les Iroquois établirent une série assez complète d'institutions chargées de régler les problèmes relatifs à leur mode de vie. Dans les plaines, où la chasse était une grande entreprise de groupe, on créa une série d'institutions généralement appelées institutions militaires. Chez les Chippewas, dont la population était plus dense que celle des autres Indiens canadiens et qui disposaient fréquemment de surplus de nourriture, il existait une association, la Grand Medicine Lodge qui était chargée notamment d'exercer un contrôle social et de remplir d'autres fonctions politiques.
Les membres de ces sociétés faisaient partie de groupes relativement importants, comme des tribus ou des clans importants au sein des tribus. Les clans habitaient diverses localités, de sorte que l'appartenance d'une personne n'était pas exclusivement limitée à une localité déterminée. Cependant, dans la plupart des sociétés indiennes du Canada, c'était le groupe qui demeurait et se déplaçait ensemble qui formait le noyau d'appartenance et qui déterminait le lieu où s'exerçaient les droits et les obligations politiques. Chez les chasseurs nomades, la bande typique qui résidait et se déplaçait en groupe, comptait rarement plus de 100 personnes. En certaines saisons, un groupe de co-résidants pouvait compter moins de 20 personnes. Il était rare que les villages fussent occupés pendant de longues années. Le principe des frontières géographiques fixes, clairement délimitées, dans le but de préciser les droits et les obligations, n'était pas très répandu. La plupart des lieux habités par les Indiens n'étaient que des terrains de campement situés selon la saison et le genre d'activités économiques poursuivies. Ces bandes avaient des chefs qui ne parlaient et n'agissaient qu'au nom de leurs propres bandes, groupes de peu d'envergure. Ils ne parlaient ni n'agissaient au nom de groupes plus importants, comme les tribus.
Les fonctions sociales qui, aujourd'hui, sont totalement ou partiellement du ressort des organismes gouvernementaux, étaient traitées dans le contexte de la famille, de la bande, des sociétés militaire ou cérémoniale. Préparer les jeunes à assumer leurs rôles et à pratiquer leurs métiers d'adultes, pourvoir aux besoins des malades et des indigents étaient des tâches entreprises dans un contexte non spécialisé. Les Iroquois, ainsi que certaines tribus d'Ojibways et d'Indiens des Plaines, donnaient un caractère officiel au règlement des problèmes touchant la bande ou la tribu, tenant à cette fin des réunions de conseils composés des chefs qui représentaient les divers paliers et sections du système. Cependant, la majorité des bandes indiennes voyaient là une tâche non officielle, confiée à des membres influents de la bande, qui n'occupaient pas nécessairement des postes particuliers ou comportant un titre.
On ignore comment les membres d'une bande procédaient à l'élection d'un chef ou d'un conseiller. Il y avait des élections au sein de certains conseils afin de choisir le futur chef, mais il ne s'agissait pas d'élections publiques comme les nôtres. Devenait chef, en général, celui qui était le plus apte à remplir cette fonction parmi une lignée de chefs, ou celui que désignait l'opinion générale de la bande, sans déclaration publique, comme le candidat choisi par les membres. Le principe de l'hérédité prévalait chez les Iroquois et sur la côte Nord-Ouest, mais ce principe était implicitement accepté ailleurs. On pourrait illustrer ce point de la manière suivante. Certaines tribus considéraient explicitement le principe héréditaire comme le principal critère d'admissibilité au poste; néanmoins, la majorité des groupes indiens du Canada ne voyaient pas là un critère primordial. Cependant, même chez ces derniers groupes, si le père ou un oncle avait déjà été chef, il était beaucoup plus facile de le devenir, à condition d'être compétent dans les domaines pertinents.
Il existait une certaine différenciation, ou spécialisation, dans les rôles de chef, non seulement dans les systèmes plus complexes, comme ceux des Iroquois ou des Indiens des Plaines, mais aussi chez plusieurs autres groupes. Par exemple, il était rare qu'un chef chargé de maintenir l'ordre et la solidarité au sein de la bande fût en même temps chef de la guerre. Certains anthropologues comparent le chef de la guerre avec ce qu'ils appellent le chef civil ou chef de la paix, en soulignant les différentes qualités requises pour chaque poste. Leurs témoignages nous permettent d'affirmer que le poste de chef civil ou chef de la paix était le plus stable et le plus durable. On se représente le détenteur de ce poste sous les traits d'un prêtre sage et sympathique, cherchant à régler les différends, donnant généreusement aux nécessiteux, d'un orateur calme et imposant. Il semble que le maintien des relations harmonieuses au sein du groupe ait été le problème le plus pressant et le plus constant, exception faite du problème de la subsistance. c'était une des principales tâches confiées au chef, qui s'en acquittait en cherchant à faire l'unanimité parmi les membres.
Avec l'avènement de la traite des fourrures apparut un autre type de chef que les anthropologues appellent le "chef responsable des transactions commerciales." Ce chef servait d'intermédiaire entre les commerçants et son peuple; il organisait la chasse et le piégeage. On le choisissait pour sa connaissance du pays, sa compétence en matière de chasse et de piégeage, et parce qu'il savait inspirer le respect à ses semblables. Plus les Indiens comptèrent sur la traite des fourrures pour assurer leur subsistance, plus augmentèrent le pouvoir du traiteur et celui du chef de traite. Certains groupes n'ont connu une forte direction interne qu'à l'époque où la traite des fourrures était à son apogée et cette direction était subordonnée à une source externe de pouvoir économique. Évidemment, le rôle du chef de traite ne conserva son importance que dans le nord du pays, ce trafic ayant presque complètement disparu dans le reste du pays à la suite de l'implantation de l'agriculture et de la construction des chemins de fer au cours de la deuxième partie du XIXe siècle.
À mesure que s'étendait la colonisation non indienne, les Indiens établirent des groupements résidentiels d'un nouveau genre sur les anciennes frontières. Presque partout dans le pays, les postes de traite - souvent appelés forts - et les petits villages agricoles étaient des petits points dans un pays inculte, entourés de groupes d'Indiens nomades; mais, à mesure que la population non indienne croissait et que les Indiens se cantonnaient dans les réserves, ce fut l'élément indien qui devint entouré de non-Indiens dans une grande partie du pays. Pour la première fois, des milliers d'Indiens vécurent dans des collectivités permanentes, sédentaires, dont les limites sociales et territoriales étaient bien définies. Un ensemble croissant de règles officielles régissant l'usage collectif du territoire, les droits résidentiels, les droits accordés aux membres d'une bande, et le reste, conféra à ces collectivité, pour la plupart peu importantes, un caractère juridique et exclusif, par contraste avec les groupements résidentiels traditionnels.
Si les traiteurs ont créé un nouveau genre d'intermédiaire indien, soit le chef de la traite des fourrures, le gouvernement, lui aussi, en a créé un - le chef élu, reconnu par le gouvernement, ainsi qu'une institution appelée conseil de bande, qui servait d'intermédiaire quand le gouvernement devait traiter avec les Indiens. On se rappellera que, dans la plupart des groupes indiens du Canada, de tels postes et structures n'avaient jamais existé. Ce que M. Hawthorn et ses collègues ont dit des Indiens de la Colombie-Britannique, s'applique à ceux de plusieurs autres régions du pays:
Ainsi, le chef et le Conseil de bande sont des mécanismes administratifs, inconnus des cultures qui ont précédé l'arrivée des Blancs, et dans cette région, le poste de "chef à vie" dont parie l'ancienne Loi sur les Indiens, se rapporte à un nouveau poste qui, ces dernières années, est parfois devenu héréditaire au sein de la lignée la plus éminente du point de vue social.Note de bas de page 155
Apparemment, on avait présumé que les Indiens adopteraient comme modèle le village européen ou canadien; avec son gouvernement local, élu par la majorité, constitué de citoyens fortement attachés à la communauté, etc.
L'expérience nous a démontré que cette supposition n'était pas réaliste et que la situation présente n'est pas celle qu'on avait espérée. Plusieurs Indiens ne concevaient pas leurs collectivités comme des groupes viables ayant une vie propre; ils continuaient à orienter leur vie sur la famille, la parenté ou d'autres groupements qui transcendaient la communauté résidentielle ou qui n'en étaient qu'un des divers éléments. Plusieurs d'entre eux ne faisaient aucun rapprochement entre le village ou l'unité co-résidentielle qu'ils habitaient, et les éléments qu'ils considéraient comme les plus avancés. Là où l'on manifestait un certain intérêt à l'égard du gouvernement local, cet intérêt disparaissait souvent, faute de pouvoir réel permettant de prendre des décisions d'importance au palier local. l'élaboration des lois et règlements conçus pour la protection des intérêts indiens, tels qu'on les définissait alors, exigeait que de très nombreuses questions soient sanctionnées par la Direction des affaires indiennes. Rares étaient les questions importantes que les Indiens pouvaient régler dans leurs collectivités. De plus, il y avait une déficience générale de moyens permettant d'apporter des changements d'importance dans les situations difficiles.
Les conseils de bande ont continué d'exister dans les collectivités indiennes, non pas parce qu'ils semblaient répondre à d'importants besoins d'administration locale, mais parce que le gouvernement tenait à traiter par leur entremise - de fait, il fallait qu'il traite avec un organisme officiel quelconque chargé de représenter la bande - et aussi parce que les conseils étaient non seulement des organismes officiels locaux, mais aussi des corps administrant les biens et les affaires des membres, même quand ces membres n'habitaient pas sur les terres de la bande.(Note de bas de page 156 ) et la décentralisation de la structure administrative de la Direction des affaires indiennes. Ce sont des réformes récentes destinées à favoriser la vie collective au sein des communautés indiennes. Notre tâche consiste à évaluer les possibilités d'obtenir ce résultat dans divers établissements communautaires, en étudiant les tendances de l'organisation communautaire à travers le pays.
I. ÉTABLISSEMENTS COMMUNAUTAIRES
On sait que plusieurs définitions du mot communauté sont acceptées, définitions qui diffèrent entre elles sous des rapports importants. La définition géographique se rapporte surtout à l'idée de co-résidence, la co-occupation d'un territoire par un groupe de personnes qui habitent une localité déterminée ayant des limites qui la séparent d'autres localités.
Dans ce sens, le mot communauté n'implique que la co-occupation d'un espace et les interactions concomitantes. La définition socio-psychologique est centrée sur l'identification émotionnelle et la mesure de solidarité qui existe entre une population et d'autres personnes qui n'habitent pas nécessairement la même localité. La clé de la définition socio-anthropologique réside dans l'idée d'une structure relativement autonome de rapports unissant une population, les personnes intéressées agissant comme une collectivité pour arriver à certaines fins. Dans ce rapport, nous nous intéressons aux aspects de l'organisation sociale dans des endroits déterminés. Aux fins de cette brève discussion sur les établissements communautaires, nous partons donc de la définition géographique, qui souligne l'idée de co- résidence et, dans certains cas, nous ajoutons les questions de solidarité et de liens sociaux, qui ne sont pas entièrement définies en fonction de la co-résidence.
Les Indiens du Canada sont uniques sous le rapport de la résidence. Aucun autre groupe ethnique au Canada ou, à vrai dire, dans le monde entier, ne se trouve dispersé en hameaux et en villages sur un aussi vaste territoire. Pour des fins administratives, ces petites communautés sont réunies en groupements d'importance variée, comme les agences et les régions, mais ces liens sont bureaucratiques et externes, plutôt que communaux. Peu de communautés indiennes sont réunies en systèmes d'interdépendance pour des fins politiques et économiques. Comme nous le verrons plus tard, les membres de diverses communautés indiennes sont unis en réseaux de parenté, de cérémonial et de sociabilité; néanmoins, il n'existe guère, même à l'heure actuelle, de liens importants d'autorité qui transcendent les limites de la communauté.
On peut imaginer plusieurs typologies différentes de communautés indiennes en combinant des critères écologiques, démographiques, sociologiques, acculturatifs et autres(Note de bas de page 158 ). Cependant, il suffit d'offrir ici une simple classification basée sur la situation du point de vue des objectifs matériels et sociaux, et sur des caractères déterminés de l'organisation sociale.
En ce qui concerne l'importance numérique, le type le plus commun de collectivité indienne est la petite réserve isolée, fréquemment désignée, dans la langue du pays, sous le nom de "brousse", située dans un milieu rural, non agricole, ou à la périphérie des régions agricoles. Approximativement 50 p. 100 des Indiens du Canada vivent dans ces régions boisées. Environ 300 bandes habitent les régions boisées du Nord-Est, le nord des provinces de l'Ouest et les Territoires du Nord-Ouest. Ces bandes n'habitent pas toutes des réserves éloignées. Il n'y a de réserves ni dans les Territoires ni dans les endroits appelés officiellement établissements indiens, qui sont des terres non réservées à une bande en particulier. Plusieurs urbaines, subissent maintenant l'influence de la société environnante, par suite de la dissémination des organes d'information. Les services sociaux et économiques, tels les écoles, les postes de soins aux malades et les magasins, s'étendent aux localités frontalières afin de satisfaire à une demande croissante. Les lignes aériennes, les chemins de fer et les routes atteignent les coins le plus reculés. La formidable expansion de l'industrie touristique devrait introduire une base économique dans plusieurs endroits devenus, sur le plan économique, des terrains incultes. l'expansion des industries fondées sur l'exploitation du pétrole, des métaux et du bois recule les frontières. Les Indiens, même dans les endroits les plus éloignés, demandent des services urbains, comme l'électricité, l'eau courante, des réseaux d'égouts et des arénas. En ce qui concerne l'administration locale, ce développement a pour effet de forcer davantage les collectivités à agencer et à coordonner leurs services en fonction de l'ensemble des ménages. Évidemment, des développements excluent un grand nombre de petits groupes des co-résidents, mais il en englobe plusieurs autres.
Notre étude démontre que le genre de collectivité le moins susceptible d'établir une structure solide d'administration locale est celle qui a été jusqu'à ces derniers temps, ou est encore, fondée sur une économie familiale soutenue par le piégeage, c'est-à-dire lorsque les familles passent l'hiver dans les bois et les étés dans un poste de traite établi sur les bords d'un lac ou sur le littoral. Les renseignements obtenus des collectivités du Nord-Est, comme Mistassini (P. Q.), corroborent cette conclusion. Pour l'observateur de l'extérieur, ces réserves semblent dépourvues d'organisation; elles n'en gardent pas moins une certaine forme d'existence non centralisée. Dans une communication privée, M. Tom McFeat donne son impression des gens qui vivent dans une réserve de ce genre:
. . . .ils ne sont pas portés à s'organiser politiquement. Cependant, ils habitent la réserve et entretiennent les foyers. Ils conservent la langue et sont assez grégaires, contrairement à ce qu'on pourrait croire, vu le manque de stimulants. Ils sont attachés à la famille, non seulement dans la réserve, mais bien au-delà des limites de la réserve. Ils aiment se rendre à Ste-Anne-de-Beaupré le jour de la Sainte-Anne . . . et de temps à autre, ils vont bien cueillir des patates ou des bleuets et, à l'occasion, ils chercheront du travail, d'habitude avec un ou deux compagnons. . . .
Ce sont des gens qui, présumément, ne s'identifient pas fortement à une région bien précise, et dont les liens importants s'étendent au-delà de ce qui leur semble être des limites artificielles. Il se peut que, pour eux, la définition la plus significative de la collectivité, du point de vue de l'administration des affaires indiennes, soit plus vaste que la simple communauté co- résidentielle et qu'ils se joignent plus volontiers à ces grandes structures. Plus loin, dans notre discussion sur l'organisation volontaire, nous considérons ces liens entre villages comme des facteurs pouvant susciter un sentiment communautaire et engendrer une administration locale.
Le genre de collectivité où s'établissent de fortes unités locales chargées de l'administration est celle qui maintient une certaine autonomie voulue, tout en coopérant avec les collectivités environnantes d'une manière sélective. Dans nos rapports d'enquêtes faites sur place, nous constatons que ces groupes, comme les Squamishs de Vancouver-Nord, les Indiens du Sang de l'Alberta, les Dokis de l'Ontario, s'entourent de barrières sociales, tout en établissant des liens sélectifs avec des organismes extérieurs reliés à la société environnante. Comparativement à la moyenne, ces collectivités indiennes possèdent beaucoup de ressources qui appartiennent aux bandes, ressources qu'elles exploitent avec profit, ce qui les rend relativement indépendantes.
Il n'est pas facile d'analyser la variable de l'indépendance économique. d'abord, l'indépendance économique peut être la résultante d'une action organisée de la part de la bande. Par exemple, prenons deux réserves qui ont à peu près le même potentiel en ressources forestières et touristiques. l'exploitation de ce potentiel, c'est-à-dire la conversion de ces ressources en biens matériels, dépendra non seulement des conditions du marché, des moyens de transport, de la ligne de conduite adoptée par la Direction des affaires indiennes, et le reste, mais aussi de la réponse collective de la bande aux occasions qui se présentent. Dans un cas, certaines attitudes des membres de la bande envers une action collective et certains obstacles découlant de l'organisation, comme l'esprit de clan excessif, amènent une stagnation du potentiel économique; dans l'autre cas, des attitudes différentes et une organisation coordonnatrice ou intégrante amènent une exploitation systématique des ressources. Dans notre échantillon, Dokis est un cas type.
Un autre point à retenir quand on considère l'indépendance économique comme facteur déterminant de l'organisation communautaire, c'est le fait que des collectivités disposant d'une organisation centrale, oeuvre du gouvernement, peuvent offrir l'apparence de l'indépendance, grâce à des subventions importantes et à une assistance technique. Cette apparence peut être trompeuse car, pour reprendre les mots d'un membre de notre équipe de chercheurs, on pourrait plus exactement décrire ces collectivités modèles comme des sociétés ou établissements de la Couronne. Commentant ce genre de situation dans un travail où il décrit une collectivité de ce genre, l'auteur souligne la subvention relativement importante accordée par la Direction des affaires indiennes pour des projets rentables
qui sont mis à exécution par le chef et le conseil et ainsi profitent plus ou moins à toute la réserve . . . une entreprise qu'on peut qualifier de société ou établissement de la Couronne. l'établissement est considéré ici comme un prolongement de la bureaucratie même. Par exemple, les nouveaux postes d'administrateur et de commis de bande sont définitivement un prolongement de la bureaucratie, et le personnel de la Direction considère ces employés comme "leurs propres fonctionnaires."
l'auteur signale aussi que le conseil et les membres d'une bande ne participent à peu près pas à l'administration; ils ne font qu'approuver les décisions bureaucratiques. Enfin, on parle d'un type de collectivité indienne établie à proximité de villes ou de villages, où il existe peu d'action collective destinée à promouvoir les fins communautaires locales. c'est le genre de collectivité où la richesse individuelle, qui provient des salaires gagnés, est beaucoup plus importante que la richesse de la bande, qui provient des valeurs immobilières, des ressources, et le reste. Dans ces cas, l'indépendance économique s'applique aux individus et aux familles, comme tels, et non en tant que membres d'une bande. Lorette, près de Québec, et Rice Lake, près de Peterborough, sont deux exemples de ce genre de collectivité où chaque Indien est tellement orienté vers la société environnante, en ce qui concerne le travail, les rapports sociaux et les services, que la réserve indienne elle-même ne peut être considérée comme une collectivité qu'au sens géographique.(Note de bas de page 159 )
Plus loin dans ce rapport, au cours de l'étude des travaux du conseil de bande, nous avons l'occasion de signaler quelques effets des factions antagonistes au sein des communautés. qu'il suffise de dire ici que les collectivités ne peuvent guère s'entendre sur diverses questions quand elles sont divisées intérieurement en plusieurs groupes affichant des intérêts contradictoires; cependant, ceci ne veut pas dire qu'une telle collectivité n'aura pas un groupe organisé centralement qui visera à la représenter dans son ensemble. Par exemple, dans deux de nos collectivités types, toutes les deux situées dans des régions agricoles, il y a une division très nette des classes sociales, qui comptent, au haut de l'échelle, quelques familles d'agriculteurs relativement riches et, au bas de l'échelle, un grand nombre de familles qui ont des emplois intermittents. La classe pauvre n'a pas d'organisation politique; en fait, elle se méfie de l'organisation. La classe riche dirige les quelques organisations communautaires, y compris le conseil de bande, et présente au monde non indien l'image d'une administration locale efficace. La classe pauvre n'a pas accès aux postes puissants et influents, sauf qu'on y recrute généralement quelques conseillers d'ordre secondaire. Ayant discuté avec les gens de la classe inférieure, nos enquêteurs ont découvert que ces derniers ne considèrent pas les riches comme de "vrais Indiens", niant en quelque sorte que les riches soient légitimement des membres qualifiés de la collectivité. Leur argument implique la notion, fréquemment observée par les enquêteurs dans les réserves indiennes, d'une éthique égalitaire, selon laquelle les riches devraient donner aux moins fortunés les moyens de vivre aussi bien qu'eux.
Les différences entre Indiens et Canadiens sont, en général, le plus marquées dans les collectivités où il existe une grande variation du statut économique, mais où les gens sont unis étroitement par des liens de solidarité fondés sur l'identification à une tradition tribale qui leur est chère (par exemple, chez les Haîdas, les Indiens du Sang et les Iroquois). Les gens pauvres ont alors une orientation de tendance traditionaliste, mais ils sont inclus dans les organismes du pouvoir et de l'influence. Ils sont plus hostiles aux Blancs que les riches et cherchent à combattre l'intrusion de notions non indiennes, comme le gouvernement par la majorité et l'élection des conseils. Cependant, ils ont aussi tendance à se joindre aux autres dans une action concertée, c'est-à-dire à participer activement à une organisation régulière; ainsi, ils exercent une certaine influence et font connaître leurs opinions.
Pour ce qui est des groupes à intérêts divergents d'une même collectivité, la situation est particulièrement difficile lorsque des membres de plusieurs bandes occupent la même zone géographique, ou lorsque des Indiens inscrits au registre partagent cette zone avec des personnes de descendance indienne non inscrites. Plusieurs personnes, qui n'ont pas le statut juridique d'Indien, adoptent le mode de vie indien et habitent au sein des collectivités indiennes (comme dans les Territoires du Nord-Ouest) ou à proximité (comme dans les provinces des Prairies). Au début, les mécanismes d'exclusion étaient purement juridiques, mais depuis ils sont devenus également sociaux. Le point essentiel est que, face aux changements qui s'opèrent dans le monde, ces personnes sont en butte aux mêmes problèmes, mais sont prisonnières de systèmes bureaucratiques différents, ce qui fait obstacle à une action concertée qui amènerait la solution des problèmes. Dans ces cas, plus d'une collectivité, considérées sous l'aspect social, sont comprises dans une seule localité géographique. La collectivité indienne, constituée juridiquement, fonde son action concertée sur un système que n'ont pas les autres collectivités. Nous trouvons une exception dans nos rapports d'enquêtes sur place; c'est à Le-Pas, au Manitoba, où l'on a adopté, mais sans beaucoup de succès, un programme destiné à copier la structure juridique d'organisation indienne qu'est le conseil de bande. Fort Resolution, dans les Territoires du Nord-ouest, signale une tentative en vue de contourner le problème découlant du fait que des groupes voisins sont liés à des organisations bureaucratiques différentes: la Direction des affaires indiennes verse tant par tête d'Indien considéré comme tel au sens de la loi, tandis que le gouvernement des Territoires tant par tête d'habitant vivant dans la localité, afin d'acquitter les frais d'installation d'une coopérative qui exploitera les ressources locales. l'impression générale glanée dans la littérature est qu'il faut un effort administratif monstre pour produire une action collective infime dans ces communautés géographiques qui comptent et des Indiens reconnus par la loi et d'autres personnes qui ont adopté le mode de vie indienne et doivent faire face aux mêmes problèmes. Un autre facteur qui ressort de nos rapports d'enquêtes se rapporte au noyautage physique de la collectivité. Bien que ce point ne semble pas aussi important que la solidarité sociale parmi les divers éléments de la collectivité, il est évident qu'on doit en tenir compte quand on cherche à expliquer pourquoi on trouve plus d'unanimité officielle et plus d'action collective dans certaines collectivités que dans d'autres. Il semble que dans la plupart des collectivités indiennes, les habitations sont disséminées sur une grande étendue, et il existe peu d'endroits de réunion publics qui prêteraient une expression tangible à l'intégration sociale au sein de la collectivité, si intégration il y a. Les données accumulées laissent croire que plus une collectivité est physiquement noyautée, plus elle aura de chance de posséder une vie collective durable. Ceci est particulièrement vrai dans le cas des localités où il y a divergence de points de vue chez des différents clans et où les membres sont orientés vers les groupes de parenté ou les cliques, plutôt que vers la collectivité en tant qu'entité sociale.
En résumé, les établissements communautaires les plus favorables à l'action collective sont ceux où il y a homogénéité dans les groupements tribaux, ceux qui possèdent une ressource fondamentale, propriété de la bande, qui permet une certaine indépendance économique et ceux où les habitations sont plutôt groupées.
Inutile de dire que lorsqu'il s'agit de déterminer la tendance vers l'action collective, d'autres facteurs de l'établissement communautaire entrent en ligne de compte, notamment l'événement relativement fortuit qui fait qu'une forte pression extérieure, une insulte ou une injure reçue pousse les membres de la collectivité à s'organiser dans un but précis. Comme nous n'avons que deux rapports sur ce genre d'action et de réaction sociale, nous nous bornerons à la mentionner. Un autre facteur favorable est la présence, dans la collectivité, d'une ou de plusieurs personnes dynamiques, mais sans autorité officielle, qui ont le sens de l'organisation, peuvent donner des conseils, possèdent des renseignements de première importance, distribuent les paroles d'encouragement, et le reste. Dans neuf des collectivités étudiées, nous avons prêté une attention spéciale à l'activité de ces personnes. Au risque de généraliser prématurément d'après des renseignements insuffisants, nous sommes portés à distinguer deux types différents de telles personnes, qui exercent une influence sans avoir d'autorité officielle: le catalyseur et le conseiller.
Le catalyseur le plus souvent un non indien, est la personne dynamique qui a une raison légitime d'habiter la communauté, qui incite les membres de différents groupements à une certaine forme d'action concertée, même s'il ne cherche qu'à encourager les discussions et la vie sociale. En général, il semble que ces personnes énergiques provoquent une réponse positive chez un bon nombre de membres dans la collectivité; toutefois, la permanence des groupements et de l'activité qu'ils entreprennent, dépend beaucoup de la continuité de leur présence et de leur action.
L'autre type, le conseiller, est l'éminence grise, une personne d'influence, qui n'a pas un poste officiel mais dont les conseils sont recherchés par ceux qui détiennent l'autorité. Ces personnes d'influence sont généralement des Indiens qui ont acquis une vaste expérience en dehors de la réserve. Effectivement, dans trois des collectivités étudiées, les personnes qui exercent ce rôle ne sont pas nées dans les milieux qu'elles influencent le plus; elles ne sont pas considérées comme faisant tout à fait partie de la bande. Elles ne sont pas aussi enfermées dans l'engrenage de la parenté et des clans que l'Indien ordinaire. Elles sont en quelque sorte cosmopolites. On les trouve le plus souvent dans des réserves plus avantagées, situées dans des régions agricoles ou agricoles-boisées, où ces personnes exploitent des entreprises. Parmi les fonctions sociales qu'elles exercent, l'une des plus importantes est celle d'agir comme points nodaux autour desquels se forme l'opinion publique sur certaines questions, ces questions ayant trait particulièrement aux problèmes du gouvernement local, et non à ceux du développement de la collectivité au sens large - le but ultime du catalyseur - ou à ceux du maintien de l'harmonie et de la solidarité internes ou de la discipline sociale.
Évidemment, il existe d'autres types de personnes influentes, qui ne sont ni catalyseurs ni conseillers cosmopolites, dont l'influence se traduit en efforts pour maintenir la solidarité, régler les différents, protéger et accroître l'identité collective, et le reste. Nous prêtons ici une attention spéciale aux catalyseurs et aux conseillers cosmopolites, parce que leurs rôles n'ont pas été décrits en ce qui concerne les collectivités indiennes au Canada. La personne influente dont le rôle est discret, agit dans la sphère effacée des relations officieuses, à l'arrière-plan; le catalyseur agit à l'avant-plan et cherche à promouvoir la création d'organisations destinées à canaliser les énergies communales, comme nous le verrons plus loin quand nous étudierons en détail quelques-uns de ces sujets.
II. ASSOCIATIONS VOLONTAIRES
Dans la première partie de ce rapport, nous avons traité le sujet des organisations chez les Indiens, particulièrement du point de vue du développement économique et politique. Nous avons discuté surtout des organisations importantes, de celles qui rapprochent les Indiens et les non-Indiens. Ici, nous nous occupons surtout des organisations locales et, en particulier, de ce que nous appellerons les associations volontaires.
Nous ne nous chicanerons pas sur les mots et adopterons la définition populaire de l'expression association volontaire: si une association formée de plein gré dans un but quelconque n'est pas définie comme gouvernementale, nous l'appelons volontaire, en présumant qu'un individu est obligé d'appartenir aux groupements gouvernementaux, comme les municipalités, les provinces et les États, tandis qu'il n'est pas tenu d'appartenir aux autres, comme les chambres de commerce, les syndicats, les ligues de tempérance, etc.
Dans notre société, on est porté à croire qu'il est désirable de favoriser la création d'associations volontaires, but valable en soi. Les gens considérés comme le pivot de la société sont souvent les chefs des associations volontaires, comme les clubs sociaux, les organisations professionnelles, les clubs récréatifs, les associations religieuses, et le reste.
Depuis quelques années, les porte-parole indiens, ainsi que les organismes et les non- Indiens concernés, ont encouragé la création et le développement d'associations au sein des réserves, dans les villes et les cités, aux paliers régional et national. Les dossiers de la Direction des affaires indiennes contiennent 35 noms d'associations régionales et nationales, dont la plupart sont apparues au cours des dix dernières années. Les membres et les directeurs de la plupart de ces associations sont exclusivement indiens. Il existe aussi un grand nombre d'associations locales, comme les amicales, qui n'apparaissent pas aux dossiers.
Dans six des collectivités décrites par notre équipe de recherche, on mentionne précisément les efforts accomplis en ce sens par des personnes aussi différentes - dont quelques-unes sont comprises dans la catégorie des catalyseurs mentionnés au chapitre précédent - que des missionnaires, des agents du développement communautaire, des représentants de syndicats et des Indiens qui ont suivi les cours d'administration offerts par la Direction. La plupart des autres rapports d'enquête décrivent des organisations communautaires durables, mais sans préciser leur origine.
Les ouvrages de moindre importance traitant des bandes qui vivent clans les régions sub- arctiques et dans les régions boisées plus éloignées, contiennent peu de mentions relatives aux associations. Ces bandes sont décrites comme des groupes qui progressent sans avoir beaucoup d'organisation administrative. Les liens sociaux de parenté et d'amitié sont apparemment assez forts pour supporter le fardeau social de l'entraide, des loisirs, de l'adaptation, et le reste. Ceci semble vrai pour les bandes moins importantes. Dans quelques- unes des bandes plus importantes situées plus au nord (Fort Franklin, Fort Resolution, Fort Rae et Aklavik) on rapporte depuis quelque temps un nombre croissant d'organisations, surtout celles qui concernent la subsistance, comme les conseils et les coopératives de piégeage. Deux des bandes comprises dans notre échantillonnage sur place, qui comptent le plus d'associations, sont situées à Port Simpson et Masset, au nord de la Colombie-Britannique; ces deux bandes ont chacune une population de plus de 600 membres. Donc, le simple fait d'être dans les forêts du Nord, ou en tout autre endroit isolé, ne suffit pas pour expliquer l'existence des associations.
D'après notre enquête sur place, nous croyons pouvoir avancer que les principales variables permettant de prédire le nombre et la permanence des associations locales sont à peu près les mêmes que celles qu'on observe en rapport avec l'action concertée au palier communautaire: importance de la collectivité, perméabilité des limites sociales qui restreignent le groupe, homogénéité de la population de la réserve en ce qui a trait à la langue et à l'origine tribale; précédents et prédispositions culturels; influence des institutions non indiennes dans la collectivité. Nous discuterons chacune de ces variables. Disons ici que plus la collectivité est importante, plus il existe apparemment de différence sociale entre elle et la société environnante, plus il y a homogénéité de langue et d'origine tribale, moins l'Etat, l'Eglise et le commerçant sont puissants localement, et plus il y aura d'associations variées et durables, surtout si, depuis les temps historiques, le groupe a été porté vers la spécialisation dans les fonctions communautaires.
Il y a probablement, en ce qui concerne l'importance numérique d'une collectivité, une limite au-dessous de laquelle une ou plusieurs associations volontaires auront peine à survivre, où, de fait, elles ne sont pas requises du point de vue sociologique. Chez plusieurs des bandes moins importantes étudiées au cours de notre enquête, comme les Cheams et les Dokis, la vie des associations est très faible, ou même nulle. Dans deux petites localités rattachées à notre échantillon, des Indiens qui en avaient acquis la notion pendant les cours de direction ont tenté énergiquement de créer des associations. Même si leurs réalisations semblent imposantes sur papier — chacune affiche une liste de plusieurs sociétés et clubs distincts — à peine quelquesunes sont vraiment actives, au dire des observateurs, et leur permanence dépend beaucoup des efforts continus de leurs initiateurs. Ceci n'implique pas que ces collectivités ne sont pas intégrées, qu'il n'existe pas de liens servant à grouper la population, mais seulement que le processus d'intégration communautaire s'accomplit sans beaucoup d'agencement officiel des relations.
Évidemment, le fait d'avoir une population de 500 habitants ou plus n'est pas une garantie qu'il y aura des associations durables. d'abord, il se peut que la bande soit si étroitement intégrée à une importante localité environnante, que ses associations deviennent liées à celles de cette localité. Nous avons déjà laissé entendre que les bandes de Lorette et du Lac Rice sont des exemples de ce genre d'intégration suburbaine. On pourrait exprimer la même idée en disant que, dans ces cas, les limites sociales entre la bande indienne et la localité environnante sont perméables, que plusieurs liens unissent les Indiens et les non-Indiens. Il ne faut cependant pas oublier que le voisinage géographique n'implique pas le rapprochement social, Là où le groupe indien cherche délibérément à maintenir la distance sociale, où les groupes environnants n'acceptent pas les Indiens, les organisations locales ont beaucoup de chances de naître et de survivre, à condition que la population soit assez nombreuse et que le besoin d'organisation se fasse sentir.
d'après nos renseignements, il semble que les associations sont plus susceptibles de durer lorsque le groupe est homogène quant à la langue, la religion et l'origine tribale. Un groupe nombreux qui se réclame d'une même source, parle la même langue ou dont les ancêtres parlaient la même langue, jouit d'une solidarité appuyée par la tradition. Si un tel groupe possédait déjà une série d'associations lors de la période pré-moderne, il est probable qu'il créera aussi quelques associations durant la période contemporaine. La littérature nous parle des nombreuses associations qui existaient chez les Iroquois. Dans notre enquête sur place, les Indiens du Sang de l'Alberta, qui constituent une tribu homogène, sont un exemple d'un groupe relativement important (plus de 2,000) qui, délibérément, refuse de se mêler à la société non indienne et qui possède un important héritage d'associations traditionnelles. Nous nous hâtons d'ajouter que le manque d'organisation officielle dans le passé n'exclut pas la possibilité de créer des associations prospères. A Le-Pas, la bande indienne, qui compte plus de 700 membres, a formé une série importante d'associations, bien que leurs ancêtres aient vécu sous une sorte de régime dépourvu de formalités et d'associations, régime apparemment typique des forêts du Nord.
Comme nous l'avons déjà souligné, lorsqu'une institution, plus précisément ses agents, dominent une collectivité, y exerçant une autorité et une influence marquées, il se formera peu d'associations volontaires locales. Ceci ne veut pas dire qu'il n'y aura guère ou pas d'associations, puisque les agents de l'institution en cause (par exemple, une Église ou un organisme de l'État) peuvent pousser la formation de plusieurs associations formées des mêmes membres ou supportées par le même organisme. Ce que nous entendons ici, c'est que ces associations ne provoqueront qu'un intérêt minimal chez la population locale. Nos recherches ne nous fournissent pas beaucoup de preuves à l'appui de ce point de vue, parce que la grande majorité des collectivités comprises dans notre enquête ne sont pas dominées par une seule organisation existant au palier local. Cependant, les renseignements recueillis dans deux collectivités affichant ce genre de domination centralisée exercée par une institution non indienne, nous portent à croire que les agents de l'institution s'intéressent d'abord à l'institution elle-même, et ensuite à la collectivité, et considèrent l'association comme un simple moyen d'arriver aux buts de l'institution.
Notre enquête révèle l'existence, au palier local, de diverses associations qui démentent l'idée courante de l'indien opposé aux organisations. On peut décrire ces associations en fonction de leurs buts, de leurs fonctions, de leur parrainage, de leur inclusivité ou exclusivité comme structures importantes, comme les régions, et selon qu'elles ne comptent que des membres indiens ou non.
Le type le plus fréquent est celui qui s*occupe des relations sociales, de l'entraide et du maintien de l'identité culturelle. Cette classification comprend le sous-type le plus fréquent, qui consiste en un groupement organisé dans des buts propres à la collectivité: récréation et service social. Pour les étrangers, les plus connues de ces associations sont les cercles d'arts domestiques, subventionnés par la Direction des affaires indiennes, qui veut encourager la participation de la femme indienne. Ces clubs existent dans sept des collectivités visées par notre enquête, et deux de ces clubs sont réputés très actifs. Les observateurs rapportent que dans deux autres collectivités, seules quelques femmes prennent part à l'activité des cercles d'arts domestiques. Quant aux trois autres, il est difficile d'évaluer leur importance, car on n'a pas eu l'occasion de les voir à 1 ‘oeuvre. Les femmes auxiliaires des groupes religieux ont une organisation assez semblable à celle des cercles d'arts domestiques, sauf que ces dernières associations sont typiquement dominées par des non-Indiens. Signalons le groupe appelé les Willing Workers, dans la réserve de Le-Pas, qui représente une variation du thème des organisations féminines. II s'agit d'un groupe strictement local, présidé par la femme du chef du Conseil de bande. C'est d'abord une organisation d'entraide dont le rôle consiste notamment à prêter l'argent requis pour les mariages et les enterrements. On rapporte l'existence d'un groupe semblable à Fort Simpson. Ce groupe, appelé Happy Gang, se compose de jeunes femmes qui fournissent l'argent nécessaire à l'achat de cadeaux de Noël, des couronnes mortuaires, et le reste, utilisant à cette fin les fonds recueillis lors de soirées dansantes. Les écrits traitant de ces diverses organisations féminines font penser aux hameaux ou villages ruraux typiques, avec leurs réunions de femmes adultes qui s*occupent des cercles de couture, vendent des pâtisseries, décorent les églises: et le reste. Comme dans les collectivités non indiennes, ces groupes sont le plus souvent dirigés par les femmes les plus en vue de la localité, telles l'épouse du ministre du culte, l'institutrice, l'infirmière ou l'épouse du Chef. Quand il y a plus d'une association féminine, on trouve souvent à leur tête le même groupe de femmes, sauf si la localité compte plus d'une secte religieuse. Encore une fois, on peut dire que ce modèle s'applique aussi aux collectivités non indiennes d'importance comparable.
Parmi les associations dont l'intérêt est centré sur les relations sociales, citons celle qui permet aux non-Indiens de devenir membres et de participer à l'activité de l'association afin de rapprocher des gens d'origine diverse. l'Amicale de Le-Pas est un exemple, puisqu'elle groupe des Indiens, des Métis et des Blancs. Le club Mika Nika de Kamloops est un autre exemple.(Note de bas de page 160 ) Le Trail Rider*s Club, dans la réserve des Indiens du Sang, organise annuellement un camp qui réunit des Indiens et des Blancs. Le United Church Men ‘s Club de Goodfish (section de la bande du lac Saddle) a été formé par le ministre de cet endroit dans le but
. . . .d'élargir les vues de chacun, en invitant des conférenciers, et de favoriser l'intégration de la population indienne de la localité, en tenant alternativement les réunions dans la salle communautaire de la réserve et dans l'hôtel de ville d'Ashmont.
Ces organisations, dont le but premier est d'améliorer les relations entre les groupes ethniques, visent aussi, de façon implicite, à exposer la population indienne aux moeurs des étrangers afin de leur apprendre à vivre en société.
A propos des groupes dont les membres sont d'origines diverses, nous devons signaler la participation croissante des Indiens à l'Association des alcooliques anonymes, dont nous avons parlé dans quatre de nos études sur les collectivités. Il est significatif que les participants indiens sont pour la plupart recrutés parmi les éléments les plus influents de la collectivité: chefs, conseillers, présidents d'organisations de la réserve, ceux-là mêmes qui ont adopté, du moins en apparence, le mode de vie bourgeois. Quels que soient les résultats thérapeutiques, c'est dans le cadre des Alcooliques anonymes que les Indiens se rapprochent le plus des non- Indiens, ayant des rapports d'égaux à égaux, comme des gens qui ont les mêmes problèmes.
d'après les rapports fournis par nos enquêtes, nous avons l'impression très nette que les associations volontaires les plus vigoureuses, en milieu indiens sont celles qui se déclarent strictement indiennes et qui visent à coordonner l'activité relative à la vie sociale, aux divertissements, au rituel et à la protection des intérêts indiens sur le plan local. Certaines sont strictement locales, d'autres s'étendent à la tribu et à la région. d'aucunes sont structurées selon les modèles existant dans la société environnante; d'autres trouvent leurs modèles dans les coutumes traditionnelles.
Si l'on considère d'abord les associations dont la portée est strictement locale, on remarque qu'il est impossible de déterminer leur rôle d'après leur titre ou leur constitution. Prenons, par exemple, le Club athlétique de Masset, qui comprend presque toute la population mâle entre 16 et 45 ans. Comme son nom l'indique, ce club organise des équipes et des événements sportifs; toutefois, il agit aussi comme groupe de pression dans la politique locale, faisant ouvertement campagne en faveur de certains candidats aux élections du Conseil de bande, dont quelques-uns ont été des directeurs ou doyens du club, II organise aussi des soirées dansantes, en plus de participer et de contribuer aux funérailles. En résumé, le nom du club renseigne mal sur ses fonctions et ses pouvoirs réels. On rapporte l'existence d'associations semblables dans d'autres réserves d'importance. Pour n'en mentionner qu'un, le Walpole Island Conservation Club, s'occupe particulièrement, comme son nom le laisse entendre, d'un objectif déterminé; il exerce un contrôle sur l'emploi généralisé des anti- parasitaires. Pourtant, ce club joue aussi un rôle considérable sur le plan de l'administration locale; c'est un groupe de pression et il s'arroge le droit de déterminer ce- qui est désirable pour l'ensemble de la collectivité et pour les Indiens en général. Comme le Club athlétique de Masset, son activité envahit plusieurs domaines de la vie communautaire. Ces clubs doivent une grande part de leur succès au fait qu'ils peuvent se réclamer de leurs droits en vertu de leur caractère indien, même si leur structure et leur mode d'opération sont copiés sur des modèles non indiens.
Il y a aussi, au sein des bandes indiennes, des organisations et des comités qui s'occupent de coordonner les événements récréatifs et cérémonieux groupant des Indiens de plusieurs localités. Parmi les organisations décrites dans nos rapports d'enquêtes, citons les Danseurs indiens du Mont Currie; l'Association du rodéo indien des Pieds-noirs, qui compte des membres parmi les Indiens du Sang; le Festival du lac Cultus, chez les petites bandes Chilliwaks; les associations inter-communautaires qui rattachent des groupes iroquois, comme le Spectacle traditionnel des Indiens des Six Nations. Les rapports de ces associations donnent l'impression d'une participation enthousiaste et générale à l'activité qui rapproche, au palier régional ou tribal, les Indiens de localités déterminées. Certaines de ces manifestations sont sacrées et solennelles; d'autres - comme les épreuves sportives - sont divertissantes et agréables. Elles ont un trait commun, qui est l'interaction des Indiens au-delà des limites communautaires et l'expression de quelque chose de plus grand que la solidarité locale. En fait, elles informent le monde de leur existence continue, non au sens biologique, mais au sens social, en tant que groupes indiens distincts. Il serait intéressant d'étudier le développement des liens inter-communautaires, par rapport aux progrès de la technologie, à l'expansion des routes et des modes de transport, surtout de l'automobile, au cours des dernières décennies. Malheureusement, nous ne possédons pas de données historiques suffisantes pour nous permettre des déclarations précises à cet égard; néanmoins, nous croyons que les progrès réalisés dans le domaine des communications et des moyens de transport ont augmenté, ces derniers temps, l'influence réciproque des Indiens au-delà des limites locales et que cette tendance va s'accentuer dans l'avenir. Le groupe de pression et de protection, qui s'apparente aux associations de groupes ethniques très répandues au Canada, est un autre type d'association fonctionnant sur le plan régional, voire national, et que nous retrouvons dans quelques localités. Certaines d'entre elles, comme l'Association des Indiens et des Esquimaux du Canada,(Note de bas de page 161 ) ont été créées par des non- Indiens, mais la plupart sont patronnées par des Indiens et leurs membres sont indiens. Ce sont les provinces de l'Ouest qui comptent le plus d'associations régionales. Comme notre intérêt est centré surtout sur l'administration et l'organisation au palier local, nous ne chercherons pas à évaluer l'importance de ce genre d'associations ethniques pour le Canada dans son ensemble. Quand elles existent au palier local, nos enquêteurs rapportent que l'intérêt qu'elles suscitent n'est pas général et se limite aux membres les plus en vue de la collectivité. Deux rapports mentionnent que nos informateurs manifestent une certaine méfiance au sujet des associations nationales et régionales; à leur avis, les dirigeants de ces associations ne sont pas de vrais Indiens.
Vu l'insuffisance de nos renseignements il nous est impossible de savoir exactement jusqu'à quel point ces associations se font les interprètes des opinions, récriminations et souhaits de la localité. Le gouvernement affiche un désir évident d'aider à créer une structure de canalisation, mais il semble plutôt favoriser l'établissement de conseils consultatifs régionaux à caractère quasi-gouvernemental. Le genre d'associations qui nous occupe a surtout le mérite d'apporter aux diverses collectivités des communications exprimant l'opinion concertée d'un plus grand nombre d'Indiens, ce qui peut faciliter la formulation des objectifs au palier local et la définition ou re-définition de l'identité indienne. A la longue, ces associations peuvent se révéler précieuses pour les Indiens en tant que groupe ethnique plutôt que comme membres d'une collectivité donnée. Le type d'association qui s'occupe de négocier avec les employeurs, même s'il se rencontre rarement chez les Indiens, touche plus directement aux questions d'adaptation aux conditions économiques et politiques. Les Indiens constituent le groupe ethnique le moins bien organisé et le moins intégré sur le plan du syndicalisme. Notre enquête ne comprend que deux collectivités où les syndicats ont établi des sections locales: ce sont Port Simpson et Masset. c'est dans cette région du nord de la Colombie-Britannique qu'a été fondée et a prospéré la Native Brotherhood of British Columbia, la première association indienne qui traite des problèmes économiques auxquels les Indiens doivent faire face dans l'industrie de la pêche. Avec le temps, cette association a étendu son champ d'action à d'autres domaines, comme les revendications relatives aux terres des Indiens, les droits de citoyenneté, et le reste; néanmoins, sa principale activité consistait à représenter les travailleurs indiens et à négocier pour eux. Notre enquête rapporte que, du moins à Masset, cette association doit faire face à une forte concurrence de la part de la section locale des débardeurs, affiliée à l'Union des pêcheurs et travailleurs assimilés unis, syndicat dont les dirigeants ne sont pas indiens et dont le siège social est établi à Vancouver. Selon notre enquêteur, ce syndicat recrute des membres appartenant à la Native Brotherhood (et surtout de la Native Sisterhood, son pendant féminin) parce que cette dernière manque comparativement de vigueur et n'obtient pas de succès dans ses négociations avec les employeurs.
La coopérative est un autre type d'association qui s'intéresse à l'adaptation économique. d'après notre enquête sur place, c'est Fort Alexander, au Manitoba, qui accuse le développement le plus remarquable à cet égard, comptant trois coopératives locales actives. Comme ces coopératives n'ont été lancées que quelques années avant la visite de notre enquêteur dans la localité, il est encore trop tôt pour en évaluer l'efficacité. Cependant, même après une courte période d'exploitation, il est devenu évident que les coopératives assument un rôle important dans l'organisation communautaire, non seulement comme associations économiques mais aussi comme organismes de coordination et d'autorité sociale servant à plusieurs fins. Comme nous le mentionnons plus loin, cette collectivité est divisée en deux clans, dont l'un est numériquement minoritaire, et c'est le clan le plus nombreux qui appuie le mouvement coopératif avec le plus d'enthousiasme. l'établissement des coopératives a donc apporté un nouveau centre d'organisation pour un clan de la collectivité, tout en fixant une nouvelle ligne de démarcation entre les clans.
En considérant le tableau qu'offrent les associations dans notre rapport, nous constatons que certaines méthodes de recrutement, de soutien et d'intégration se répètent. Dans la plupart des endroits, le travail que demande l'association est effectué par quelques personnes seulement, souvent membres d'une même famille - comme un groupe de frères et soeurs adultes - ou d'un groupe de personnes éminentes. Comme les gens influents dont il a été question au chapitre précédent, ces personnes ont probablement acquis de l'expérience en dehors de la réserve et connaissent bien la structure des organisations non indiennes. Il existe une exception à cette règle générale: c'est le cas des associations qui s'appuient sur les modèles traditionnels, comme la société militaire selon la classification d'âge (?) chez les Indiens du Sang et les sociétés religieuses chez les Iroquois; les chefs de ces sociétés sont généralement très engagés dans la tribu ou le groupe local. Le grand public donne un appui très actif et général aux associations qui concentrent leurs efforts sur la vie sociale, les sports et les divertissements, plus spécialement quand cette activité intéresse des groupes venant d'autres localités.
On distingue trois régimes d'intégration des groupes au sein des collectivités. On en trouve un exemple dans la réserve des Indiens du Sang, où les diverses associations sont intégrées en fonction d'un partage des tâches, formellement admis, sans qu'il y ait une autorité centrale puissante. Les associations ne se font pas concurrence. Les membres de la tribu s'entendent sur les fonctions dévolues à chaque groupe et sur la légitimité des associations. Les plus vigoureuses semblent être celles qui sont structurées selon les modèles traditionnels. A Mount Currie, il existe un régime d'intégration quelque peu semblable; on y trouve plusieurs organisations dont les fonctions sont complémentaires et qui ne rivalisent pas entre elles; cependant, la plupart d'entre elles sont modelées sur des organisations non indiennes. Les membres ne s'entremêlent pas beaucoup, mais il existe un point central qui les rattache tous, l'Eglise catholique romaine qui, cependant, ne domine pas les associations. Il s'agit donc, tant à Mount Currie, que chez les Indiens du Sang, d'un régime essentiellement décentralisé. De ce fait, la structure des associations se trouve hors du contrôle et des intérêts de l'autorité officielle ou de toute autre institution ou groupe de personnes.
Il existe un autre régime en vertu duquel les membres et les postes administratifs s'entremêlent, formant un réseau qui relie les diverses associations. c'est le régime le plus courant dans les petites réserves; cependant, on Je retrouve dans quelques réserves plus importantes, comme Le-Pas, où la majorité de la population appartient à l'une ou l'autre association, ces associations étant reliées entre elles à cause de l'affiliation multiple de leurs membres. Suivant ce mode d'intégration, l'association est étroitement liée, dans sa structure, au conseil de bande; celui-ci peut alors être considéré soit comme un appui ou comme l'âme dirigeante de tout le réseau d'organisations. A Fort Alexander et à Nipissing, on retrouve la centralisation qui résulte de l'affiliation multiple des membres et des directeurs des associations et du conseil de bande; cependant, dans ces deux localités, des groupes importants sont plus ou moins tenus à l'écart de l'association en tant que structure sociale. Dans de telles situations, il est probable qu'il existera des organisations concurrentielles ou contradictoires.
Rien dans nos rapports d'enquête ne laisse supposer qu'il y ait inaptitude inhérente chez les Indiens à participer à des entreprises collectives comme il s'en trouve dans maintes associations volontaires. Au contraire, si une action collective est nécessaire, les Indiens qui s'en rendent compte sont disposés à former des organisations locales ou à y participer. A cet égard, les Indiens ne diffèrent pas beaucoup des autres individus qui vivent dans les mêmes conditions, de sorte que si l'on éprouve quelque difficulté à stimuler une action collective, cette difficulté ne découle pas du caractère indien, mais plutôt des facteurs socio- économiques, comme nous l'avons laissé entendre dans la première partie de notre enquête.
Chapitre VII - Caractères généraux des conseils de bande
Dans le prochain chapitre, nous traitons d'une sorte d'organisation, le conseil de bande. Dans la première partie de notre rapport, nous avons accordé une attention toute spéciale à l'étude des aspects politiques et juridiques des conseils de bande; il fallait donc prévoir certaines répétitions. Toutefois, nous ne traiterons pas ici des caractéristiques officielles des conseils de bande. Nous étudierons les tendances qu'accuse le fonctionnement interne de ces unités, et attirerons l'attention sur leur signification respective au sein de diverses collectivités.
Si nous avons décidé de nous pencher aussi longuement sur les conseils de bande, ce n'est pas que nous les considérions comme les unités les plus importantes dans l'organisation communautaire, car ce serait préjuger de leur importance. Deux raisons nous poussent à faire ici une étude approfondie des conseils de bande. d'abord, ce sont les seules unités officiellement constituées d'administration locale qu'on trouve au pays; il est donc plus facile de les multiplier, en vue des changements projetés au palier national, que de multiplier les autres unités d'organisation communautaire. Ensuite, nous avons ici une bonne occasion de présenter les nombreux renseignements recueillis sur le sujet, puisque, jusqu'à présent, on n'a jamais fait une étude méthodique, à l'échelle nationale, sur les Conseils de bandes.
Dans la discussion qui suit, il importe de ne pas oublier que les conseils de bande ne sont pas de simples rouages d'administration locale au sens ordinaire de ce terme. Comme nous l'avons déjà mentionné dans ce rapport, les conseils de bande sont des organismes d'administration locale qui intéressent les exploitants des terres administrées par la bande; ces organismes s'occupent de questions ordinaires d'ordre local, comme le réseau d'égouts, les ponceaux, les autobus scolaires, les prestations de secours, et le reste. Mais ce sont aussi des corps constitués selon la loi, investis de la responsabilité relative aux traités, aux fonds placés en fiducie, aux capitaux et revenus de la bande. A cet égard, ils ressemblent aux sociétés financières, dont les fonctions s'étendent au-delà des exploitants des terres administrées par la bande, jusqu'aux membres de la bande qui ne vivent pas dans la réserve.
Quelle est l'importance des conseils de bande? Quelle est leur importance en tant qu'organismes chargés de représenter les points de vue, les aspirations et les besoins des Indiens, comme coordinateurs des organisations communautaires qui influent notablement sur la population, ou comme organismes investis d'une autorité sociale? Avant de puiser dans les renseignements recueillis au cours de cette enquête dans le but de répondre à cette question, voyons d'abord brièvement quelques arguments généraux qui se dégagent des études antérieures. Si nous revenons dix ans en arrière pour jeter un coup d'oeil sur l'étude approfondie de la vie indienne en Colombie-Britannique, nous constatons qu'à cette époque, la question du conseil de bande était évaluée de la manière suivante: il est préférable de séparer les charges des conseils qui ont trait à l'administration locale et leurs autres tâches corporatives, recommandation partiellement répétée dans la première partie du présent rapport. Comme bon nombre de conseils de bandes de moindre importance n'exercent que peu de fonctions significatives, on recommande d'augmenter la participation à l'administration locale, en créant des structures plus importantes, qui comportent plus de tâches, comme les conseils d'agence. Nous reviendrons plus loin sur cette question. d'après l'argument principal qui ressort de l'étude faite en Colombie-Britannique, les conseils de bande sont, en puissance, des véhicules de la plus haute importance pour amener les changements sociaux.
A l'encontre des autres études antérieures, celle-ci explique ce que les conseils de bande accomplissent vraiment en Colombie-Britannique. Après avoir observé les réunions des conseils de bande tenues entre 1952 et 1954, cette étude énumère les sujets inscrits aux programmes des conseils de bande dans cette province. Parmi la grande variété des sujets couverts, Hawthorn et ses collègues tirent quelques catégories qui peuvent englober les affaires transigées par les conseils de bande:
. . . .a) le surintendant commence une discussion en vue d'obtenir une résolution officielle qui permettra d'appliquer sa ligne de conduite. . . . ce sont les questions de ce genre qui constituent la plus grande partie des articles au programme et qui demandent le plus de temps... . . . .b) le surintendant requiert des faits qui lui permettront de prendre une décision administrative . . . Les renseignements dont il a besoin peuvent se rapporter à des biens appartenant à une personne décédée . . . au degré d'indigence d'une personne qui lui demande du secours; à l'intention d'établir résidence manifestée par une personne d'un statut douteux. . . (dans quelques cas, il accepte les recommandations) des conseillers. . . Nous croyons qu'en déléguant cette tâche aux conseillers, nous les inciterons à accepter une responsabilité administrative... . . . .c) le surintendant désire obtenir les opinions des membres du conseil sur des questions de politique . . . .d) le conseil de bande amorce une discussion en vue d'obtenir l'intervention du surintendant ou certaines installations. Le fait que ces articles figurent au programme peut être considéré comme un indice du succès de l'évolution du conseil. Si tel est le cas, nous devons dire que les conseils ont encore beaucoup de chemin à parcourir (1956)... . . . .e) l'adoption de règlements disciplinaires. . . Les conseillers ne semblent pas savoir qu'ils peuvent adopter de tels règlements . . . .f) l'encouragement à l'égard de questions morales ou relatives au bien-être social (de la part des surintendants). . . . .g) le règlement des différends...habituellement d'un caractère civil, concernant, par exemple, le legs d'une terre ...(Note de bas de page 162 )
d'après les extraits cités ci-dessus, on constatera que les fonctions sociologiques des conseils de bande peuvent se grouper sous deux catégories principales. Il y a d'abord une fonction représentative, en vertu de laquelle les conseillers représentent le gouvernement auprès de la bande et la bande auprès du gouvernement. On pourrait aussi l'appeler la fonction intermédiaire. Cette tâche consiste en partie à canaliser la transmission de certaines communications entre la bande et le monde extérieur. Dans l'exercice de ce rôle représentatif, le conseil de bande approuve officiellement des mesures et des décisions provenant de l'intérieur ou de l'extérieur de la bande. d'après les renseignements donnés dans l'étude portant sur la Colombie-Britannique, il semble que le rôle principal du conseil de bande était, en l'occurrence, de sanctionner les mesures et les décisions de l'extérieur, exprimées par l'intermédiaire du surintendant.
II y a deux autres fonctions qu'on ne mentionne pas dans cette étude, mais qui, en théorie, incombent aux gouvernements; ce sont: la coordination de l'activité qui importe à l'ensemble du groupe et la formulation de projets et d'objectifs à long terme au nom du groupe gouverné. Les résultats de notre enquête illustrent ces deux fonctions, qui, apparemment, n'avaient pas beaucoup d'importance pour les conseils de bande de la Colombie-Britannique vers le milieu des années 50. A cette époque, il semble que les conseils de bande avaient peu d'importance politique et administrative. Quand le conseil de bande s'intéresse aux lignes de conduite et aux programmes visant à l'avancement politique et économique de la bande et quand il s'occupe activement de coordonner l'activité relative à cet avancement, on dit qu'il remplit un rôle de direction et d'adaptation. Par exemple, lorsque le conseil de bande agit à la façon d'un conseil municipal, traitant avec d'autres groupes non indiens d'administration locale ayant des intérêts communs; lorsqu'il agit à la façon d'une agence immobilière, amorçant des transactions avec des individus ayant des intérêts industriels et commerciaux; lorsqu'il favorise l'exploitation des ressources de la bande, en établissant des rapports entre ses membres et les sociétés d'exploitation forestière, les touristes, les pêcheurs et chasseurs, et coordonne les efforts de ses membres en vue de fournir des services et des marchandises à ces fins; lorsque ce genre d'exploitation constitue une part importante des transactions effectuées par le conseil, et surtout lorsque cette activité décide des principales sources de revenus de la bande, on peut dire que le conseil de bande exerce une grande influence sur l'orientation générale de la collectivité et qu'il remplit un rôle de direction.
On peut établir un rapprochement entre ce rôle et deux autres fonctions, soit la fonction administrative, qui a trait à l'aspect personnel et matériel, comme les allocations de bien-être, les autobus scolaires, les routes de la réserve, et le reste, et la fonction dite socioémotionnelle, qui a trait aux différends, à l'intégration dans la collectivité, à l'identité de la tribu ou de la bande, aux activités rituelles, et le reste. d'après les ouvrages consultés, les conseils de bande élus s'intéressent rarement à ces questions socio-émotionnelles, mais les faits que nous présenterons plus loin montrent un intérêt accru en ce qui concerne l'entreprise personnelle et matérielle, ainsi que les mesures d'adaptation. Disons ici, en guise d'entrée en matière, que les fonctions représentatives et intermédiaires, soulignées par le groupe Hawthorn, en 1958, dans le cas de la Colombie-Britannique, sont les plus importantes pour la plupart des conseils de bande. Comme nous l'avons vu, ils ont considéré que ceci donnait une certaine mesure de l'importance limitée, mais grandissante, des conseils de bande.
Cette opinion au sujet de l'importance limitée des conseils de bande, notamment lorsque la population est peu nombreuses et que les ressources de la bande sont peu considérables, se retrouve dans plusieurs ouvrages récents portant sur l'activité des conseils de bande. Aux fins de notre étude, nous avons désigné ces ouvrages comme des sources secondaires de renseignements, qui contiennent des exposés sur la vie contemporaine dans les régions reculées du Nord, depuis Alert Bay, près de l'ile Vancouver, jusqu'au Labrador, à l'est. Ces ouvrages reprennent tous un certain nombre de thèmes, que nous exposons ici brièvement. Peut-être le plus important des thèmes ainsi abordés est-il le manque de concordance qui existe entre les conseils de bande élus et leur fonctionnement, d'une part, et les structures traditionnelles et leur fonctionnement, d'autre part. Autre thème qui revient souvent: le désir évident d'obtenir l'unanimité et la croyance selon laquelle le système électoral et le gouvernement par la majorité s'opposent à l'obtention de cet objectif, parce que ces systèmes extériorisent les discussions qui existent entre les clans et les individus. Malheureusement, ces études décrivent rarement le véritable régime d'administration, car elles s'appliquent surtout à comparer la situation présente avec les situations aborigènes. A la lecture de ces exposés, on conclut à l'affaiblissement des rares structures de direction indigène qui existaient. On nous rappelle à maintes reprises la faible importance des conseils de bande officiels comme organismes chargés de prendre des décisions, comparativement à la position qu'occupe le leadership indien, quel qu'il soit, dans la structure du pouvoir occulte. Ces exposés nous renseignent sur le rôle difficile du chef, qui doit agir comme intermédiaire, ou agent de liaison, entre les Indiens et le gouvernement.
Dans la plupart de ces études, le chef et les conseillers sont représentés, à certaines fins, comme des voies de communication entre la bande et le gouvernement et comme des rouages de la structure administrative, par opposition à la structure politique. On rapporte que, dans plusieurs localités, les membres de la bande ne leur attribuent comme rôle attitré que celui d'intermédiaires entre la bande et le gouvernement. Ces récits soulignent la tension attachée à ce rôle, tension qui résulte des pressions contraires. On signale parfois que la qualité maîtresse recherchée chez les candidats à ce poste est le caractère inoffensif; la personne désirée est celle qui ne s'aliénera ni les étrangers ni les membres de sa bande. Cette qualité est apparemment le plus admirée lorsque l'on cherche fortement à maintenir un front public de solidarité et d'harmonie. Ceci implique qu'il faut, avant de faire un choix, s'assurer le consentement des personnes éminentes de la communauté. Malheureusement, ces ouvrages secondaires ne citent à peu près pas d'exemples illustrant concrètement la manière dont les chefs et les conseil-1ers contribuent à maintenir cette manifestation évidente de solidarité.
D'après l'image typique relevée dans ces études les chefs et les conseillers n'ont guère de latitude ni en ce qui concerne l'administration des revenus des bandes, car celle-ci n'ont à peu près pas de revenus, ni en ce qui a trait au développement économique des bandes, dont les possibilités sont très limitées, ni pour ce qui est de la discipline sociale, car ils hésitent à exercer le peu d'autorité qu'ils possèdent; ni pour le maintien de la solidarité et de l'identité propre à leurs membres, puisque d'autres personnes plus traditionnalistes et plus influentes s'acquittent de cette fonction; ni du point de vue de l'exercice de l'autorité, car le pouvoir réel appartient aux étrangers, comme les commerçants, les missionnaires, les agents du gouvernement, les Indiens en étant venus à s'appuyer sur ces étrangers. Comme les anthropologues, dont les observations ont servi à rédiger les résumés qui précèdent, préfèrent d'habitude étudier les bandes les plus isolées et inviolées, nous élargissons le problème en signalant que la plupart des Indiens appartiennent plutôt à des bandes non isolées et que ce sont les expériences de ces Indiens soumis plus directement aux changements sociaux qui deviennent de plus en plus typiques. Peut-être l'image qu'on se fera des conseils de bande d'après le résumé ci-dessus, dans leurs rapports avec leurs membres et avec l'extérieur, est-elle déjà périmée dans le cas d'un grand nombre de conseils de bande du pays.
Si l'on considère les conseils de bande en fonction de la structure bureaucratique de la Direction des affaires indiennes, plusieurs ne sont que des annexes, n'exerçant guère d'autres fonctions que l'exécution aveugle des ordres reçus ou remplissant certaines tâches élémentaires, comme celle de fournir à l'administration des renseignements relatifs à certaines questions, comme l'obtention d'une nouvelle maison, l'admissibilité aux allocations d'assistance sociale, et le reste. Ceci est particulièrement vrai dans le cas des bandes qui possèdent des fonds peu considérables ou qui ont peu de contrôle sur leurs fonds, ainsi que dans le cas des bandes bénéficiant de projets déterminés produisant des revenus, qui sont subventionnés par la Direction et dont les dépenses sont vérifiées de très près par le gouvernement central. Dans ces cas, des empêchements statutaires limitent les pouvoirs des bandes quant aux décisions qu'elles peuvent prendre au sujet des questions importantes. Lorsque les restrictions statutaires ne sont pas aussi rigoureuses, par exemple, lorsque les bandes administrent leurs propres revenus et possèdent d'importantes ressources exploitables - comme c'était le cas pour plusieurs bandes visées par notre enquête - le conseil prend l'aspect d'un gouvernement municipal, et non d'une annexe bureaucratique. Ceci ne signifie pas qu'il est pleinement autonome, pas plus que ne l'est un gouvernement municipal non-indien. Ce dernier est aussi soumis à des restrictions statutaires imposées par les gouvernements provinciaux et territoriaux; leurs décisions sont souvent renversées par le palier gouvernemental supérieur. De la même façon, le Ministre, en d'autres mots la Direction des affaires indiennes, peut renverser les décisions des conseils de bande indiens. Par exemple, un certain conseil de bande peut décider de développer l'industrie touristique dans une région où les plans régionaux prévoient le développement de l'industrie forestière ou de quelque autre ressource incompatible avec le tourisme. Dans une telle situation, la décision définitive vient du palier supérieur. Les conséquences de cet état de choses ont été étudiées dans la première partie du présent rapport. Nous insistons sur ce point afin de soulever la question de l'autonomie. l'autonomie se mesure en degrés. De plus, comme nous l'avons vu, plusieurs bandes ne tirent aucun parti du degré d'autonomie qui leur est acquis, par exemple, en adoptant des règlements qui les autorisent à prélever des impôts à certaines fins locales, en créant le zonage, le couvre-feu et d'autres règlements. Bien qu'on constate une certaine hésitation à adopter de tels règlements, les faits prouvent que cette hésitation disparaît graduellement et que, si un conseil de bande décide d'en adopter un, il est probable qu'il en adoptera plusieurs. Cependant, en dépit du caractère permissif de la Loi sur les Indiens et des règlements relatifs au pouvoir de légiférer, la force du conseil de bande, dans l'ensemble de la superstructure de la Direction des affaires indiennes, est déterminée beaucoup plus par la richesse de la bande et par le degré de contrôle que celle-ci exerce sur cette même richesse que par toute autre condition. Reconnaissant ce fait, la Direction des affaires indiennes a récemment instauré un programme de subventions aux bandes, en vertu duquel les conseils représentant des bandes dont les fonds sont peu considérables, peuvent décider de l'emploi des fonds sans lui présenter un rapport journalier des dépenses. Les données de notre enquête ne nous permettent pas d'évaluer ce programme récent, mais d'après nos renseignements, ce programme nous semble bon, pourvu que les subventions soient considérées comme un bien auquel les Indiens ont droit, et non pas comme un moyen de mener une expérience en vue de connaître leurs réactions.
Les attitudes et la conduite des fonctionnaires de la Direction sont des variables importantes, qui influent sur la création d'institutions autonomes. Bien que certaines conditions, comme le niveau d'instruction des résidants de la localité et l'importance des biens corporatifs dont ils disposent, auront toutes un effet sur l'appui sympathique que la Direction des affaires indiennes accordera au jeu des pressions locales, le fait reste qu'en général, l'avantage de l'autorité et du pouvoir dans les relations entre les bandes indiennes et le gouvernement sera inévitablement unilatéral. En dernière analyse, tout mouvement important d'autonomie est autorisé par l'administration.
L'adhésion verbale au principe selon lequel on éliminerait certains postes, les perspectives d'un retrait de la Direction des affaires indiennes, une sensibilité extrême aux accusations d'autoritarisme ou de paternalisme, le lancement du programme de développement communautaire qui encourage les relations démocratiques entre les agents du développement communautaire Indiens, en plus des nombreuses déclarations publiques qui recommandent l'établissement d'un régime autonome d'administration locale par et pour les Indiens, tout indique qu'au niveau de la politique générale, la Direction se considère maintenant comme un organisme de développement collaborant avec les Indiens, plutôt que comme un organisme chargé de protéger les personnes qui sont sous sa tutelle. Cependant, la politique adoptée devra éventuellement se manifester par l'établissement d'un nouveau genre de relations entre les fonctionnaires de la Direction et les Indiens, surtout au palier de l'agence.
Derrière l'adhésion verbale au principe de l'autonomie locale, se cache la crainte, collective et individuelle, de prendre des risques calculés. Ceci amène une attitude prudente, modérée en ce qui concerne l'instauration de changements, attitude qui reflète les modes de conduite transmis par la tradition et la confiance témoignée envers la Direction. Comme l'a souligné un de nos enquêteurs:
Jusqu'ici, il serait généralement vrai d'affirmer qu'on n'a pas poussé les Indiens à croire vraiment que la Direction des Affaires indiennes et les administrateurs des réserves devraient veiller à leurs intérêts; aussi, le fait qu'ils ne semblent pas le faire n'a-t-il guère d'importance.
On s'accorde à dire que les Indiens profiteront de leurs erreurs, mais ceci va à l'encontre de l'opinion des administrateurs, qui prétendent que ce sont les fonctionnaires, et non les Indiens, qui devront supporter la critique engendrée par ces erreurs. Les deux extraits suivants tirés du rapport d'un enquêteur qui résume ses observations, révèlent les pressions qui se font sentir dans l'administration au niveau de l'agence:
Puisqu'on tend à une administration souple, la Direction des affaires indiennes cherche à maintenir de bons rapports avec les administrateurs des réserves. Ceci a contribué à faire apprécier un certain type de direction et à développer chez les administrateurs une certaine compréhension de l'Indien. Cette compréhension, qui est de nature pratique et superficielle, dépend des besoins et des buts du surintendant en tant que fonctionnaire qui s'intéresse surtout à la conduite des Indiens, du reste sous des aspects restreints. l'administration locale est donc jugée acceptable si elle sert les besoins administratifs de l'agence; elle est condamnée si elle bouleverse ou contrarie l'administration générale. Si elle poursuivait sérieusement ses objectifs, il semble que l'administration générale devrait se créer de l'opposition, afin de permettre aux Indiens d'acquérir toute l'expérience possible du travail organisé en matière de politique; or, on ne voit aucun intérêt à une telle opposition. On dit que les Indiens qui participent à cette opposition, sont considérés comme des fauteurs de troubles, et non comme des chefs.
Les méthodes utilisées par les fonctionnaires des échelons inférieurs de la Direction des affaires indiennes tendent à assurer le bon fonctionnement de la machine bureaucratique, au lieu de tendre à instituer un bon gouvernement, c.-à-d. un gouvernement responsable envers la majorité. En d'autres mots, on s'occupe surtout de rendre l'administration locale responsable envers la Direction des affaires indiennes, et non envers les Indiens. . . Ce parti pris est (partiellement) apparent quand on considère tout ce qu'on exige des fonctionnaires au palier de l'agence. Ces individus ne peuvent avoir que des opinions étroites et des buts superficiels, car toutes leurs aptitudes leur permettent à peine de s'acquitter des nombreuses tâches qu'ils ne doivent pas négliger. Cette situation fait que les exigences de la bureaucratie sont satisfaites et que celles des Indiens sont neutralisées. Même si les fonctionnaires des échelons supérieurs, au ministère des Affaires indiennes, peuvent à l'occasion transmettre des politiques "progressives", leur efficacité est annulée par la "priorité des tâches" imposée aux fonctionnaires des échelons inférieurs. . . Cette tendance à mettre l'accent sur la paperasserie, plutôt que sur les individus, se rencontre surtout chez ceux qui font carrière dans le ministère des Affaires indiennes: ces hommes ne sont pas enclins à innover, de peur de ne pas réussir.
Les ambiguïtés de la politique de la Direction apparaissent aussi dans une ambivalence relative à l'administration autonome; cette ambiguïté a été signalée par un autre enquêteur dans le cas d'une réserve de la Colombie-Britannique:
Les méthodes de l'agence sont quelque peu paradoxales quant aux objectifs qu'elle cherche à atteindre sur le plan de l'administration locale. d'un côté, l'agence veut que le conseil de bande réponde de ses décisions, "sans devoir toujours s'enquérir de l'opinion de la population." Or, on s'oppose aux décisions du conseil, qui ne s'accordent pas avec les désirs de la Direction des affaires indiennes.
Pour illustrer ce point, un autre de nos enquêteurs rapporte ce qui suit:
Il appert que les fonctionnaires locaux de la Direction des affaires indiennes acceptent maintenant de donner aux conseils de bande les moyens de se gouverner aux-mêmes quand ceux-ci font preuve d'une direction "progressive", c'est-à-dire une direction axée sur des objectifs qui semblent essentiellement en accord avec la politique de la Direction des affaires indiennes. Il appert aussi que les administrateurs ne sont pas disposés à encourager les actes d'auto- détermination de la part des conseils, si puissants et représentatifs soient- ils, qui assurent une direction "traditionnelle" ou "modérée".
Les méthodes en usage a la Direction peuvent être si restrictives que l'autonomie d'administration se trouve perdue dans une longue suite d'exigences administratives. Ainsi, un aspect frappant du procédé d'adoption des règlements, c'est qu'il comporte toute une série de vérifications et d'approbations. d'abord, les membres du conseil formulent et discutent le règlement. Si ce règlement doit être mis en vigueur par la Genuarmene royale du Canada ou par tout autre corps de police, il faut demander l'avis de ces fonctionnaires. A ce stade, le surintendant est aussi intéressé. Il doit rapporter le règlement proposé aux fonctionnaires du bureau régional de la Direction des affaires indiennes, vérifier le but et la justesse du règlement avant de le faire parvenir au bureau principal de la Direction des affaires indiennes, qui en étudie les aspects financiers et techniques, avant de l'approuver. A l'un ou l'autre stade, on peut retourner le règlement proposé à un stade antérieur, afin d'y apporter des changements ou d'obtenir de plus amples renseignements. Ceci ne veut pas dire qu'il faut toujours beaucoup de temps avant d'obtenir l'approbation ou qu'un retard est nécessairement à condamner. Cependant, si l'on veut donner aux bandes les pouvoirs officiels qui amèneront l'auto- détermination, on devrait scruter toutes pratiques qui pourraient entraver cette politique. La Direction des affaires indiennes est une organisation vaste et complexe, qui administre les affaires de plus de 200,000 Indiens disséminés de l'Atlantique au Pacifique. Aussi, est-il souvent difficile d'obtenir le traitement de l'information et les réponses aux demandes de renseignements. Le traitement des affaires des bandes subit de nombreux retards occasionnés par des blocages administratifs indépendants de la volonté des bandes. Il convient toutefois d'adoucir nos commentaires sur les attitudes et méthodes de la Direction qui pourraient empêcher l'instauration du gouvernement autonome au palier local, car la Direction, surtout au palier supérieur, traverse une période de profonde transition caractérisée par des changements de politique et de personnel; il est donc évident que le personnel de la Direction reconnaît l'existence des problèmes et cherche à les résoudre. Jusqu'ici, nos remarques se rapportent aux relations qui existent entre les conseils de bande et la structure administrative tentaculaire de la Direction des affaires indiennes. Par leur structure, la plupart des conseils de bande ne se rattachent directement qu'à la Direction. Quand ils traitent avec d'autres organismes. comme les conseils municipaux. les agents du développement et les organismes provinciaux, les négociations se font indirectement, la Direction servant d'intermédiaire. On admet si bien le rôle médiateur de la Direction que, selon les rapports de nos enquêteurs, même quand les parties intéressées ne sont pas tenues de passer par la Direction, ils le font quand même, plutôt que de s'adresser directement au conseil de bande, avec qui ils traiteront en dernier lieu. Cependant, la tendance que nous signalons plus loin et qui consiste à traiter directement avec les organismes extérieurs, comme les conseils municipaux, les commissions scolaires, les conseillers professionnels, les agents de développement, les organismes du gouvernement provincial, et le reste, s'applique surtout aux conseils de bande, dont les opérations ressemblent à celles des municipalités. Quand de telles négociations directes ont lieu, les étrangers et les membres de la bande disent que le conseil et la bande sont des unités autonones possédant de réels pouvoirs. c'est un truisme sociologique de dire que les gens sont portés à agir selon ce qu'on pense d'eux: si on les dit autonomes, ils agissent de façon autonome.
Admettant cette tendance chez les conseils de bande disposant des ressources et des pouvoirs juridiques voulus pour négocier directement avec les organismes environnants, il ne faut pas oublier que la plupart des conseils de bande communiquent avec eux par l'entremise de la Direction. Comme nous l'avons vu dans un chapitre précédent, il existe beaucoup de rapports sociaux et rituels d'une collectivité à l'autre, mais il y en a très peu dans les sphères déterminantes de l'économie et de la politique. Nous avons remarqué quelques exceptions à cette règle dans le domaine de l'économie. Plusieurs coopératives sont rattachées entre elles au sein d'une même région, étudiée dans notre enquête, où le mouvement coopératif est très développé; nous avons même des rapports indiquant que des conseils de trappeurs desservent des districts complets dans le Grand Nord. Autrement, il y a peu d'interaction économique ou gouvernementale englobant des districts où les habitants de diverses localités font face à des problèmes de même nature. Nous avons déjà signalé que la Direction des affaires indiennes a instauré un programme de conseils consultatifs régionaux qui prend de l'importance, mais ces conseils embrassent de très vastes régions, dans certains cas des provinces entières, de sorte qu'ils ne constituent pas des liens inter- collectivités ou inter-bandes au sens où nous l'entendons ici.
Comme nous l'avons vu, dans les régions où la population des bandes est peu nombreuse et où les membres sont dispersés dans plusieurs petites localités, les conseils de bande ont peu d'importance, si ce n'est pour des fins de bureaucratie, comme des embranchements administratifs de la Direction des affaires indiennes. Dans de telles régions, on aurait pu s'attendre à la création d'autres structures, plus vastes, englobant des bandes entières ou des groupes d'intérêts s'étendant au delà des limites communautaires. Bien que les développements de ce genre soient peu nombreux, il faut dire qu'il s'en produit. Notre enquête contient un rapport sur un groupement appelé le Conseil consultatif des Dix Bandes, formé des petites bandes du district des Chilliwaks, situé au sud de la Colombie Britannique. Ce fait s'est produit dans un district où les communications sont relativement faciles à établir et à maintenir. A cause des difficultés amenées par des facteurs topographiques et par la pauvreté, un groupe de bandes du nord de l'Ontario, soumises au même traité, a péniblement réussi à constituer une organisation qui le représente. Les autorités provinciales ont organisé des réunions qui englobaient tous les groupes d'un district. Ces expériences ont démontré qu'il est très difficile de créer, dans les forêts du Nord et les régions sub-arctiques, des organisations desservant plus d'une bande. Les problèmes principaux sont la diversité des dialectes et les frais élevés de déplacement. Il faut souligner ici les difficultés suscitées par la diversité des dialectes, qui limite la participation des gens qui ne parlent aucune des langues officielles et ne s'expriment facilement que dans leur langue maternelle ; la participation se trouve ainsi restreinte à ceux qui connaissent l'une des deux langues officielles. Dans un effort pour contourner la difficulté, on a créé, au nord de la Saskatchewan, des services de traduction simultanée aux fins des réunions groupant des Indiens qui parlent trois dialectes différents. Fait intéressant à noter, parmi les Indiens assistant à ces réunions se trouvaient des personnes non inscrites au registre des Indiens, mais soumises aux mêmes conditions de vie et aux mêmes problèmes socio-économiques que les Indiens inscrits. La discussion ne s'est pas bornée à l'étude des conseils de bande comme tels, chose inévitable si l'on tient compte de la nécessité de créer des structures d'administration locale dans les régions où le conseil de bande n'a pas l'efficacité d'une structure communautaire apte à résoudre les problèmes socio-économiques, dont la plupart ne sont ni spécifiquement indiens ni particulièrement locaux.
Les rapports que les conseils de bande entretiennent avec les groupements et les membres de la collectivité sont un autre aspect à considérer en ce qui concerne la structure des conseils. Parfois, les conseils de bande visés par notre enquête sont des forces communautaires puissantes, qui s'acquittent de fonctions législatives, exécutives et administratives chevauchantes. Tel est le cas d'une bande dont le conseil établit des règlements relatifs à l'usage des terres, aux conditions qui régissent l'octroi ou le refus des secours sociaux (il a récemment adopté un projet pour l'exécution d'un programme de secours) et à d'autres questions locales concernant la politique; il administre les programmes de travaux d'hiver et d'autres programmes d'embauchage; il aide à coordonner diverses formes d'activité. Dans ce cas, le surintendant est d'accord avec la politique et les méthodes utilisées par le conseil et ne s'en mêle pas souvent, considérant ce conseil comme un cas modèle. Notre rapport d'enquête ayant trait à cette réserve déclare que plusieurs doléances, apparemment bien fondées, formulées par les membres de la bande sont ignorées par le conseil, qui est dominé par un clan, ou coterie, de personnes difficilement délogeables, au moment des élections, vu l'absence d'opposition unifiée. On trouvera, à la page 5 du chapitre IX, un schéma illustrant le mode d'action de ce conseil.
Bandes, fonctionnaires et autres agents
Plusieurs bandes comprises dans notre enquête tendent à séparer l'organisme de direction du groupe exécutif et administratif, en embauchant des employés de bandes chargés d'exécuter des tâches administratives. Nous ne parlons pas ici du personnel administratif~ comme les surintendants ou surintendants adjoints, qui font rapport directement au bureau chef de leur organisme régional. Comme leur orientation les porte à servir la Direction, les titulaires de ces postes sont presque toujours étiquetés comme des gens de l'extérieur, même s'ils sont de descendance indienne ou jouissent d'une considération particulière. Ces employés passent plutôt pour les administrateurs de la Loi sur les Indiens, et non comme des employés de bandes. On attribue souvent ce dernier terme aux titulaires, généralement de descendance indienne, des postes de gérants de bande, commis, administrateurs du service social, surintendants des travaux, agents de la paix et autres, qui font rapport directement au conseil de bande.(Note de bas de page 163 ) Chez certaines bandes, les gérants et les commis possèdent des aptitudes pour les communications et la direction, qualités assez rares chez les Indiens, et comme les membres et le conseil de bande s'appuient sur des personnes d'une telle compétence, ces employés civils occupent des postes qui commandent beaucoup d'autorité et d'influence. Cependant, ces employés peuvent être démis de leurs fonctions, du moins en théorie, par leur employeur, qui est le conseil. Nous nous hâtons d'ajouter que l'usurpation de pouvoir par les employés de bandes ne constitue pas un problème sérieux. Le problème réside plutôt dans le fait que très peu d'Indiens possèdent la formation pratique qui leur permettrait d'assumer les tâches administratives couramment exécutées par le personnel de la Direction ou par les membres du conseil.
D'après nos renseignements, il est très difficile d'évaluer l'efficacité des employés civils présentement au service de la bande, vu les écarts nombreux et importants constatés dans les rapports de rendement. A une extrémité, nous avons l'évaluation suivante faite par un enquêteur dans une réserve de l'Ontario:
. . . . le gérant de la bande, qui est le beau-frère du chef, est désespérément inefficace, même de son propre aveu. Aucun candidat ne postulait cette tâche et l'homme s'est simplement trouvé au bon endroit au moment voulu. Irrités par cet état de choses, les membres déclaraient que ce n'était qu'une affaire de famille.
A l'autre extrémité, on a l'évaluation du rendement d'un gérant de bande dans une réserve située en milieu urbain; il s'agit d'un diplômé de l'école secondaire qui
. . . . est en même temps agent immobilier, comptable et administrateur. Je suis assuré que l'hôtel de ville offrirait une excellente rémunération à un homme de sa compétence. Même si ces parents ne sont pas aimés dans l'entreprise qui domine le conseil, lui-même est très estimé et les gens sont fiers de lui.
Dans deux bandes visées par notre enquête, les tâches administratives locales sont exécutées par des Indiens étrangers à ces bandes et venus d'autres bandes établies dans la même région. Aucun d'eux n'est impliqué dans les réseaux de parenté et de coterie des localités où ils travaillent. Selon les observateurs, c'est là un facteur qui les sert en tant qu'administrateurs et dirige l'attention sur leur efficacité, plutôt que sur leurs relations sociales.
Jusqu'ici, nos remarques ayant trait aux fonctions administratives concernent les bandes d'une importance supérieure à la moyenne. Dans la plupart des cas, la bande n'est ni assez nombreuse ni assez importante sur le plan administratif pour justifier l'embauchage d'employés de bandes à plein temps, bien que plusieurs petites bandes emploient des commis et des secrétaires à temps partiel. La plupart des petites bandes confient le travail administratif, sinon à un agent ou à un agent adjoint, soit au chef ou à l'un des conseillers, qui n'est pas rémunéré pour ce travail. Nous avons relevé de nombreuses plaintes à ce sujet dans nos rapports d'enquête et dans nos sources secondaires. Citons le cas des membres de la bande qui se croient traités injustement quand ils font une demande pour obtenir du secours, des habitations, l'usage des terres, etc.; ils prétendent que le chef ou le conseiller profitent de leurs fonctions pour faire des distinctions contre eux. Il est presque impossible d'évaluer l'ensemble de ces accusations. l'autre genre de plainte qui semble tout à fait fondée, est que l'exécution du volume de travail requis pour traiter les affaires courantes du conseil, en plus des tâches administratives, devient trop onéreuse pour les chefs et les conseillers qui, comme beaucoup d'Indiens, ont à peine les moyens de subsister et doivent, pour s'acquitter de leurs tâches, sacrifier trop souvent la chasse, la pêche, le piégeage, ou renoncer à s'absenter pour des travaux saisonniers.
Ceci amène le problème plus général de la rémunération des titulaires des postes de chef et de conseillers. Les montants prélevés sur les fonds de bande, pour payer le chef et les conseillers, sont très variables. Certaines bandes riches, où le conseil joue un rôle important dans les affaires de la bande, payent les conseillers pour chaque réunion à laquelle ils assistent; d'autres bandes riches les payent tant par année, les montants variant entre $100 et $500. Environ 35 p. 100 des bandes qui possèdent des fonds, ne versent aucune rémunération aux membres du conseil, bien, que, dans le cas des bandes soumises à un traité, les annuités des chefs et des conseillers s'élèvent, respectivement, à $20 et $10 de plus que celle des autres membres de la bande. Ainsi, par exemple, quand les membres de la bande reçoivent une annuité de $5, le chef recevra $25 par année et les conseillers, $1 5. Bien que certaines bandes riches paient des montants assez élevés, la rémunération payée au chef et aux conseillers est le plus souvent négligeable.
Dans la mesure où la rémunération symbolise l'importance de la fonction et du poste, le niveau peu élevé de la rémunération signifie que les postes électifs n'ont pas beaucoup d'importance. Il va sans dire que les raisons qui poussent les gens à briguer un poste, ne sont pas monétaires; cependant, les faits démontrent que les gens élus, chargés de s'acquitter de fonctions administratives, s'attendent à recevoir une rémunération satisfaisante. Même là où elles ne s'acquittent pas de ces fonctions, certaines personnes élues considèrent que la rémunération n'est que symbolique. Un de nos informateurs prétend que les personnes les plus qualifiées hésitent à offrir leurs services, parce qu'elles ne peuvent se le permettre sur le plan économique ou estiment que les autres avantages - quels qu'ils soient - ne compensent pas assez l'insuffisance de rémunération. Dans notre enquête, trois des chefs ont exprimé le désir de devenir gérants, cela pour deux raisons principales: d'abord parce qu'ils seraient mieux rémunérés, et ensuite parce que leur travail serait plus efficace et leur contribution, plus importante.
En terminant, nous nous arrêterons brièvement sur ce dernier point, car il est révélateur de la conception particulière du rôle du chef chez plusieurs bandes. Nous avons déjà fait remarquer que, pour un grand nombre d'Indiens, un chef se conduit d'une manière appropriée quand il s'efforce de maintenir la paix, l'harmonie et l'unanimité; cependant, il semble que, de plus en plus, on s'attend que le chef donne des directives touchant les questions d'économie et d'administration locale. Or, chez certaines bandes, les exigences du régime traditionnel sont encore assez fortes pour retenir les chefs qui seraient disposés à assumer la direction. Le chef d'une bande du nord de l'Ontario a formulé à l'un de nos enquêteurs l'opinion suivante:
Je pense que je ne me présenterai plus à la chefferie. Je suis chef depuis six ans. J*aimerais être conseiller. Je serai alors plus libre de parler, d'exprimer mes opinions (sur l'établissement d'installations touristiques et l'exploitation méthodique des forêts de la réserve). Quand on est chef, on ne peut parler, il faut écouter. Quelquefois, aux réunions, les idées m*étouffent, mais je me contiens et, après la réunion, j*essaie d'expliquer mes idées aux conseillers. Mais ils ne sont pas très intéressés, bien qu'ils parlent beaucoup d'un sujet ou d'un autre. Si je suis conseiller, je pourrai me lever à une réunion et protester, je pourrai donner mon opinion. On m'a demandé de devenir membre (d'un organisme consultatif régional) et je pense que je vais accepter, mais je voudrais aussi être conseiller. Est-ce possible? (Ici, il questionne l'observateur, prenant pour acquis que ce dernier connaît les règlements relatifs à l'appartenance simultanée à plusieurs conseils).
d'après les renseignements recueillis, nous serions tentés de généraliser et de dire que les personnes aptes à diriger, qui veulent devenir conseillers, appuieront un chef faible; quand ces mêmes personnes se présentent à la chefferie, elles sont portées à dominer les conseillers. Partout dans notre enquête, nous retrouvons ce genre de réversibilité: chef faible, conseillers forts; chef fort, conseillers faibles, notamment chez les bandes qui ne comptent pas plus de 500 membres environ. Dans les bandes plus importantes où le chef exerce effectivement son autorité et suit un programme bien établi, on trouvera un ou deux conseillers qui s'opposeront à lui et qui auront probablement des aspirations à la chefferie. Il est difficile de distinguer les divers aspects du rôle attaché à ces postes des aspects étudiés dans le chapitre suivant, qui traite des postes de chef et de conseillers considérés comme représentants de groupements particuliers - familles, dénominations, clans, partis, et le reste, car les conseils ont des caractéristiques structurales, de sorte qu'on peut les différencier intrinsèquement. Ces caractéristiques structurales ne sont dues ni au hasard ni à l'action combinées des personnalités, mais sont subordonnées à l'importance de la bande, à sa structure (i.e. divisées selon les classes, les dénominations, ou autres facteurs), à ses ressources et au contrôle que la bande exerce sur elles, à la conception traditionnelle du rôle des administrateurs et à d'autres facteurs. Le chapitre IX traite surtout de l'effet réciproque de certains de ces facteurs et de leurs répercussions implicites sur la prise des décisions.
Chapitre VIII - Régimes et tendances qui caractérisent les élections des conseils de bande
Nous avons noté, dans les chapitres précédents, que la Direction des affaires indiennes manifeste un certain optimisme quant à l'appui et à la participation des Indiens aux affaires des conseils de bande, prévoyant que ces derniers se chargeraient de plus en plus de l'administration locale et qu'ils s'intéresseraient davantage à "toutes les questions concernant le bien-être de leurs membres."Note de bas de page 164 Le terme "bien-être" laisse entendre que les conseils de bande sont appelés, aux yeux de la Direction, à contribuer puissamment à l'évolution de leurs populations. Cet optimisme est-il fondé? En guise de réponse à la question, nous considérons d'abord les régimes et les tendances se dégageant des statistiques, puis nous essayons d'étoffer ce schéma, grâce aux observations recueillies sur place par nos travailleurs ou provenant d'autres sources.
On a constaté, surtout depuis 1951, une tendance menant à l'adoption du régime électif et à la modification du "régime tribal" de recrutement des chefs de bandes et des conseillers. Il convient de signaler une autre tendance en ce qui a trait à l'administration autonome des revenus de bandes. Nous avons d'ailleurs abordé ce sujet dans la Partie I du présent rapport. Jusqu'au mois de mars 1966, 115 des 557 bandes existantes s'étaient prévalues de l'article 68 de la Loi sur les Indiens, d'après lequel une bande peut administrer la totalité ou une partie de ses deniers. Il est donc assez juste de dire que le conseil de bande a acquis, du moins en théorie, une certaine importance dans l'administration générale des affaires indiennes. Ceci ne veut pas nécessairement dire que le régime des conseils de bande est mieux accepté des Indiens ni qu'il a favorisé une participation et un intérêt beaucoup plus marqués de la part des membres de la bande, au sein de leurs collectivités.
Échantillon étudié:
Aux fins de l'analyse statistique de certaines questions, comme la participation au scrutin, l'âge des conseillers, et le reste, nous avons procédé à un échantillonnage de 34 bandes, soit environ 6 p. 100 de toutes les bandes du pays. Ces bandes se répartissent de la façon suivante, par province:
- Provinces de l'Atlantique — 3 bandes
- Ontario et Québec — 10 bandes
- Provinces des Prairies — 10 bandes
- Colombie-Britannique — 9 bandes
- T. N.-O. et Yukon — 2 bandes
Le Tableau I donne la liste et l'importance numérique des bandes. Les renseignements statistiques concernant les élections des conseils de ces bandes sont tirés des dossiers de la Direction des affaires indiennes. Les renseignements contenus dans ces dossiers sont plus ou moins complets et sûrs, selon les bandes en cause. Chez certaines bandes où le régime électif est en vigueur depuis plusieurs années et où les événements ont été rapportés fidèlement par le personnel de l'agence indienne, les renseignements abondent sur le résultat des scrutins, l'âge des candidats, le nombre de bulletins recueillis pour chaque candidat, et le reste, en remontant jusqu'à une dizaine d'élections passées. Pour d'autres bandes, ces renseignements sont rares et plus ou moins détaillés, suivant les élections. De plus, certaines bandes comprises dans l'échantillon n'ont adopté le régime électif que depuis peu, de sorte que leurs dossiers ne renferment des renseignements que pour les deux ou trois dernières élections. Dans quelques cas, les dossiers n'indiquent pas nettement si le recrutement des chefs et des conseillers est véritablement électif, particulièrement parmi les bandes qui s'en tiennent à une formule modifiée de la "coutume tribale", comme il est dit dans les rapports. Malgré ces insuffisances, nous croyons que les renseignements fournis par les dossiers sont valables, sûrs et dignes d'être utilisés aux fins d'une analyse statistique.
TABLEAU 1
BANDE | POPULATION | RAP DE POP. 20-49 A 4 ANS 50 ANS ET PLUS | POURCENTAGE DE POPULATION HORS DES RESERVE | RELIGION | AGE MOYEN DES CANDIDATS — TOUTES ELECTIONS | AGE MOYEN DES CANDIDATS 5 DERN. ELECTIONS | AGE MOYEN DU COUNSEIL TOUTES ELECTIONS |
---|---|---|---|---|---|---|---|
BIG COVE | 872 | 3.09:1 | 1130 | RC A 30% | 38.0 | 38.5 | 38.9 |
BLOOD | 2,116 | 3.96:1 | 1% | RC 66% UC 10% | 53.0 | 48.1 | 55.2 |
CAUGHNAWAGA | 3,937 | 3.05:1 | 24% | RC 84% | 50.7 | 49.3 | 50.3 |
CHEAM | 125 | 5.20:1 | 5% | RC | 36.7 | 37.2 | 36.3 |
CHRISTIAN IS. | 493 | 3.28:1 | 17% | UC 65% RC 34% |
43.1 | 42.0 | 45.2 |
COTE | 952 | 4.10:1 | 9% | UC 53% RC 42% |
45.12 | 44.7 | 44.8 |
CUMBERLAND H. | 165 | 2.12:1 | 2% 3% off |
OC 69% | 51.5 | 51.5 | 51.5 |
DOG RIB RAE | 1,006 | 2.00:1 | 97% c.I. | RC | 59.1 | 58.9 | 59.1 |
DOKIS | 190 | 3.50:1 | 44% | RC | 39.5 | 36.3 | 40.6 |
ESKASONI BANDS | 1,155 | 3.60:1 | 4% | RC A 27% |
30.2 | 37.6 | 38.2 |
FORT ALEX. | 1,693 | 3.40:1 | 7% 2% off |
RC 73% A 22% |
45.3 | 44.5 | 45.1 |
FT.SIMPSON | 523 | 2.50:1 | 98%c.I. | RC51% | 43.6 | 42.6 | 44.2 |
GOODFISH | 450 | 2.94:1 | 11% | RC 50% | 44.5 | 42.5 | 45.2 |
HAY LAKES | 710 | 3.26:1 | 9% | BC | 53.0 | 53.0 | 53.0 |
KAMLOOPS | 321 | 2.60:1 | 6% | RC | 40.6 | 41.7 | 40.8 |
KEESEKOOSE | 541 | 4.40:1 | 25% | RC A 73% |
44.0 | 44.4 | 45.7 |
KEY | 280 | 3.60:1 | 11% | RC 20% | 42.4 | 43.9 | 39.8 |
LORETTE | 939 | 2.19:1 | 42% | RC | 45.4 | 46.1 | 46.3 |
LYTTON | 842 | 2.39:1 | 16% | A | 45.4 | 45.2 | 4S.2 |
MANIWAKI | 852 | 2.10:1 | 24% | RC | 43.7 | 44.3 | 43.8 |
MASSET | 985 | 3.50:1 | 17% .4% off |
A | 46.6 | 48.2 | 46.5 |
MISTASSINI | 1,086 | 3.20:1 | 99.6% c.l. | A | 32.4 | 32.4 | 32.4 |
MOUNT CURRIE | 794 | 3.09:1 | 8% | RU | 47.4 | 46.5 | 48.5 |
NIPISSING | 470 | 2.35:1 | 25% 5% |
RC UC 75% |
48.5 | 46.5 | 46.5 |
PIKANGIKUM | 599 | 2.90:1 | 22% c.l. | RC 25% | 43.3 | 38.8 | 43.3 |
POINTE BLEUE | 1,383 | 2.50:1 | 18% | RC | 45.1 | 43.7 | 46.3 |
FORT SIMPSON | 1,072 | 2.87:1 | 22% | UC UC 25% |
53.3 | 52.0 | 52.6 |
SADDLE LAKE | 1,560 | 2.94:1 | 11% | RC 75% | 45.5 | 46.4 | 47.9 |
SEABIRD IS. | 260 | 4.30:1 | 2% | RC | 42.6 | 37.2 | 45.6 |
SKWAH | 170 | 4.00:1 | 4% | RC | 40.2 | 37.2 | 42.7 |
SQUAMISH | 968 | 3.30:1 | 9% | RC | 4S.1 | 50.0 | 47.4 |
THE PAS | 843 | 2.38:1 | 2% | A | 48.3 | 46.9 | 46.7 |
TOBIQUE | 519 | 4.04:1 | 3% | RC | 43.2 | 41.5 | 43.4 |
WALPOLE IS. | 1,443 | 2.26,1 | 14% | A 70% | 43.8 | 41.9 | 45.6 |
AVERAGE | 892 | 3.15:1 | 12.5% | UC 22% | 45.6 | 44.6 | 47.0 |
TABLEAU 1 (Suit)
BANDE | AVERAGE AGE OF CONSEIL 5 DERN. ELECTIONS | MAINTIEN EN FONCTION D"UNE ELEC TION A L'AUTRE | NOMBRE DE CANDIDATS PAR POSTE | NOMBRE DE CANDIDATES DIFFERENTS PAR POSTE | NOMBRE DE CANDIDATES DIFFERENTS EN CONSEIL | NOMBRE DE CANDIDATES DIFFERENTS PAR POSTE DE CHEF |
---|---|---|---|---|---|---|
BIG COVE | 41.5 | 50% | 1.97 | 1.00 | .97 | 1.20 |
BLOOD | 51.9 | - | 6.17 | 4.20 | 4.70 | 2.40 |
CAUGHNAWAGA | 50.3 | 54% | 2.07 | .98 | .91 | .80 |
CHEAM | 36.9 | 73% | 1.20 | .53 | .40 | .80 |
CHRISTIAN IS. | 45.5 | 32% | 1.96 | .92 | .80 | 1.40 |
COTE | 45.1 | 28% | 2.16 | 1.10 | .89 | 2.60 |
CUMBERLAND H. | 51.5 | - | .00 | 1.00 | - | - |
DOG RIB RAE | 58.9 | 69% | 1.00 | .62 | .68 | .20 |
DOKIS | 36.6 | 53% | 2.60 | 1.26 | 1.40 | 1.00 |
ESKASONI BANDS | 30.2 | 35% | 1.90 | 1.10 | 1.00 | 2.00 |
FORT ALEX. | 44.9 | 36% | 1.74 | 1.10 | .91 | 2.00 |
FT.SIMPSON | 44.2 | - | 1.30 | 1.00 | - | - |
GOODFISH | 43.1 | 19% | 1.70 | 1.10 | 1.10 | - |
HAY LAKES | 53.Q | - | 1.00 | .54 | - | - |
KAMLOOPS | 41.5 | 47% | 2.50 | 1.00 | .72 | 1.60 |
KEESEKOOSE | 46.5 | 43% | 1.92 | .92 | .85 | 1.20 |
KEY | 44.4 | 46% | 2.53 | .10 | 1.10 | 1.20 |
LORETTE | 46.7 | 50% | 1.03 | .87 | .84 | .00 |
LYTTON | 45.5 | 38% | 1.43 | .79 | .71 | 1.40 |
MANIWAKI | 44.5 | 90% | 1.05 | .35 | .34 | .40 |
MASSET | 48.6 | 24% | 1.95 | 1.10 | 1.10 | 1.00 |
MISTASSINI | 32.4 | - | 1.00 | 1.00 | - | - |
MOUNT CURRIE | 49.5 | 46% | 1.92 | .97 | .81 | 2.00 |
NIPISSING | 46.5 | 60% | 2.52 | 1.10 | 1.00 | 1.80 |
PIKANGIKUM | 38.8 | 26% | 1.00 | .71 | .69 | .80 |
POINTE BLEUE | 44.4 | 35% | 1.92 | 1.20 | 1.10 | 1.40 |
FORT SIMPSON | 49.1 | 62% | 1.69 | .69 | .74 | .60 |
SADDLE LAKE | 49.7 | 40% | 2.05 | 1.20 | 1.20 | - |
SEABIRD IS. | 40.S | 53% | 2.20 | .87 | .60 | 1.40 |
SKWAH | 40.5 | 34% | 1.53 | .87 | .90 | .60 |
SQUAMISH | 48.9 | - | 2.90 | 2.20 | 2.20 | - |
THE PAS | 48.6 | 50% | 2.13 | 1.10 | .97 | 2.20 |
TOBIQUE | 39.4 | 28% | 2.21 | 1.10 | 1.20 | .60 |
WALPOLE IS. | 43.5 | 53% | 3.32 | 1.60 | 1.50 | 2.20 |
AVERAGE | 45.9 | 46% | 2.06 | 1.09 | 1.08 | 1.33 |
TABLEAU 1 (Suit)
BANDE | NOMBRE DE CON SELLIERS DIFF. - ELUS PAR POSTE |
NOMBRE DE CHEFS DIFF.- ELUS PAR POSTE | PRO PORTIONS D'ELECTEURS ADMI SSIBLES AVANT VOTE AUX 3 DERN. ELECTIONS |
PRO PORTIONS DE CANDITATS NOUVEAU - 5 DERN. ELECTIONS |
PRO PORTIONS DE NOUVEAU ELUS - 5 DERN. ELECTIONS |
PRO PORTIONS DE NOUVEAU ELUS - AUX CONSEIL 5 DERN. ELECTIONS |
ASSU JETTIES A L'ARTICLE 68 |
FONDS DE LA BANDE PAR TETE |
---|---|---|---|---|---|---|---|---|
BIG COVE | .56 | 3 | 71% | 34% | 24% | 16% | - | $ 189 |
BLOOD | .56 | 3 | 29% | 56% | 10% | 35% | partial | $ 368 |
CAUGHNAWAGA | .53 | 4 | 33% | 35% | 35% | 25% | - | $ 578 |
CHEAM | .50 | 1 | 52% | 28% | 60% | 20% | - | $ 273 |
CHRISTIAN IS. | .60 | 3 | 71% | 29% | 29% | 16% | - | $ 570 |
COTE | .62 | 2 | 44% | 32% | 31% | 21% | partial | $ 894 |
CUMBERLAND H. | - | 1 | - | - | - | - | - | $ 146 |
DOG RIB RAE | .52 | 1 | - | 29% | 100% | 29% | - | - |
DOKIS | .50 | 2 | 71% | 33% | 23% | 20% | partial | $1903 |
ESKASONI BANDS | .72 | 4 | 63% | 43% | 37% | 31% | - | $ 73 |
FORT ALEX. | .73 | 5 | 42% | 43% | 45% | 33% | - | $ 12 |
FT.SIMPSON | - | 1 | - | - | - | - | - | $ - |
GOODFISH | .60 | 2 | 61% | 53% | 61% | 55% | - | $ - |
HAY LAKES | - | 1 | - | - | - | - | - | $1461 |
KAMLOOPS | .54 | 3 | 55% | 13% | 40% | 13% | fuIl | $1054 |
KEESEKOOSE | .65 | 2 | 83% | 29% | 50% | 56% | partial | $ 89 |
KEY | .70 | 2 | 73% | 19% | 43% | 20% | partial | $ 220 |
LORETTE | .68 | 2 | 77% | 33% | 56% | 33% | - | $ I |
LYTTON | .68 | 3 | 24% | 39% | 64% | 47% | - | $ 33 |
MANIWAKI | .40 | 1 | - | 10% | 100% | 10% | - | $ 104 |
MASSET | .72 | 2 | 46% | 41% | 361* | 20% | fuIl | $ 103 |
MISTASSINI | - | 1 | - | - | - | - | $ - | |
MOUNT CURRIE | .65 | 3 | 72% | 33% | 39% | 25% | full | $ 192 |
NIPISSING | .60 | 3 | 62% | 32% | 30% | 24% | fuIl | $ 223 |
PIKANGIKUM | .75 | 4 | - | 71% | 100% | 71% | - | $ 10 |
POINTE BLEUE | .61 | 3 | 67% | 35% | 45% | 32% | fuIl | $ 7 |
FORT SIMPSON | .48 | 1 | 52% | 27% | 50% | 22% | full | $ 145 |
SADDLE LAKE | .67 | 4 | 53% | 47% | 34% | 33% | - | $ 141 |
SEABIRD IS. | .80 | 1 | 58% | 36% | 50% | 40% | - | $ 47 |
SKWAH | .90 | 3 | SI% | 39% | 56% | 33% | - | $ 67 |
SQUAMISH | - | - | 48% | 76% | 32% | 70% | partial | $ 251 |
THE PAS | .54 | 2 | 45% | 36% | 35% | 27% | - | $ 91 |
TOBIQUE | .57 | 3 | 65% | 28% | 33% | 21% | - | $ 84 |
WALPOLE IS. | .53 | 2 | 639* | 33% | 19% | 21% | fuIl | $ 261 |
AVERAGE | .62 | 2.4 | 57% | 36% | 46% | 31% | $ 275 |
Les bandes qui font partie de l'échantillon, comptent en tout 33,700 âmes. En choisissant les éléments de l'échantillon, nous avons pris une certaine liberté, du fait qu'environ 6 p. 100 seulement des bandes y sont représentées, mais que ces dernières représentent 16 p. 100 de tous les Indiens inscrits, comme nous l'avons expliqué à la Partie I du rapport. En d'autres mots, l'échantillon comporte un plus grand nombre de bandes dont la population moyenne est plus élevée que la population moyenne des bandes dans l'ensemble du pays. Si nous avons procédé de cette façon, c'est que nous avions raison de croire que plus une bande est considérable, plus son conseil est actif et représentatif, et c'est ce qui nous intéressait surtout. Si nous nous en étions tenus à un choix en fonction de l'importance et de la localité, il nous aurait fallu inclure un nombre considérable de petites bandes, dont plusieurs sont disséminées dans les régions éloignées du Grand Nord et au sujet desquelles la statistique n'est guère éloquente. De plus, bon nombre des bandes de l'échantillon se trouvent à des distances restreintes des villes et villages des non-Indiens. c'est là une autre déviation réfléchie, parce que nous voulions obtenir certains renseignements sur les tendances de l'urbanisation. Douze des bandes comprises dans l'échantillon s'étaient prévalues, jusqu'en janvier 1966, des dispositions de l'article 68 de la Loi sur les Indiens, dispositions en vertu desquelles les bandes peuvent administrer leurs deniers, en totalité ou en partie. A peine 22 p. 100 environ de toutes les bandes du Canada se sont prévalues de l'article 68, comparativement à 35 p. 100 de notre échantillonnage. Il comporte donc un écart en faveur des bandes qui administrent leurs propres revenus. Ici encore, il s'agit d'une liberté que nous avons prise, en vue de recueillir des renseignements sur les bandes tendant à contrôler davantage les finances de la bande, tendance qui se manifeste dans plusieurs parties du pays. Résumons en disant que, sous un certain nombre de chefs, notre échantillon n'est pas entièrement représentatif et que nous ne saurions appliquer à tous les Indiens les conclusions tirées des renseignements statistiques recueillis dans notre échantillonnage. s'il nous arrive de succomber à de telles généralisations, nous apportons aussitôt une compensation conservatrice, qui consiste à réduire d'environ 20 p. 100 certains indices de participation aux conseils de bande, comme les résultats d'un scrutin, le nombre de candidats par poste, et le reste, lorsque ces indices sont appliqués à ressemble de la population. c'est une formule très simple et arbitraire, mais qui se défend dans un rapport comme celui-ci, où les tendances globales ont plus d'importance que les calculs précis et compliqués. Pour 20 des 34 bandes de l'échantillon, nous disposons de données recueillies lors de travaux effectués sur place depuis l'été de 1964. Ces données ont un certain rapport avec le fonctionnement des conseils de bande. Les personnes qui ont effectué ces travaux sur place étaient directement intéressées à notre projet; si elles travaillaient à un autre projet, elles avaient le nôtre à l'esprit. Les matériaux provenant de cette source sont identifiés dans le texte, comme "données recueillies par nous lors de travaux sur place", ou comme "notes de nos travaux effectués sur place", et ainsi de suite. Dans notre échantillon statistique, des renseignements pertinents sur cinq autres bandes nous ont été fournis par des sources secondaires, c'est-à- dire par des études dont les auteurs n'étaient ni au courant de notre projet ni reliés directement à nos travaux. Enfin, pour ce qui est des bandes les plus éloignées des régions nordiques, nous avons puisé à d'autres sources secondaires qui, sans traiter précisément des bandes qui nous intéressent, fournissent certains renseignements se rapportant aux régions dont notre échantillon ne donne pas une représentation suffisante.
Participation aux scrutins
Il nous a été possible d'obtenir des données sur les taux de votation aux élections de 27 conseils de bande de notre échantillon, pour la période de dix ans terminée en 1965. En 1955-1956, la proportion des membres des bandes aptes à voter, et qui ont voté, était de 50 p. 100; aux élections de 1964-1965, cette proportion était de 51.6 p. 100, indiquant une participation accrue des électeurs. Durant cette période de dix ans, 20,015 suffrages ont été exprimés, lors des élections des conseils de bande de notre échantillon. Si nous généralisons à partir de ces données, nous pouvons dire que, de 1955 à 1965, environ 47,000 électeurs ont participé aux élections des conseils de bande à travers le pays. Pour établir ce chiffre, nous tenons compte de l'écart des données de notre échantillon et nous procédons suivant la formule de compensation mentionnée à la page précédente. Malheureusement, il n'existe pas de chiffres comparables sur la participation des non-Indiens aux élections municipales. Selon nous, un échantillonnage composé des groupes équivalents de non-Indiens habitant des régions rurales non agricoles, comme c'est le cas pour la majorité de nos Indiens, indiquerait des taux de participation inférieurs à ceux des Indiens. Si nous soulignons ce fait, c'est pour démentir l'opinion répandue, selon laquelle l'Indien est apathique et ne s'intéresse pas à la conduite de ses propres affaires. Pour autant que le pourcentage d'électeurs exerçant leur droit de vote est un indice d'intérêt à l'égard de l'administration locale, il semble que les Indiens sont plus engagés que les non-Indiens. Bien sûr, ces seules données statistiques ne précisent pas l'importance que les Indiens attachent au fait de voter lors d'une élection d'un conseil de bande, ce que nous verrons plus loin; elles n'en sont pas moins une indication d'un certain comportement, de la réaction véritable des Indiens.
D'après le tableau II, nous voyons qu'il n'y avait qu'une seule corrélation importante, du point de vue statistique, entre la participation aux scrutins et les autres variables, et qu'il s'agissait d'une corrélation inverse (R = -0.480) entre la proportion de candidats nouveaux, c'est-à-dire qui se présentent pour la première fois, et la proportion des électeurs aptes à voter: plus la proportion de candidats nouveaux est grande, moins nombreux sont les électeurs qui expriment leurs suffrages. Une seule autre corrélation avait une certaine signification statistique, soit celle qui existe entre la participation au scrutin et la proportion de membres de la bande demeurant à l'extérieur de la réserve: plus élevée était la proportion des membres habitant hors de la réserve, plus élevé était le pourcentage des électeurs exprimant leurs suffrages (R = 0.359). Même si cette corrélation peut avoir une certaine importance statistique, il ne faudrait pas en abuser. Il n'y a pas de pratique uniforme pour ce qui est d'exclure de la liste des électeurs, ou de les y inclure, les membres qui vivent à l'extérieur de la réserve. Chez certaines bandes, les membres qui habitent hors de la réserve, sont strictement exclus de la liste des électeurs.
Même s'il y a indication d'une participation accrue à la votation, on ne peut attribuer cette hausse à des facteurs comme l'augmentation des fonds des bandes ou un meilleur contrôle des fonds des bandes. Selon une de nos hypothèses, lorsque les bandes disposent de fonds plus considérables et en exercent le contrôle (bandes assujetties à l'article 68), le taux de votation serait relativement plus élevé que pour les autres bandes. Comme nous le voyons au tableau II, l'association de tels facteurs ne permet pas d'établir une corrélation ayant quelque importance du point de vue statistique.
Participation des candidats
On pourrait s'attendre que les candidats se présentent plus nombreux aux différents postes, à mesure que les bandes sont plus nombreuses à adopter le régime électif. Dans l'analyse qui suit, nous faisons une distinction entre le nombre de candidatures et le nombre de candidats différents à chaque poste. Par exemple, si une bande a cinq postes de conseiller à pourvoir, supposons que sept personnes se portent candidats en 1954, que sept se présentent en 1956 et que sept se présentent en 1958. Nous obtenons un chiffre global de 21 candidatures pour les trois élections. Si, dans l'exemple donné, les sept mêmes personnes se présentent candidats aux trois élections, nous avons 21 candidatures, mais seulement sept personnes, sept candidats différents par poste, pour les trois élections. A l'opposé, si aucun des candidats à une élection ne se représente lors d'une autre élection, nous aurions 21 candidats différents pour les trois élections.
TABLEAU II: GRAPHIQUE DES CORRÉLATIONS, ÉCHANTILLON DE 34 BANDES INDIENNES
Importance fonds de la bande | Contrôle fonds de la bande | Nombre de candidats par poste | age moyen des candidats Conseil | Pourcentage des membres habitant hors la réserve | Continuité | Participation au scrutin |
---|---|---|---|---|---|---|
Importance fonds de la bande | X2= 6.730 | X2= 12.111 | x2 = 2.064 Conseil X2= 2.668 Candidate |
X2= 6.330 | X2= 2.28 | X2=.692 |
Contrôle fonds de la bande | x2= 5.977 | x2=.512 Coun. | x2= 2.977 | x2= very low | x2= very low | |
Nombre de candidats par poste | R=.05Cand. | R= .196 | R= .139 | R= .058 | ||
Âge moy des candidats Conseil | R= -.134 | R=.568 | R=.291 | |||
%hors de la réserve | R=.192 | R=.359 | ||||
Continuité | R=.071 | |||||
Participation au scrutin |
TABLEAU II: GRAPHIQUE DES CORRÉLATIONS, ÉCHANTILLON DE 34 BANDES INDIENNES (Suit)
Homogénéité de religion | Rapport des 20 à 49 ans to aux 50+ | Proportion nouveaux au conseil | Nombre de différents par poste | Nombre de différents candidats par poste | Proportion candidats élus | Proportion candidats nouveaux |
---|---|---|---|---|---|---|
X2= 2.592 | X2= 2.395 | x2= 6.532 | x2= 3.583 | x2=.3 | x2= 3.332 | x2= very low |
x2= 0.913 | x2= very low | x2= 2.222 | x2= very low | x2= very low | x2= 1.427 | x2= 1.427 |
X2= very low | R= .279 | R= -.226 | R= .106 | R= .713 | R= -.705 | R= .106 |
X2= very low | R =.417 Cand.-all R=.378 Last 5 |
R=.141 | R= -.106 | R =.033 Cand. Last 5 | R = .041 | R = -. 083 Cand. |
X2= very small | R= -.167 | R= -.247 | R= -.258 | R= -.030 | R= -.051 | R= -.269 |
X2= 2.183 | R= -.212 | R= -.207 | R= -.502 | R= -0.201 | R= 0.016 | R= -0.449 |
X2= very low | R=.019 | R= -.227 | R= -.017 | R= -.042 | R= -.025 | R= -.480 |
Homogénéité de religion | X2= 1.093 | X2= very low | X2= .6 | X2= .6 | ||
Rapport des 20 à 49 ans to aux 50+ | R=.028 | R =.727 | R =.145 | R = -.194 | R =.097 | |
Proportion nouveaux au conseil | R=.578 | R=.039 | R=.703 | R=.687 | ||
Nombre de différents par poste | R = .045 | R = .180 | R = .604 | |||
Nombre de différents candidats par poste | R= -.718 | R=.415 | ||||
Proportion candidats élus | R= -.079 | |||||
Proportion candidats nouveaux |
REMARQUES : X2 représente des corrélations x au carre.
R " des corrélations par ordre de rang.
Les corrélations soulignées sont statistiquement significatives,
Le signe moins indique une corrélation inverse,
Le taux des candidatures peut être exprimé en pourcentage des demandes pour chacun des postes de conseiller. Si une bande donnée a cinq postes à pourvoir et que 14 personnes s'y portent candidats, le nombre de candidats par poste, à cette élection, est de 2.80; si 25 personnes se .présentent, il y a cinq candidats par poste. Pour 30 bandes de notre échantillon qui ont élu au moins cinq conseils, le nombre de candidats par poste, pour les cinq dernières élections, est de 2.06. La comparaison annuelle, fournie au tableau HI, dénote de légères fluctuations autour du chiffre 2.06, mais sans tendance nettement marquée, pour la période d'une dizaine d'années au cours de laquelle ces élections se sont tenues.
TABLEAU III NOMBRE DE CANDIDATS PAR POSTE, CINQ DERNIÈRES ÉLECTIONS, 30 CONSEILS DE BANDE
Années de la tenue d'élections | Nombre de candidats par poste |
---|---|
1955 - 57 | 1.91 |
1958 - 59 | 2.00 |
1960- 61 | 1.97 |
1962 - 63 | 2.24 |
1964- 65 | 1.87 |
Nous constatons ici une stabilité relativement élevée du mode de présentation des candidatures pour l'ensemble de l'échantillon, environ deux candidats se présentant à chacun des postes. Pour ce qui est de la participation accrue aux élections, nous avons un meilleur indice en prenant le nombre de personnes différentes qui se portent candidats. Parmi les bandes de notre échantillon, le nombre de personnes différentes qui ont été mises en nomination et ont subi l'élection pour les postes de conseiller, au cours des cinq élections, est de 629. Si nous partons de l'échantillon pour conclure que les conseils de bande, en général, sont plus actifs, nous arrivons au chiffre approximatif de 3,000 Indiens qui se seraient présentés, au Canada, comme candidats lors des cinq dernières élections tenues pour les conseils de bande.
Ici encore, nous n'avons pas de renseignements au sujet d'un segment comparable de la population non-indienne à prédominance rurale et non agricole, mais il serait bien étonnant de retrouver chez les non-Indiens une proportion aussi élevée de personnes qui se présentent aux divers postes de conseiller. Ceci veut dire que l'intérêt des Indiens à l'égard des conseils de bande est assez élevé, compte tenu du fait qu'un si grand nombre d'entre eux prennent la peine de se porter candidats à ces fonctions.
A quels facteurs doit-on rattacher le taux de participation des candidats? Si l'on se reporte au tableau II, on constate une forte corrélation entre le nombre de candidats par poste et l'importance des fonds de la bande. il y a aussi une corrélation moins forte, mais tout de même significative, entre le contrôle des fonds de la bande et le nombre de candidats par poste. En d'autres mots, lorsque les fonds de la bande sont considérables, la probabilité de contestation, en ce qui concerne les postes, est plus grande. Étant donné la corrélation qui existe entre l'importance des fonds de la bande et le contrôle qu'on y exerce, on retrouve le même rapport entre le nombre de candidats par poste et le degré de contrôle exercé sur les fonds de la bande. Ce rapport, cependant, est moins étroit, probablement parce que ce contrôle a été accordé, dans certains cas, non pas en raison de l'importance des fonds, mais plutôt en raison d'exigences spéciales se rapportant à l'utilisation des services des gouvernements provinciaux. Nous avons, d'ailleurs, traité de cette question à la Partie I du présent rapport.
Participation de "nouveaux" candidats
À mesure que se répand le principe du régime électif, le fait que les divers postes sont brigués par des candidats qui se présentent pour ha première fois, témoigne d'une participation plus ou moins grande aux conseils de bande. Dans le présent rapport, nous désignons ces personnes sous le nom de nouveaux candidats. Lors d'une élection ou d'une série d'élections, le nombre de personnes qui se présentent pour la première fois nous indique la proportion de nouveaux candidats. De même, nous trouvons la proportion de nouveaux conseillers en établissant le pourcentage des membres d'un conseil donné qui sont conseillers pour la première fois.
Aux fins de notre échantillon, nous avons cru plus sage de nous limiter aux élections récentes, pour trouver la proportion des candidats et conseillers nouveaux. Comme les renseignements sur les candidats ayant participé à des élections, avant 1952, étaient douteux ou simplement inexistants dans le cas de plusieurs bandes de notre échantillon, nous avons décidé de ne pas remonter beaucoup plus loin que 1960. Dès lors, lorsque nous avons trouvé un nom de candidat qui ne figurait pas dans les dossiers des élections précédentes, nous avons supposé qu'il s'agissait d'un nouveau candidat. Suivant cette méthode, l'analyse des données nous a permis de découvrir une augmentation continue, au cours des trois dernières élections, de la proportion entre les nouveaux candidats et les autres. Lors de la dernière élection (1964), ha proportion de nouveaux candidats était de 38 p. 100; lors de l'élection précédente (1962), elle était de 36.4 p. 100; mais à l'élection de 1960, elle était de 31.7 p. 100. On peut en conclure, sans risque d'erreur, que, depuis quelques années, les gens s'intéressent davantage aux conseils de bande. On peut expliquer cette tendance, jusqu'à un certain point, par le plus grand nombre de femmes qui se présentent aux élections des conseils de bande. Il est question de cette tendance dans une autre section du rapport.
Le tableau II-nous indique les corrélations qui existent entre les proportions de candidats et de conseillers nouveaux et d'autres facteurs variables, tels que la proportion de nouveaux candidats élus, le nombre de conseillers différents par poste, et le reste. Nous devons formuler ici certains commentaires particuliers sur la corrélation entre l'importance des fonds de bandes et la proportion de nouveaux candidats élus (X2 = 6.532). Cette corrélation indique que les nouveaux candidats ont plus de chances d'être élus aux conseils de bandes disposant de fonds considérables. On remarquera que ce n'est pas tant la proportion de nouveaux candidats que la proportion de nouveaux conseillers qui correspond à l'importance des fonds de la bande. Les notes recueillies sur place n'apportent aucun éclaircissement sur les raisons de cette corrélation.
Il serait raisonnable de penser que cette vague de nouveaux candidats à la gestion des affaires de la bande, serait constituée, pour une bonne part, de personnes plus jeunes qui n'avaient, jusqu'à ces dernières années, aucune ambition de s'intéresser directement à ces affaires, à titre de conseillers ou de chefs. Si tel était le cas, on pourrait s'attendre à une étroite corrélation entre la proportion de nouveaux candidats et l'âge moyen des candidats. d'après le tableau II, nous constatons que tel n'est pas le cas, ce qui donne à penser que l'âge n'est pas un facteur déterminant en ce qui concerne le nombre de nouveaux candidats possibles ou le nombre de nouveaux élus.
Âge des candidats
D'après l'hypothèse que nous avons avancée, la participation accrue aux élections des conseils et l'adoption de plus en plus répandue du régime électif ont eu pour effet d'abaisser sensiblement l'âge moyen des candidats, particulièrement dans le cas des bandes qui contrôlent leurs propres revenus. Le tableau IV indique qu'effectivement il y a eu baisse de l'âge moyen des candidats.
TABLEAU IV ÂGE MOYEN DES CANDIDATS
Élection (années) | Âge moyen - tous les cand. | Âge moyen - cand. élus | Âge moyen - cand. défaits |
---|---|---|---|
All Elections in Sample | 46 | 47 | 43.9 |
1958 - 59 | 45.6 | 46.6 | 44.3 |
1964 - 65 | 43.1 | 43.4 | 42.9 |
Toutefois, les corrélations prévues entre, d'une part, l'âge moyen des candidats et, d'autre part, l'importance et le contrôle des fonds de la bande, ne se sont pas révélées statistiquement importantes, mêmes si elles se sont faites dans le sens prévu. Au tableau II, nous avons vu que les seules corrélations importantes, du point de vue statistique, en ce qui concerne l'âge moyen des candidats, se rapportaient à la structure démographique et à la continuité des fonctions. Au sein des bandes où la proportion de personnes de 50 ans et plus était plus élevée, l'âge moyen des candidats était aussi plus élevé (R = 0.417 pour toutes les élections; R = 0.378 pour les cinq dernières élections). Plus l'âge moyen des candidats était élevé, plus le degré de continuité en fonctions était élevé (R = 0.568). Dans la section suivante, nous traitons de la question de la continuité en fonctions.
L'âge d'un candidat a-t-il quelque rapport avec la probabilité de son élection? Pour répondre à cette question, nous faisons une distinction entre l'âge des candidats élus et l'âge des candidats défaits. Le tableau IV démontre que c'est le candidat plus âgé qui a le plus de chances d'être élu. Toutefois, il est très important de noter que l'écart d'âge entre les candidats élus et les candidats défaits, qui était de 2.3 ans en 1958-1959, n'était plus que de 0.5 an aux élections de 1964-1 965. On peut donc dire que l'âge d'un candidat est de moins en moins un facteur déterminant de son succès aux élections de bande.
Il serait cependant exagéré de parler d'un changement radical, au point que le leadership, aux conseils de bandes indiennes, passe aux mains des jeunes, qui brigueraient en grand nombre les postes détenus par des plus âgés. Pour une part, la corrélation entre la proportion de nouveaux candidats et l'abaissement de l'âge moyen n'a rien d'impressionnant, comme nous l'avons déjà fait remarquer. d'autre part, nous avons déjà démontré que l'abaissement de l'âge moyen des candidats est attribuable à la structure démographique et aux tendances des collectivités indiennes. Néanmoins, nos données nous fournissent la preuve qu'il est maintenant plus facile à une jeune personne d'accéder à un poste au sein des conseils de bande.
Il faudrait noter qu'il existe des variations considérables, parmi les bandes de notre échantillon, pour ce qui est de l'âge moyen des candidats. Par exemple, au cours des cinq dernières élections, l'âge moyen des candidats était de 36 ans à Dokis, dans le nord de l'Ontario, et de 52 ans à Port Simpson (C.-B.). Chez les Thlingchadinnes des Territoires du Nord-Ouest, l'âge moyen était de 59 ans; les élections s'y déroulent suivant une coutume tribale modifiée. A certains endroits, l'âge moyen des membres du conseil baisse d'une façon très marquée dès qu'on adopte le régime électif au complet. Par exemple, parmi les Indiens du Sang de l'Alberta, l'âge moyen des conseillers a baissé de 52 à 47 ans, en 1963-1964, époque où le régime électif est entré en vigueur. Toutefois, en certains autres endroits, l'âge des candidats et des conseillers n'a presque pas varié, malgré l'introduction du régime électif.
Dans nos notes de travaux sur place, il est souvent fait mention de l'âge des personnes en poste. Nos rapports sur quatre bandes, soulignent notamment le fait que les gens eux-mêmes ont recours à l'hypothèse d'un conifit de générations pour expliquer ce qui se produit. Dans ces rapports, on retrouve fréquemment des affirmations comme celles qui suivent:
"Les vieux devraient céder la place à des plus jeunes, qui sont plus au courant des choses de notre temps". "Ma génération est trop vieille pour se mettre au pas de notre temps. Nous devrions laisser la place aux plus jeunes. c'est pour cela que je ne me représente pas." "Ce qui se produit ici, c'est que les plus jeunes sont en train de prendre la place, et c'est peut-être la meilleure chose".
Dans deux de ces cas, on a pris la peine de vérifier ce qui se produisait. Le changement qui s'est produit chez les candidats et les membres du conseil de bande s'expliquent beaucoup plus sûrement par certains facteurs, comme la présence de clans divisant certaines parties de la réserve (Nipissing) et la mise en oeuvre du principe de l'hérédité (favorisant, dans ce cas, des hommes plus jeunes qui sont de la lignée) (Cheam), et non par la supposée campagne en faveur d'un rajeunissement des cadres. Ce que nous évoquons ici, c'est que les Indiens, en certains endroits, ont adopté la théorie du conflit de générations, théorie qui prévaut dans la société environnante et qui leur sert d'explication aux changements touchant le leadership. Dans les données recueillies sur place, il est aussi fait mention de la tendance qu'ont certaines personnes nouvellement arrivées dans les collectivités indiennes, à vouloir accélérer le développement communautaire, en écartant les anciens et en incitant les jeunes à se présenter aux différents postes, où ils deviendront des chefs de file. On semble alors se fonder sur l'hypothèse selon laquelle les jeunes seront moins conservateurs que les anciens. Les renseignements dont nous disposons ne nous permettent pas de vérifier le bien-fondé de cette hypothèse.
Bref, les faits démontrent que l'âge des titulaires des postes de conseillers a nettement tendance à s'abaisser. Pour se faire une idée définitive de l'âge moyen des conseillers et de ses corrélations, il faudrait un échantillonnage plus détaillé, réparti sur un plus grand nombre d'élections. d'ici quelques années, les nombreuses bandes qui ont adopté récemment le régime électif complet, auront eu le temps de procéder à quelques autres élections. Il serait alors opportun de reprendre une étude statistique des conseils de bande, à l'aide des renseignements très nombreux consignés dans les dossiers de la Direction des affaires indiennes.
Participation des femmes
Le rôle de plus en plus important joué par les femmes constitue un autre signe de changement en ce qui concerne la participation communautaire aux affaires des conseils de bande. Jusqu'en 1951, les femmes n'avaient pas le droit de vote; elles ne pouvaient donc se porter candidates pour devenir membres des conseils de bande. Notre analyse statistique ne nous permet pas de faire une distinction entre la participation des hommes et celle des femmes aux différents scrutins; toutefois, nous avons des données quant à l'élément féminin parmi les candidats. Selon des renseignements en provenance de la Direction des affaires indiennes, il y avait en 1964, pour tout le Canada, sept femmes indiennes agissant comme chefs de bandes, tandis que 107 femmes détenaient des postes de conseillers. Parmi les bandes de notre échantillon, il ne se trouvait pas de femmes qui fussent chefs de bande, en 1964, mais il y avait 17 conseillères. A remarquer que ce dernier chiffre représente 6 p. 100 des éléments féminins aux conseils de bandes, en 1964, et que notre échantillon représente environ 6 p. 100 de toutes les bandes du pays. Ceci veut peut-être dire que notre échantillon est plus représentatif que nous ne le prétendons, compte tenu du fait que nous y avons délibérément introduit certaines déviations.
II est bien évident que les femmes qui se portent candidates sont de plus en plus nombreuses, à en juger par notre échantillon. Au cours des trois élections tenues entre 1954 et 1959, environ 7 p. 100 des candidats étaient des femmes; pour la période de 1960 et 1965, cette proportion avait augmenté à environ 12 p. 100. Au cours de la première période, 46 femmes s'étaient présentées à différents postes; au cours de la dernière période, il y en avait 71. Pour la période couvrant les six dernières élections, il y a eu, parmi les bandes de notre échantillon, quatre femmes qui se sont portées candidates à quatre postes différents de chef de bande. La tentative a échoué dans trois cas, mais une femme a été élue à deux reprises (bande Skwah, en 1960 et en 1962). d'après notre échantillon, les femmes ont moins de chances d'être élues au conseil que les hommes, mais leurs chances se sont légèrement améliorées au cours des dernières élections. Le tableau V nous fournit des chiffres pertinents à cet égard.
Candidats | Année d'élections | Pourcentage de Candidats élus |
Pourcentage de Candidats défaits |
---|---|---|---|
Tous les Candidats | 1954 - 1964 (6 élect.) | 47 | 53 |
Femmes candidates | " " | 35 | 65 |
Femmes candidates | 1954 - 1959 (3 élect.) | 34 | 66 |
Femmes candidates | 1960 - 1965 (3 élect.) | 36 | 64 |
Chez la plupart des bandes pour lesquelles nous avons des renseignements pertinents, le taux de succès des femmes candidates est presque égal à celui des hommes. Dans un cas, un très grand nombre de femmes se sont présentées comme candidates aux élections de 1962 et de 1964, mais une seule a été élue. Il s'agit de la réserve de Walpole Island, où 13 femmes se sont portées candidates à 19 postes différents entre 1960 et 1964. Une seule a été élue. Au tableau VI, nous avons exclu la bande de Walpole Island, afin d'avoir une idée de la façon dont les candidates des autres bandes se sont comportées lors des trois dernières élections.
Female Candidates | Candidates | Pourcentage de Candidats élus |
Pourcentage de Candidats défaits |
---|---|---|---|
Walpole Island (N 19 candidatures) |
1960 - 1965 (3 élect.) | 5 | 95 |
Autres bandes (N= 64 candidatures) |
1960 - 1965 (3 élect.) | 43 | 57 |
Malheureusement, nos travaux dans la réserve de Walpole Island ont été effectués au tout début de notre projet; ils ne contiennent donc pas de rapport sur l'élection du conseil de bande de 1964, alors que plusieurs femmes se sont portées candidates. Il nous est donc impossible de soumettre une hypothèse quant à cette situation plutôt inusitée d'un rejet presque en bloc des candidats féminins.
Même si, dans l'ensemble de l'échantillon, le nombre de femmes directement intéressées aux affaires du conseil de bande est à la hausse, il est encore trop infime pour nous permettre de découvrir les facteurs corrélatifs de la participation féminine. Sauf dans le cas des bandes très éloignées qui vivent encore de piégeage, de chasse et de pêche et où pratiquement aucune femme ne se porte candidate, nous ne pouvons guère expliquer les différences en ce qui a trait aux candidatures et aux succès électoraux féminins. Nous avons vérifié certaines hypothèses au sujet des penchants pour la descendance de la lignée maternelle, de l'urbanisation et de l'éducation. Nos données ne confirmaient aucune de ces hypothèses. Comme nous l'avons souligné à propos de l'analyse des tendances selon les groupes d'âges, il nous faudrait une période de temps plus étendue et un échantillon plus détaillé pour découvrir les facteurs qui favorisent la participation et l'élection de l'élément féminin.
Nous ne pouvons, non plus, rien affirmer de la participation des femmes indiennes à l'administration locale, par comparaison avec l'attitude des non-Indiennes. Nous n'avons aucun renseignement sur la participation des non-Indiennes aux affaires locales. Selon nous, la participation des femmes indiennes à titre de candidates à des postes serait plus directe et plus formelle. La seule façon de le savoir serait d'effectuer, chez les non-Indiens, un échantillonnage comparable à celui que nous avons fait chez les Indiens, et d'étudier les comportements ayant trait à la participation aux affaires politiques locales.
Trame de la continuité en fonction
Dans le présent contexte, la continuité en fonction signifie simplement la probabilité de réélection des conseillers en poste. On exprime arithmétiquement par 1.00 la continuité parfaite dans un conseil, c'est-à-dire que tous les membres du conseil précédent sont réélus. La continuité nulle s'exprime par 0.00, c'est-à-dire qu'aucun membre du conseil précédent n'est réélu. Si trois conseillers sur cinq sont réélus à un conseil subséquent, le taux de continuité s'exprimerait alors par le chiffre 0.60. Supposons qu'il se tient plusieurs élections, pour un conseil de bande donné et sur une période de temps donnée, la continuité en fonction peut s'exprimer arithmétiquement pour cette bande comme étant le taux moyen de continuité pour le nombre d'élections comprises dans l'échantillon. Au tableau I, nous voyons que le taux moyen de continuité 1 pour toutes les bandes représentées dans l'échantillon, est d'environ 0.46. Si nous transposons en langage courant, cela veut dire que, dans un conseil donné, à peu près la moitié des membres du conseil précédent devraient être réélus. Comme pour la plupart des mesures de notre échantillon, la mesure de la continuité varie énormément d'un conseil de bande à un autre. A l'une des extrémités, nous avons Maniwaki (P.Q.), avec un fort taux de continuité de 0.90, et à l'opposé, Goodfish Agence de Saddle Lake (en Alberta), avec un taux très faible de 0.19. Nous voyons, au tableau II, qu'il y a une très forte corrélation entre la continuité en fonction, d'une part, et l'âge moyen des candidats et le nombre de conseillers différents par poste, d'autre part. Plus l'âge moyen des candidats est élevé, plus le degré de continuité est élevé au sein de la bande. Et, comme on peut le prévoir, plus le degré de continuité en fonction est élevé, moins il y a de conseillers différents par poste. Il y a aussi corrélation, moins étroite mais non dépourvue d'une certaine importance statistique, entre la continuité et la proportion de nouveaux candidats: moins ces derniers sont nombreux, plus forte est la continuité au conseil de bande.
La trame de la continuité en fonctions ne peut servir d'indice, ni quant au degré d'intérêt porté aux conseils de bande ni quant à l'importance de ces derniers, à moins de procéder à une analyse approfondie du milieu communautaire dans lequel elle se produit. Les éléments statistiques étudiés ne nous permettent pas une telle analyse. Cependant, les travaux de recherche effectués sur place traitent de ce milieu pour ce qui est de la moitié, à peu près, des 34 bandes de notre échantillon, ce qui nous permet de relever quelques détails sur la continuité et sur le processus politico-administratif au sein des bandes indiennes. Un degré élevé de continuité, associé à une faible participation au scrutin et à un nombre restreint de candidats à chaque poste, pourrait signifier un intérêt très faible pour les candidatures et pour les élections. Il semblerait que ce soit le cas à Cheam et à Maniwaki. Toutefois, la même trame (degré élevé de continuité, faible participation au scrutin, nombre restreint de candidats) pourrait signifier la survie d'un régime traditionnel sous les apparence d'un régime électif, où le conseil de bande continue de remplir un rôle important aux yeux des membres de la bande, malgré des indications superficielles d'une faible participation au scrutin et d'un nombre limité de candidatures. La bande des Thlingchadinnes pourrait être de cette catégorie.
Là où un fort degré de continuité est associé à une forte participation des électeurs et à un nombre considérable de candidats, il est raisonnable de supposer que les personnes qui sont réélues à chaque élection s'acquittent bien de leur tâche, selon les critères de rendement de la bande. Cette même trame pourrait cependant signifier qu'il existe un certain système de partis, en vertu duquel certaines coteries essaient de défaire les membres de la coterie en fonctions, les coteries perdantes présentant, à chaque élection, un grand nombre de candidats nouveaux. Dans notre échantillon, Walpole Island pourrait se classer dans cette catégorie. Lorsque les conseillers d'une bande sont remplacés à chaque élection, c'est-à-dire lorsque le degré de continuité est très faible, on peut y voir un indice de forte concurrence et de normes de rendement relativement sévères, auxquelles les conseillers en fonctions peuvent difficilement satisfaire. Associée à une forte participation des électeurs et à des candidatures nombreuses, cette trame pourrait être l'indice d'un intérêt vigilant pour les affaires du conseil de bande. On retrouve cette trame à Tobique, au Nouveau-Brunswick. Mais d'après les travaux de recherche faits sur place, il faudrait voir dans cette trame, non pas tant l'impuissance des candidats élus à satisfaire aux critères de rendement, mais plutôt un équilibre précaire entre les coteries ou partis, dans la réserve, équilibre qui oscille d'une élection à l'autre et qui explique le faible degré de continuité.
On pourrait appeler "l'affaire de Machin-Chose" la trame qui consiste en une faible continuité, associée à une faible participation des électeurs et à un nombre restreint de candidats par poste. Cela signifie que les abandons ou les résignations sont nombreuses, soit parce qu'on n'attache guère d'importance au rôle du conseil, soit parce qu'on ne veut pas s'astreindre aux obligations de la fonction.
Les diverses combinaisons des taux de continuité avec d'autres taux, comme ceux de la participation des électeurs et des candidats, et le reste, pourraient faire l'objet d'une étude à partir d'un échantillon plus représentatif couvrant une période de temps plus longue, en vue d'identifier les différents syndromes. Ainsi, on pourrait établir une typologie de la situation des conseils de bande, constituant l'élément fondamental d'un échanthon qu'on pourrait étudier suivant les modalités conventionnelles des travaux effectués sur place.
Autres variables se rapportant au scrutin et à la participation des candidats
d'après des observations tirées de documents sur les Indiens ainsi que de nos notes de travaux sur place, la probabilité du résultat d'un scrutin, d'une candidature ou d'une élection serait rattachée à plusieurs autres variables, comme les liens parentaux, le degré d'instruction, la situation économique et l'affiliation religieuse. En tentant de vérifier ces variables dans les dossiers à notre disposition, nous avons éprouvé des difficultés en partie attribuables à la pénurie de renseignements sur tel ou tel candidat. Dans bien des cas, nous n'avions que le nom et l'âge des candidats. Sur les affiliations parentales, il n'y avait presque rien à tirer des dossiers. Le genre d'occupation et le degré d'instruction étaient indiqués dans environ 50 p. 100 des cas. Toutefois, les rapports sur les candidats présentent une telle uniformité, pour ce qui est de ces deux derniers aspects, qu'il est hors de question d'en tirer quelques données de valeur statistique. Pour la très grande majorité des candidats, il est simplement fait mention de manoeuvres, cultivateurs ou trappeurs ayant fait une ~e ou une 7e année. n'ayant pas les données qui permettraient de comparer la situation économique des candidats de certaines localités avec la situation de l'ensemble de la bande, il nous est impossible de formuler quelque conclusion quant à l'importance des qualités des candidats. Nous avons cependant, dans nos notes de travaux, certains renseignements sur les liens de parenté, la situation économique et le degré d'instruction des candidats chez plusieurs bandes de l'échantillon. Nous reviendrons à l'étude de ces sujets après nous être arrêtés quelque peu sur l'affiliation religieuse et les corrélations qu'on y trouve dans notre échantillon statistique.
Voyons d'abord les corrélations entre les deux principaux groupes religieux, les catholiques romains et les protestants, étant donné que, dans les études à caractère social, on explique couramment les différences de comportement et autres par l'affiliation à l'un ou à l'autre de ces groupes.Note de bas de page 165 Les catholiques romains votent-ils plus ou moins que d'autres? Notre échantillon ne révèle aucune corrélation entre l'affiliation religieuse et le nombre d'électeurs admissibles qui expriment leurs suffrages. Les catholiques romains sont-ils plus souvent candidats et plus souvent élus que les autres? Ici encore, aucune corrélation entre l'affiliation religieuse et les possibilités de candidature et d'élection. De fait, l'affiliation religieuse ne correspond à aucun des facteurs variables qui ont été vérifiés dans la présente étude sur les conseils de bande.
Étant donné, par contre, la validité et la sûreté des renseignements sur l'affiliation religieuse des bandes, nous avons pensé utiliser l'affiliation religieuse sous un autre aspect, c'est-à-dire comme un indice d'homogénéité ou d'hétérogénéité de la collectivité. Nous avons pensé que les habitudes de votation de la bande, ainsi que d'autres habitudes électorales, varieraient suivant le degré d'homogénéité de la bande. Pour sûr, l'homogénéité religieuse n'est qu'une sorte d'homogénéité parmi d'autres: linguistique, sociale, parentale, et le reste, mais il s'agissait d'un aspect sur lequel les dossiers consultés nous fournissaient des renseignements. Les bandes dont 70 p. 100 ou plus des membres étaient d'une même dénomination religieuse ont été considérées comme homogènes, les autres, comme des bandes mixtes. Le graphique des corrélations, au tableau II, indique que cette variable ne correspond non plus à aucune des autres.
Liens de parenté
Dans nos notes de travaux sur place et dans des documents complémentaires, il est souvent fait mention du lien de parenté comme d'un élément important dans la composition des conseils de bande et de l'appui qu'on leur apporte. Certains ouvrages parlent directement de liens de parenté. d'autres le laissent sous-entendre lorsqu'il est question, dans une collectivité, de coteries, de factions et de dénominations qui sont, jusqu'à un certain point, déterminées par la lignée et par l'affiliation. Il ne faut pas oublier que l'appartenance même à une bande est déterminée, à de mares exceptions près, par la descendance de la lignée paternelle, l'adoption de nouveaux membres dans une bande constituant les cas d'exception. l'affiliation à une bande est déterminée par les liens de parenté et les membres de la bande sont, de façon générale, peu disposés à admettre de nouveaux membres. Pour ces raisons, il est probable que le taux de déplacements, au sein des collectivités indiennes et vers l'extérieur, est de beaucoup inférieur à celui qu'on relève dans les villes, villages et hameaux des non-Indiens. De même, le taux des mariages au sein des collectivités indiennes est probablement beaucoup plus élevé que le taux équivalent dans les localités non-indiennes, ce qui fait que l'Indien est rattaché, à l'intérieur de sa collectivité, par une multitude de liens de parenté.
Pour ce qui est des petites bandes de notre échantillon ainsi que des documents complémentaires, on peut difficilement isoler la parenté comme étant un facteur variable indépendant se rapportant à la candidature, à la possibilité d'élection, à la tendance des suffrages, et le reste. Il est rare que, dans ces petites bandes, il soit question d'élections en fonction de la parenté. Les liens par la descendance ou par le mariage sont à ce point entremêlés que, même s'il s'agissait de choisir au hasard les candidats à un poste, on retrouverait probablement sur cette liste un grand nombre de personnes de descendance et d'affinité communes.
Lorsque le recrutement des chefs se fait encore ouvertement suivant le principe de l'hérédité, la descendance joue un rôle évident dans le choix des candidats. Mais dans les cas où ce principe n'est pas ouvertement reconnu, il est très difficile pour les observateurs de recueillir tous les renseignements qui leur permettraient de préciser, en toute assurance, la véritable signification de la descendance, du moins en ce qui a trait aux candidats et à l'appui qui leur est donné au sein des petites bandes. Il arrive souvent, chez les petites bandes, que des postes importants, même au conseil, soient détenus par les membres d'une même famille selon une proportion bien supérieure à son importance numérique. Nous avons déjà abordé cette question lors de l'étude sur l'organisation communautaire. Mais même dans ces cas, il est rare que les gens insistent eux- mêmes sur les rapports entre les liens de parenté et l'agencement de la vie communautaire. Un passage typique de nos notes de travail, cette fois se rapportant à l'île Christian, illustre bien la position de force occupée par une famille locale dans les organisations communautaires, y compris le conseil de bande.
Les conseillers n'étaient pas manifestement élus en vertu de l'influence des liens de parenté, c'est-à-dire qu'on ne retrouvait pas au conseil des groupes importants de proches parents.. . Cependant, de toute évidence, il y avait une famille qui constituait un noyau important de chefs ou, tout au moins, un noyau de personnes actives détenant les postes officiels. Dans ce groupe, qui comprenait les quatre soeurs et deux de leurs frères, trois soeurs détenaient des postes officiels au sein des organisations féminines;l'un des frères était gérant de bande et agent de la paix auprès des Indiens. Le mari d'une des soeurs était membre du conseil.. . et le nouveau chef était un de leurs cousins.
Il est caractéristique de ces petites bandes de confier les postes officiels à des personnes ayant des liens de parenté, mais sans se servir de la parenté comme d'un principe voulu et reconnu ouvertement pour ce qui est du recrutement des candidats et de l'appui qui leur est accordé. Dans les petites bandes, les nombreuses plaintes rapportées par des Indiens qui accusent les chefs et les conseillers de favoritisme envers les membres de leur famille, indiquent bien que pour bon nombre de personnes en fonctions, la parenté est une chose qu'elles ne peuvent pas ignorer. On a cependant la preuve, par les nombreuses plaintes qui sont formulées, que l'opinion générale rejette les pratiques qui consistent à faire passer les intérêts des parents en premier lieu, dans l'exercice des fonctions, et qu'elle appuie plutôt des normes plus universelles, qui consistent à placer d'abord les intérêts de la bande au premier plan des préoccupations de ceux qui détiennent des postes éminents. Pour les membres d'un grand nombre de petites bandes, il s'agit là, bien sûr, d'une distinction purement théorique, le chef et les membres du conseil ayant, à toutes fins pratiques, pleins pouvoirs de venir en aide à n'importe qui, étant donné la pénurie de fonds, de ressources et de contrôle direct sur des objets importants et ayant quelque valeur. Bref, dans la plupart des bandes de notre échantillon comme dans les documents complémentaires, particulièrement au sein des petites bandes, les gens qui se portent candidats à des postes de conseillers, ne sont pas considérés comme "représentants" d'un groupe de personnes apparentées, comme les descendances et les lignées, même si, à l'occasion, ils doivent favoriser certains parents.
Cependant, dans les bandes plus considérables où la fonction de chef est considérée comme le symbole de l'ensemble de la bande, les conseillers sont tenus pour les représentants de certains intérêts de classe ou de parti qui ont habituellement rapport aux liens de parenté. Par exemple, d'après Shimpo et Wilhiamson, la bande Côté, qui compte environ un millier de membres, est constituée de groupes ou coteries portant un surnom et que ces auteurs appellent parfois cliques.Note de bas de page 166 Sauf pour le chef, dont le poste est héréditaire mais dont la nomination doit être approuvée par la bande, les conseillers ne sont pas considérés comme des représentants de l'ensemble de la bande, mais plutôt comme les représentants de ces groupes et cliques à désignation patronymique. Toujours selon ces auteurs, plus ces personnes ont de parents pour les appuyer, plus leur chance d'être élues est grande. Cette tendance à considérer les conseillers comme des représentants d'intérêts partisans est particulièrement forte chez les bandes qui ont conservé le régime traditionnel ou qui n'ont adopté que récemment le régime électif. Comme Hawthorn et ses collègues le faisaient remarquer en 1958, à propos de la Colombie-Britannique:
Dans certaines bandes, les sections sont constituées des descendants des premières collectivités qui, à un moment donné, se sont fusionnées en une bande. Là où ces collectivités conservent une identité résidentielle distincte, il serait possible de contourner le problème de la représentation en établissant, en vertu de la Loi, des divisions électorales dont le nombre ne doit pas excéder six . . . Assez souvent, cependant, les divisions ne concordent pas avec les unités résidentielles, de telle sorte qu'un système de circonscriptions ne fonctionnerait pas. Plus souvent encore, les divisions dont le patrimoine devrait être représenté ne sont, de fait, que des lignées, et non des groupes résidentiels. En étudiant ce problème, il ne faut pas perdre de vue que le chef traditionnel a souvent été un peu plus que le primus inter pares, qu'il a été le représentant ou le chef d'une lignée supérieure, et que ses égaux, disposant presque du même prestige, seraient les chefs d'autres lignées de sa collectivité.Note de bas de page 167
Dans notre échantillon, nous comptons plusieurs bandes considérables (Blood, Caughnawaga, Squamish, fie Walpole) où le principe de la représentation des groupes est publiquement reconnu. Le mot "bande" prête alors à confusion, parce que ces gens ont tendance à se considérer comme des "tribus", des "nations" ou des "peuples" constitués de bandes. A cet égard, nos notes de travail se rapportant à Blood sont très explicites:
(un informateur) comme tous les autres conseillers interviewés, il appartient à une famille de chefs, son père ayant été chef avant lui. Il donne à entendre (comme nos autres informateurs) que le mot "bande" est inapproprié dans le cas de la réserve des Indiens du Sang (environ 3,000 membres). Selon lui, il faudrait dire la tribu des Indiens du Sang, dont la population totale serait constituée d'un certain nombre de "bandes" (8 à 12) représentant des groupes apparentés plus restreints. Son père a été le chef d'une de ces bandes et c'est cette dernière qui l'a lui-même choisi comme successeur, de préférence. à d'autres candidats. s'il y avait en tout 74 candidats aux divers postes du conseil, chaque "bande" serait représentée en moyenne par quelque six candidats. c'était en effet parmi ces six que les membres de la "bande" devaient choisir leur chef. La coutume veut que le vote soit accordé à un parent, ou à un membre de la "bande", plutôt qu'à un étranger. il n'y a que pour l'élection du grand chef que les votes n'étaient pas donnés en fonction des liens de parenté.
l'élément des liens de parenté, pour ce qui est du recrutement, de l'appui et de la représentation aux conseils de bande, sous-entend une forte insistance sur une certaine forme de particularisme que les sociologues associent habituellement à une éthique traditionaliste et conservatrice, qui se prête difficilement aux problèmes d'adaptation d'une société en évolution. Mais la règle d'après laquelle un certain particularisme dans le choix des candidats aux postes législatifs et exécutifs entraîne une certaine répugnance à s'adapter énergiquement aux changements, est loin d'être une "loi d'airain". Parmi les groupes de notre échantillon, les Indiens du Sang sont les plus souples et les mieux disposés aux changements, comme nous le soulignerons dans le prochain chapitre. Il en est de même des Squamishs, qui sont, de fait, un conseil tribal constitué de bandes dont chacune avait auparavant son propre conseil. Dans nos notes de travail sur ce groupe, nous citons les commentaires d'un membre de la bande, étudiant en anthropologie, sur le rôle des groupes familiaux qui s'unissent en un réseau d'alliances "amicales". Ces commentaires méritent d'être rapportés assez longuement, car on y trouve les opinions d'une personne "du milieu" sur le comportement électoral en coulisses.
. . . .c'est le groupe de personnes parentes sur lesquelles repose la structure politique de la tribu des Squamish. Lorsque le conseil a abandonné le système des bandes, la grande question fut de savoir quels membres allaient être élus conseillers. Selon l'ancien régime, le sous- chef représentait sa bande. Maintenant, un conseiller doit être élu par l'ensemble de la tribu; la bande, comme groupe, a donc peu de chances de faire élire un représentant. Il est vite apparu que le réseau des parentés fournirait peut-être une solution, Il s'agirait, pour un groupe d'indiens d'ascendance commune, de présenter un candidat et de demander aux groupes amis de l'appuyer. A leur tour, ces groupes amis demanderaient l'appui d'autres groupes. De la même façon, un candidat d'opposition pourrait grouper ses effectifs et engager la lutte.
Les candidats se conduisent de la façon dont les gens doivent se conduire en public (chez les Squamishs). Ils n'osent rien dire, de crainte d'offusquer certains de leurs partisans. On n'attend pas, de l'aspirant conseiller, qu'il fasse des discours et qu'il vante ses propres mérites, mais plutôt qu'il continue ses affaires tout comme s'il n'y avait pas d'élection. Les partisans se battent d'arrache-pied pour obtenir l'appui des groupes neutres. Ils rapportent dans les moindres détails tout ce qui peut ternir la réputation du candidat de l'opposition (y compris les faux- pas des membres de sa parenté, comme je l'ai déjà dit). On ne trouve ni banderoles, ni drapeaux, ni programme politique, ni discours. Tout se passe en coulisse, au téléphone, à la taverne et partout où l'on peut papoter à l'aise. Puis arrive le jour des élections. Tous les adultes de la tribu prennent place dans la salle de réunion et se comportent comme s'ils allaient toucher des allocations. c'est ici qu'un candidat peut identifier ses amis et ses adversaires. Chacun considère comme une obligation de conscience de se rendre voter pour les candidats de sa parenté. Les chefs de famille prennent note des parents ou des amis qui ne sont pas présents. Il y a à peine quelques années, le vote se prenait encore à main levée. Imaginez-vous la confusion qui régnait! Les "traîtres" étaient ainsi connus de tous.
Comme il fallait, de toute évidence, changer le ni ode de votation, on adopta le scrutin secret. Si une alliance réussit à faire élire un candidat, rien ne s'oppose à ce qu'elle en fasse élire d'autres pour contrôler ainsi le conseil. Un groupe important d'ascendance commune, comme les Smith, peut réussir à faire élire deux parents (Joe et Tom Smith), mais si elle cherchait à faire élire un autre membre, elle perdrait l'appui de ses amis de l'alliance. Ainsi, elle appuiera le candidat d'une famille amie, dans ce cas les Blanks, qui sont aussi alliés aux Jones, tout comme les Jones sont les alliés des Smith. Il est donc probable qu'à cette élection, ladite alliance réussisse à faire élire quatre conseillers (deux Smith, un Blank et un Jones). Dans un autre cas, les Brown sont les alliés des Blanks, mais non ceux des Smith et des Jones, ce qui produit une autre alliance. l'alliance dont fait partie une famille dépend donc de la situation.
. . . . Le conseil se compose de membres de la tribu qui doivent surtout leur élection aux membres de leur parenté. Sous l'ancien régime, lorsqu"une bande voulait faire adopter certaines mesures, elle en faisait la demande au sous-chef, qui en faisait la proposition au conseil. De nos jours, c'est le conseiller qui représente le groupe d'indiens qui lui sont apparentés. Si ce groupe de parents, ou un groupe ami, désire faire adopter une mesure, c'est le conseiller qui en présente la motion au conseil. c'est ce qui fait que le conseil de la tribu est un organisme représentatif. . la seule façon pour les gens d'infléchir les décisions du conseil étant d'avoir indirectement recours aux groupes de pression que représentent les familles d'ascendance commune.
Chez les Squamishs, le conseil joue un rôle d'intégration: chaque groupe important y est représenté de quelque façon, sans que l'un ou l'autre groupe ne puisse exercer un contrôle écrasant. Toutefois, le conseil fonctionne d'une façon plutôt bureaucratique, en ce sens que le travail y est nettement partagé entre plusieurs comités, un gérant de bande et d'autres employés. Selon nous, l'exécution des tâches se rapproche de ce qui se fait dans n'importe quelle petite municipalité. Dans certaines tribus, comme chez les indiens du Sang et les Squamishs, le régime consiste à faire représenter au conseil des groupes d'Indiens apparentés ayant à peu près la même importance, même s'il arrive parfois que certaines familles et certaines alliances soient plus influentes et proportionnellement plus considérables que d'autres. Le jeu des alliances entre les familles n'est pas rigoureusement déterminé, et on ne dit pas que certains groupes d'ascendance commune sont au pouvoir ou dans l'opposition, comme le font les partis politiques. La situation est différente chez les bandes où les sections de la collectivité établies d'après les liens de parenté sont divisées en clans qui se querellent entre eux. Dans ces endroits, on peut considérer le conseil de bande comme le théâtre où se déroule le conflit social latent. Le mot clan a ici la même acception que dans l'étude faite par Ricciardelli sur la bande des Oneidas, en Ontario:
. . . .(Les clans) sont des groupes qui se querellent, qui cherchent sans cesse à obtenir une victoire sociale concluante. Les clans sont considérés comme une menace à l'unité et à l'intégrité de la collectivité. Poussées à l'extrême, les querelles de clans peuvent entrainer l'éclatement de la collectivité et la rupture complète des relations sociales.Note de bas de page 168
Dans ce contexte, ce qui distingue le clan d'un parti, c'est que le parti reconnaît la légitimité des autres partis et leur fait la lutte, alors que le clan nie toute légitimité aux clans opposés, rejetant ainsi le fondement de toute structure gouvernementale. Prenons comme exemple la révolte manquée de certains clans parmi les Indiens des Six Nations, en 1959. Un groupe séparatiste qui niait la légitimité du système électoral, refusa de voter ou de participer aux élections, tout en cherchant à faire revivre le régime ancestral. Comme le fait remarquer Ricciardelli, ces clans ont tendance à se constituer comme des partis en puissance, et l'élément conservateur tend à abandonner sa stratégie de désaffection du corps électoral pour prendre part aux élections, reconnaissant ainsi implicitement la légitimité du corps électoral. Dans notre échantillonnage de travaux effectués sur place, nous retrouvons quelques cas qui ressemblent plus, à première vue du moins, à un régime de clans qu'à un régime de partis. A Fort Alexander, par exemple, un groupe minoritaire qui se considère comme un groupe d'indiens "véritables", nie la légitimité du groupe majoritaire qui, selon lui, n'est pas constitué de "véritables Indiens", mais plutôt de descendants de métis, visés par hasard par un traité qui leur reconnaissait juridiquement la qualité d'indiens. Cette division est accentuée du fait que les "vrais" Indiens du groupe minoritaire ont des noms anglais et sont presque tous de religion anglicane, alors que ceux du groupe majoritaire ont des noms français et appartiennent presque tous à la religion catholique romaine. Le groupe majoritaire contrôle le conseil, ainsi que les divers comités de coopération qui ont été établis en rapport avec un programme de développement économique, les indiens minoritaires étant relativement isolés, méfiants de toute innovation et de l'activité accrue exercée parmi les indiens par le gouvernement de la province. Sur un plan restreint, cela fait penser à une scission ethnique. Et comme l'ethnicité est déterminée par l'ascendance, cette "scission" se produit à la ligne de partage des groupes apparentés. Plusieurs informateurs du groupe minoritaire considèrent le conseil de bande comme un instrument mis au service de la majorité, qui est de descendance métis. Prenons aussi le cas de la réserve de Nipissing, où la bande semble divisée en clans plutôt qu'en partis. Ce territoire long (env. 20 milles) et étroit comprend cinq villages, le gros de la population étant groupé dans deux villages situés à l'extrémité ouest. Tous les conseillers actuellement en poste proviennent des deux villages de la partie ouest. Ils mettent en oeuvre un programme économique qui consiste à louer et à vendre des terres et des droits sur les richesses naturelles, ce que désapprouvent un grand nombre d'Indiens de la partie est de la réserve. Dans nos notes de travail, nous lisons ce qui suit:
. . . .des hommes de la partie est qui, autrefois, étaient des chefs de file, sont maintenant découragés et entretiennent peu d'espoir d'un changement d'orientation. Même si le public est admis aux réunions du conseil, rares sont les Indiens de l'est qui se dérangent pour y assister. Certains ont formellement contesté les élections du conseil, d'autres semblent d'avis que les décisions prises sans l'assentiment de la bande (par opposition à un vote au conseil) ne sont pas valides juridiquement; ces derniers ont tenté d'empêcher le conseil de mettre ses décisions en vigueur. . . La discorde est telle que les gens de la partie est parlent de diviser la réserve en deux parties. . . La désunion entre l'est et l'ouest se trouve accentuée du fait que chaque pâté de maisons a tendance à grouper des gens de même parenté; dans les villages plus récents et plus modernes de la partie ouest, ce genre de groupement par familles est moins généralisé.
d'après les renseignements recueillis dans les dossiers de la Direction des affaires indiennes sur la bande de Pointe-Bleue, il semblerait qu'il y existe aussi des clans qui constitueraient une sorte de régime de partis en formation. Dans ces dossiers, il est fait mention des élections, à Pointe-Bleue, comme de concours symboliques.
. . . où il est déterminé lequel des clans régnera sur l'autre, l'aptitude des candidats n'ayant aucune importance. Le groupe minoritaire d'un clan est appelé l'opposition.
A cet endroit, les descriptions d'élections tracent le tableau de luttes achanées, où il est fait mention de violence, de menaces, de demandes d'annulation d'élection faites par les candidats perdants, et le reste. Lors d'une élection récente, le candidat défait au poste de chef se décrit lui-même comme le chef de l'opposition. A Pointe-Bleue, le grand nombre de candidats à chaque poste s'explique du fait que chacun des candidats au poste de chef fait équipe avec quatre à sept autres personnes qui se présentent comme conseillers. Les renseignements sur cette bande ne sont pas suffisants pour que nous puissions déterminer avec exactitude les liens de parenté qui unissent les membres de ces équipes et expliquer la nature des groupements qui, dans les dossiers, sont considérés comme des "clans". Il s'agit peut-être, en fait, de partis naissants qui polarisent les opinions différentes sur ce que devraient être les objectifs prioritaires de la bande. Il est possible qu'il y ait corrélation de parenté entre ces clans ou partis, mais il serait abusif d'attribuer ces disputes principalement à des liens de parenté différents. Les liens de parenté considérés comme élément ou facteur caractérisé, nous amènent à parler de l'opposition entre éléments rivaux d'une collectivité qui ont des opinions divergentes quant aux programmes et aux objectifs. Voici quelques généralisations fondées sur nos travaux de recherche effectués sur place. Dans les bandes disposant d'importantes ressources exploités soit directement par les membres de la bande ou indirectement par location et vente, les conseils semblent dominés, entièrement ou partiellement, par des personnes qui prônent l'exploitation des richesses naturelles et la hausse du niveau de vie. Selon toute vraisemblance, ce sont ces mêmes personnes qui, une fois en poste, apporteront leur appui aux programmes de la Direction des affaires indiennes ou à ceux de la province, même si elles les critiquaient avant l'élection. Leurs adversaires leur reprochent d'être des "hommes de paille" de l'administration, de vendre leur patrimoine indien en collaborant ainsi avec le gouvernement, et de ne considérer les terres et les richesses que sous un angle purement matérialiste, plutôt qu'en fonction des besoins des Indiens, qui cherchent à maintenir leur régime et leur identité propres. Dans plusieurs de nos rapports, les membres des conseils et les non-Indiens appellent ces adversaires des "conservateurs" et des "traditionalistes"; on dit que ces derniers perdent rapidement la faveur des électeurs. Dans un chapitre précédent, nous avons par trop simplifié les choses quand nous avons appelé "amis" et "ennemis", les éléments opposés qui s'affrontent aux élections du conseil de bande et à l'occasion des mesures prises par ce dernier. Nous dirons un mot ici de la polarisation des opinions, en ce qui a trait à la Direction des affaires indiennes en particulier et aux non-Indiens en général.
Amis et ennemis
Tels sont les termes utilisés, dans nos rapports sur trois bandes de notre échantillon, pour décrire les caractéristiques des groupements ayant des opinions divergentes au sujet des affaires de la bande qui relèvent des conseils. Certains ont été tentés par les mots "progressistes" et "conservateurs", mais ils ont pensé qu'ils prêteraient plus à confusion que les mots "amis "et "ennemis", étant donné que des gens peuvent être conservateurs sur certaines questions d'ordre administratif et juridique, tout en étant progressistes et bien disposés à l'égard des changements technologiques et économiques. Nos notes de travail se rapportant à une bande de la côte nord de la Colombie-Britannique, résument assez bien les caractéristiques des "amis" et celles des "ennemis". l'observateur prend soin de prévenir le lecteur de ne pas considérer les attitudes et le comportement qu'il décrit à propos de ce qu'il appelle les "amis", comme étant l'apanage de groupes nettement définis, mais plutôt comme des constellations d'attitudes et de comportements, communs à la majorité de conseillers qui ont une même tournure d'esprit, par opposition aux "ennemis", qui sont en minorité.
Les amis - 1) Peu d'importance accordée aux anciens liens de parenté dans certains groupes considérables, comme les clans et les anciennes subdivisions tribales. . .2) Aucun sentiment particulier pour le Blanc comme tel . . . possibilité de collaboration avec les Blancs (plus que dans le cas des "ennemis"). . . 3) Les hommes sont sympathiques et travaillent lorsqu'ils peuvent obtenir un emploi.. . plusieurs sont entrepreneurs, à temps complet ou à temps partiel (individualistes et versatiles). . - 4) Ils comprennent et appuient la solution apportée par le nouveau surintendant. . . Les conseillers que nous désignons ainsi comme des "amis", ne sont pas un groupe social distinct...
Pour ce qui est des "ennemis", ils ont certaines attitudes en commun et, de plus, constituent un groupement social à l'intérieur de la bande .. . Ils sont les descendants (de trois hommes) qui, autrefois, détenaient des postes éminents dans l'administration locale et qui s'étaient intéressés. . . à la formation de la Native Brotherhood . . . (Mais) il ne s'agit pas d'un groupe d'ascendance commune. . . l'un des plus importants facteurs de l'existence de ce groupe "d'ennemis", c'est le fort sentiment qu'ils ont d'être persécutés par les Blancs. . . (Un autre facteur) qui distingue les ennemis des amis, c'est que les premiers sont moins individualistes, plus disposés à travailler ensemble, à prendre part aux cérémonies et aux événements sociaux faisant appel à un grand concours de personnes qui leur ressemblent et avec lesquelles ils ont des rapports. .. Ils continuent d'observer certaines formalités, à respecter certaines relations (comme les préférences et les interdictions concernant le mariage) . . . Le dernier facteur est l'attitude qu'ils adoptent envers les différents aspects de l'administration actuelle (par exemple, ils blâment le conseil de se conformer à la ligue de conduite de la Direction des affaires indiennes, qui consiste à tenir moins d'assemblées de bandes et plus d'assemblées du conseil, assemblées auxquelles le surintendant assiste).
Les données sur les autres bandes nous fournissent, au sujet des positions des amis et des ennemis, plus d'éléments que les extraits cités plus haut. Cependant, les principaux facteurs qui semblent influer sur les bandes, là où cette divergence est notée, résident dans une étroite identification au groupe indien et à sa culture traditionnelle, dans une nette distinction par rapport aux non-indiens, dans le degré d'intérêt à maintenir les frontières sociales du groupe, dans l'importance attachée à une conception purement "économico-rationnelle" des terres et des richesses de la bande, y compris les ressources humaines. A cet égard, il semble y avoir moins d'acculturation chez les amis que chez les ennemis; néanmoins, on ne saurait y voir l'indice d'un désir ultime de s'assimiler à la société environnante. Au contraire, nos comptes rendus des travaux effectués sur place ne donnent que peu d'indices d'un désir d'affranchissement ou d'assimilation.
Nous le répétons, la distinction que nous faisons entre amis et ennemis est une simplification faite à dessein, en vue de concilier les données précieuses et complexes que nous avons réunies au sujet des différences d'attitudes, de comportements, de démarches, et le reste. Plus la bande est considérable, plus nombreuses et variées sont les orientations. Une bande nombreuse peut se permettre de telles différences d'orientation, sans risque sérieux de désunion; toutefois, chez les bandes plus petites, une opposition continue entre groupes irréductibles, notamment en ce qui a trait aux objectifs fondamentaux, risque d'être plus néfaste. Peut-être est-ce en partie pour cette raison que les petits groupes sont partagés en amis et ennemis, surtout dans les attitudes généralement provisoires des candidats. il faut dire que, dans toutes les bandes, il est courant, pour les amis comme pour les ennemis, d'exprimer certains sentiments hostiles à l'endroit de la Direction des affaires indiennes. Mis à part le bien- fondé des objections formulées à l'endroit de la DAI ou de ses représentants, il ressort nettement des données de nos travaux de recherche que la Direction est une cible de choix pour les Indiens qui se portent candidats. A certains moments, les critiques visent le niveau local ou régional; à d'autres moments, et le plus souvent, elles sont dirigées vers le bureau principal d'Ottawa. Nos notes rapportent deux cas où les candidats ont loué les représentants locaux de la Direction des affaires indiennes, tout en exprimant du ressentiment à l'endroit d'Ottawa. Il est possible que les candidats se soient alors faits l'écho des sentiments des fonctionnaires locaux eux-mêmes! Même s'il faut prévoir une certaine hostilité à l'endroit de la Direction des affaires indiennes, il est encore manifeste que ceux qui expriment une hostilité violente et extrême, n'ont pas autant de chances d'être élus que les candidats dont les critiques sont plus modérées. Il est important de noter que, dans la plupart des groupements indiens, ceux qui font preuve d'outrance et d'extrémisme en toutes choses, ne sont habituellement pas écoutés. Pour revenir à notre échantillon, nous avons remarqué une tendance à l'hostilité chez les candidats aspirant à divers postes, mais une tendance au rapprochement chez les gens en poste. En d'autres mots, et pour reprendre une remarque déjà faite à propos des petites bandes, la position hostile n'est souvent que provisoire: on se fait amical dès qu'on est élu à un poste. Nous ne disons pas qu'il s'agit là d'une attitude consciente ou particulière aux Indiens, mais plutôt d'une constante qu'on retrouve chez tous les individus et les groupes, aussi longtemps qu'ils ne sont pas en autorité, sauf chez les groupes révolutionnaires. Dans le cas des Indiens, la Direction des affaires indiennes constitue une cible de choix, car elle symbolise la société environnante et c'est par elle que sont canalisées la plupart des affaires qui touchent à la vie des Indiens. Manifester une très grande hostilité à son endroit pendant l'exécution d'un mandat, ce serait empêcher, à toutes fins pratiques, l'exécution des affaires courantes.
Pour résumer, cette division entre amis et ennemis peut être une caractéristique relativement permanente de différents segments de la collectivité; l'élément hostile est vraisemblablement le propre d'un groupe limité, cette situation se rencontrant surtout dans les bandes plus nombreuses. Au cours des dernières élections, ce dernier élément a perdu du terrain. d'autre part, la division entre amis et ennemis peut représenter les attitudes changeantes adoptées par certaines personnes, selon qu'elles sont ou non en autorité. Les témoignages indiquent, en effet, qu'on s'attend à trouver, chez ceux qui aspirent à représenter les Indiens, une certaine méfiance à l'égard de la Direction des affaires indiennes et un certain esprit de critique à son endroit.
Aisance économique et niveau d'instruction
Comme nous l'avons souligné précédemment, l'échantillon statistique ne nous fournit pas suffisamment de données sûres et valables pour tirer une conclusion générale sur l'importance que peuvent avoir l'aisance économique et le niveau d'instruction en ce qui concerne la réussite ou l'échec des candidats. Nos notes de travail ne renferment pas, non plus, de détails intéressants en ce qui a trait, en particulier, à l'aspect économique. Malheureusement, nous ne disposons pas de renseignements détaillés sur le niveau relatif des occupations et des revenus, dans le cas de toutes les bandes de notre échantillon; néanmoins, nos renseignements nous permettent de confirmer un état de choses auquel on pourrait s'attendre: plus quelqu'un est respecté par les membres de sa bande, plus il a des chances d'être désigné, de devenir candidat et d'être élu au conseil de bande. De même, ceux qui travaillent régulièrement à salaire ou qui exploitent des entreprises, ont plus de chances que d'autres de devenir conseillers. Nous reprenons ici les remarques faites précédemment à propos des amis et des ennemis, savoir: les amis (même s'ils formulent des critiques modérées à l'endroit de la DAI) ont plus de chances d'être élus que les ennemis irréductibles, s'ils se portent candidats; les gens sympathiques ont plus de chances d'obtenir un emploi régulier ou de devenir exploitants que les gens hostiles. Malgré certaines exceptions notoires parmi notre échantillon, il en ressort néanmoins que la plupart des extrémistes ne travaillent pas régulièrement à salaire et n'ont pas de revenus élevés, même s'ils exercent une certaine influence sur l'opinion publique de la bande par leurs appels à la solidarité traditionnelle et à l'identité indienne.
Cette correspondance étant établie entre la situation économique d'un candidat et la probabilité de son élection à un poste, on ne peut vraiment parier d'un système établi de classes économico-sociales que dans le cas de deux bandes de notre échantillon. Comme nous l'avons déjà souligné, les rapports font état de l'éthique égalitaire puissante parmi les Indiens. Ils mentionnent aussi le fait que celui qui amasse une fortune bien supérieure à celle des autres est considéré comme n'étant pas "véritablement un Indien". Il faut au moins une génération à un groupe d'Indiens aisés pour consolider ses avantages par des alliances matrimoniales et des actions réciproques. Mors seulement apparaît une espèce de stratification économico-sociale. Dans les deux bandes de notre échantillon où cette situation existe, ce sont les personnes les plus à l'aise qui dominent le conseil, mais à titre de conseillers, et non comme chefs.
Le fait saillant, ici, c'est que les personnes qui travaillent régulièrement à salaire ou qui exploitent des entreprises, sont plus susceptibles que d'autres d'avoir la motivation et les aptitudes qui semblent convenir aux fonctions de conseillers de bande, surtout si la bande reconnaît à son conseil un rôle de direction et d'adaptation. Dans presque tous les cas, il s'agit de personnes qui parlent anglais ou français et qui possèdent une grande expérience de la vie hors des réserves.
Parmi les bandes les plus éloignées, on ne trouve pas de différences économiques très prononcées, sauf s'il y a des emplois réguliers et bien rémunérés (phénomène rare), ou si l'on touche des droits par suite de la location et la vente de biens et d'objets de valeur. Nous avons observé que, dans la plupart de ces bandes, le conseil ne joue pas vraiment un rôle de direction et d'adaptation. Quant aux aptitudes requises des candidats, on semble attacher moins d'importance à la situation économique et à l'occupation qu'à certains liens de famille et à certains attributs de la personnalité. Nous traiterons cette question dans la prochaine section.
En ce qui concerne le niveau d'instruction des candidats élus ou défaits, on trouvera une distinction semblable entre, d'une part, les bandes qui reconnaissent à leur conseil un rôle de direction et d'adaptation, et, d'autre part, celles qui n'y attachent pas d'importance. Chez les premières, il est peu probable que les candidats sans instruction ou n'ayant que deux ou trois années d'études soient élus, ou même qu'ils se présentent. Dans les bandes au sujet desquelles nous avons de telles données, la scolarisation des conseillers est, de façon générale, de cinq à huit années. Il est possible que l'Indien moyen doive faire un certain nombre d'années d'études avant de maîtriser convenablement le français ou l'anglais et avant de savoir lire et écrire couramment. Dans les cas où le conseil ne joue qu'un rôle d'intermédiaire et d'extérieur, on rencontre encore des chefs et des conseillers sans instruction aucune ou qui n'ont que quelques années d'études. Le plus souvent, la fonction d'intermédiaire est remplie avec le concours d'interprètes, les travaux de bureau étant confiés à des commis. Nos travaux de recherche sur place nous portent à croire que les groupes où le conseil joue un rôle important de direction et d'adaptation, ont des lignes de conduite et des objectifs assez précis, même s'il y a contestation au sein de la bande, et qu'ils ont des critères assez nets d'après lesquels les conseillers sont choisis. Rédigée en ces termes, notre suggestion laisse l'impression d'un choix délibéré, conscient et rationnel; toutefois, il faut donner ici au mot choix un sens sociologique. On y retrouve les besoins du groupe, les motivations des individus, les obstacles et l'aide venant du milieu, combinaison dont la résultante est une probabilité de succès ou d'échec pour certaines catégories de gens dont nous avons étudié plus haut les attributs.
Si la bande n'a pas de ligne de conduite et d'objectifs précis, on ne peut s'attendre d'y trouver de critères explicites régissant le choix des chefs et des conseillers, si ce n'est les critères ayant trait aux liens de parenté, dont il a été question plus haut, et certaines qualités personnelles que nous allons maintenant étudier.
Attributs de la personnalité
Nous avons peu de données se rapportant directement à la personnalité des membres des conseils, mais nous avons certaines informations qui s'y rapportent indirectement. Nous dégageons de nos notes de travail que, dans le cas des chefs, le style le plus répandu et dénotant une forte personnalité, consiste à aborder les affaires de la bande calmement et sans hâte, à ne pas se laisser engager dans des débats véhéments, à savoir écouter pour arriver à un équilibre entre opinions opposées. Telle peut être, chez plusieurs bandes, la définition du rôle ou de la fonction de chef, et les personnes ayant certains attributs de personnalité peuvent, plus que d'autres, être attirées par ce rôle ou cette fonction. A l'occasion, il est fait mention d'un chef agressif ayant son franc-parler, mais habituellement le chef s'adresse alors au monde extérieur comme à un auditoire, et non à ses amis de la bande. Dans les quelques bandes de notre échantillon où il y avait agitation, les candidats au poste de chef nous ont semblé plus fougueux et entreprenants que le chef type de notre échantillon ou des livres. Dans les documents à notre disposition, le comportement et les attitudes des conseillers sont rarement décrits distinctement de ceux des chefs. Cependant, l'impression générale qui se dégage, c'est que le chef ou le conseiller ne doivent pas se comporter comme s'ils recherchaient le pouvoir et l'autorité, comme s'ils voulaient mener la bande à la façon, mettons, d'un candidat à la mairie, lors d'une élection municipale. Il y a des exceptions, mais il semble qu'en règle générale le chef, tout au moins, soit plutôt un catalyseur qu'un directeur.
Certaines bandes des territoires nordiques nous fournissent un exemple exceptionnel de cette règle générale, selon laquelle les Indiens ne manifestent aucune ambition de pouvoir ou d'autorité. Dans son étude sur le leadership parmi les Indiens du nord-est (Ontario et Québec), RogersNote de bas de page 169 Il ne faudrait pas confondre ce chef avec le chef du type "catalyseur" dont nous trouverons un exemple chez les Thlingchadinnes, dans le prochain chapitre. Mais les deux types ont un caractère commun, en ceci que le chef idéal ne devrait pas rechercher le pouvoir, mais plutôt se faire prier de l'accepter, soit parce qu'il est exactement l'homme qu'il faut, ou parce qu'il a l'ascendance voulue ou l'aptitude à jouer le rôle de catalyseur, ou enfin parce qu'il attend son tour.
En un mot, le chef de file à poigne, à la Winston Churchill, à fortes mâchoires et à l'allure belliqueuse, n'a pas beaucoup de chances, chez les Indiens, de se faire élire à un conseil de bande local. Peut-être les candidats de ce genre attireraient-ils des partisans dans un mouvement politique de plus grande envergure, comme aux conseils régionaux ou nationaux, mais non pas à l'échelon des conseils de bande locaux.
Résumé
Dans le présent chapitre, nous avons évalué certaines tendances générales des conseils de bande en ce qui a trait à la participation des Indiens à titre d'électeurs ou de candidats. Nous avons essayé d'apprécier les attributs qui semblent augmenter les chances d'un candidat d'être élu au conseil, ainsi que les situations où cette combinaison d'attributs semble la plus favorable. Nous fondant sur nos conclusions, nous avons présenté plus haut des recommandations précises. Nous résumerons ici nos conclusions en termes très généraux. Au cours, de la dernière décennie, la participation des électeurs et des candidats aux affaires des conseils de bande a augmenté graduellement. Un plus grand nombre de personnes différentes s'intéressent aux activités du conseil, apportant un démenti à l'opinion courante, d'après laquelle les Indiens sont apathiques et ne s'intéressent pas à leurs propres affaires. Cette participation accrue se retrouve surtout chez les bandes disposant de fonds importants et exerçant sur eux un certain contrôle. Les jeunes adultes et les femmes ont maintenant de meilleures chances de participer directement aux affaires du conseil. Là où le conseil est considéré comme un organisme jouissant d'une certaine autorité, et non pas comme un simple extérieur de projets et de programmes conçus à l'extérieur de la bande, ou simplement comme un intermédiaire entre les membres de la bande et ceux de l'administration, il semble que les attributs ci-après énumérés soient ceux qui favorisent le plus les candidats:
- Etre d'ascendance appropriée ou avoir des liens de parenté approuvés.
- Etre assuré de l'appui de tous ses parents et de leurs alliés.
- Avoir entre 36 et 45 ans.
- Avoir au moins une 6e année d'études.
- Parler couramment l'anglais ou le français.
- Posséder une certaine expérience, acquise à l'extérieur de la réserve, dans l'armée, au travail ou à l'école.
- Avoir une occupation et un revenu au-dessus de la moyenne (par rapport à la bande).
- Formuler des opinions modérées, au lieu de prendre ouvertement position pour l'un ou l'autre des clans ou des partis adverses (ennemis-amis, conservateurs-progressistes, traditionalistes-modernistes, et le reste).
- Pouvoir donner l'impression de ne pas rechercher délibérément l'autorité, mais plutôt de l'accepter comme une tâche imposée.
Chapitre IX - Le processus d'autodétermination
Il n'est pas nécessaire d'appuyer par des documents le désir fréquemment exprimé, selon lequel les Indiens prendraient eux-mêmes leurs décisions. Les éditoriaux des journaux, les énoncés des principes directeurs de la Direction des affaires indiennes, les déclarations faites par les porte-parole des groupes indiens et par les membres des comités gouvemementaux sur les affaires indiennes mentionnent tous ce besoin et condamnent le paternalisme des non- Indiens. Et pourtant, dans tous ces documents, il est difficile de discerner les sujets sur lesquels doivent porter les décisions des Indiens et comment ce processus d'autodétermination doit se dérouler.
Il y a toujours des décisions à prendre. Chaque individu doit chaque jour, à toute heure, choisir entre plusieurs solutions. Tantôt le choix est varié, tantôt il est restreint. Cependant, il y a toujours une possibilité: celle de remettre la décision. Les décisions qui touchent des groupes, c'est-à-dire les décisions qui lient et engagent d'autres individus que ceux qui ont pris la décision, sont moins fréquentes que les décisions individuelles. Evidemment ceux qui déplorent le manque d'esprit de décision chez les Indiens, s'en rapportent à cette deuxième catégorie. Souvent on attribue cette faute à un trait de la personnalité indienne ou à quelque caractéristique collective qui empêche d'en arriver à des décisions. La question de l'esprit de décision est généralement centrée sur les chefs ou dirigeants censés posséder certaines qualités. La documentation ne définit pas souvent le processus de l'autodétermination. On nous dit, par exemple, que, chez les Esquimaux et chez certaines bandes du Nord, il existe un arrangement primus inter pares, en vertu duquel le meilleur chasseur possédant des pouvoirs surnaturels deviendra probablement le meneur traditionnel, qu'on le désigne sous le nom de chef ou autrement.
Plusieurs de ces exposés indiquent, mais rarement d'une manière explicite, que la personne la plus écoutée est celle qui détient l'information critique, qui connaît la nature du pays, les habitudes des animaux et les prévisions du temps. Ces qualités sont évidemment indispensables au chasseur, au piégeur et à celui qui interprète le milieu environnant pour en signaler les dangers et les bonnes occasions. Ces attributs, la connaissance et l'habileté, sont amplifiés et même quelquefois expliqués par la possession de ce qu'on pourrait appeler des pouvoirs surnaturels, qui pourraient eux-mêmes être décrits comme une communication privilégiée avec le monde surnaturel. c'est ainsi que dans la plupart des récits sur le chef traditionnel et sur le pouvoir, on souligne la connaissance de questions qui sont d'une l'importance primordiale pour le groupe. Les observateurs de l'extérieur peuvent considérer cette connaissance comme naturelle, en ce sens qu'elle peut être vérifiée empiriquement, ou comme surnaturelle, en ce sens que l'individu qui la possède prétend communiquer avec les esprits et entretenir des rapports plus ou moins exclusifs avec eux. il nous semble que la plupart des récits ayant trait aux chefs traditionnels peuvent être considérés dans la perspective d'une connaissance supérieure des mesures à prendre, que les observateurs extérieurs perçoivent cette connaissance comme étant empiriquement contrôlable ou non contrôlable, - i.e. une connaissance surnaturelle ou magique. Nous insistons ici sur la connaissance que possède celui qui décide, au nom du groupe, lorsqu'il s'agit de régler efficacement les problèmes les plus graves auxquels il doit faire face. Que la connaissance s'applique à la guerre, à la chasse, à la maladie, ou à quoi que ce soit, le principe reste le même: l'individu qui possède l'accès le plus direct aux sources d'information permettant de résoudre les problèmes, prendra probablement le pouvoir. Cependant, nous invitons le lecteur à centrer son attention sur l'information, plutôt que sur la personne qui a le privilège de la recevoir.
c'est dans cet esprit que nous formulons les remarques suivantes au sujet de l'autodétermination. Aux fins de notre analyse, nous ne pouvons nous satisfaire des récits que donne la littérature sur les organismes et les individus chargés d'exercer l'autorité chez les Indiens, car ces récits sont axés sur la stratigraphie historique des divers types de meneurs au cours des différentes périodes. Ce sont des exposés utiles qui permettent de situer le sujet dans une perspective historique; néanmoins, ce genre de formulation ne suscite pas, à notre avis, d'hypothèses profitables en ce qui concerne l'autodétermination des groupes indiens dans la conjoncture contemporaine.
Il n'y a pas beaucoup à ajouter à ce que nous avons déjà dit sur les genres de direction et sur leurs qualités. A certaines fins, il peut être important de concentrer l'attention sur les qualités et les genres de direction; toutefois, il nous semble préférable de faire ressortir ici le processus de l'autodétermination, plutôt que les qualités des meneurs, et de souligner ce qui donne à l'autodétermination un cachet différent dans le cas des Indiens. Ce faisant, nous devons simplifier à l'excès et tendre vers la synthèse, en négligeant un peu les facteurs culturels qui différencient les Indiens. c'est à dessein que nous adoptons cette tangente, pour démontrer que les Indiens sont comme les autres en ce qui concerne l'autodétermination, et pour encourager la population à élaborer des hypothèses vérifiables, qui s'appliquent aux groupes indiens par comparaison avec les groupes non-indiens.
Dans ce chapitre, nous traiterons surtout du processus d'autodétermination au sein des conseils de bande, étant donné que nous manquons de renseignements sur ce processus dans les groupes hors de la famille, comme les organisations volontaires, les conseils consultatifs, les conseils d'administration des groupes religieux locaux, et le reste.
Les conseils de bande comme organismes d'auto-détermination:
Dans cette section, nous étudions les fonctions administratives des conseils de bande. Il est d'usage d'étudier les groupes directeurs, au sein de l'administration politique, en fonction des types de responsabilités analytiquement distincts, comme la responsabilité législative, exécutive, administrative, et le reste. Dans une autre partie de ce rapport, nous abordons les conseils de bande en fonction de ce modèle conventionnel. Quand on étudie les fonctions administratives des conseils de bande, il est bon de se rappeler une distinction plus simple, soit celle qui existe entre les décisions soumises à un programme et celles qui ne le sont pas. Selon la définition de Simon Note de bas de page 171 , nous considérons que les décisions sont soumises à un programme
. . . dans la mesure où elles sont répétitives et routinières, dans la mesure où on a élaboré une méthode précise pour les mettre en oeuvre, de sorte qu'il n'est pas nécessaire de les traiter chaque fois comme des décisions nouvelles.. . Les décisions ne sont pas soumises à un programme dans la mesure où elles sont nouvelles, n'ont pas été structurées et entraînent des conséquences. Il n'y a pas de méthode fixe pour régler un problème, parce qu'il apparaît pour la première fois, que sa nature précise et sa structure sont insaisissables ou complexes, ou parce qu'il est si important qu'il exige un traitement particulier.
Les sources secondaires dont on a déjà parlé dans ce rapport, nous portent à croire que le conseil de bande typique est strictement soumis à un programme. c'est ce qu'impliquent les nombreuses références où sont répétés les termes "approbation aveugle" ou "approbation selon la coutume". Cependant, d'après les renseignements recueillis au cours de notre enquête, il semble que plusieurs conseils ne se prêtent pas à cette description, surtout ceux qui ont assumé un rôle directeur et coordonnateur du développement économique de la bande et se sont avancés dans des domaines de décisions non soumis à un programme.
Avant d'étudier ces bandes et certaines autres bandes comprises dans notre enquête, nous soulignerons certains points relatifs à l'autodétermination. Celle-ci est traitée ici comme un processus, et non comme un simple résultat. Les études sur le leadership portent surtout sur la dernière phase de ce processus: l'émission d'un commandement, la tenue d'un scrutin, la signature d'un pacte, le peu d'attention qu'on porte aux autres phases du processus. À cet égard, Simon distingue trois phases.Note de bas de page 172 La première phase comprend l'étude du milieu par l'individu ou par le groupe, afin de déceler les conditions qui constituent des problèmes demandant une solution. La deuxième phase comprend l'étude des lignes de conduite possibles, afin d'arriver à diverses solutions. La dernière phase, comme nous l'avons mentionné, occupe une place de choix dans les études sur le processus d'autodétermination: elle a trait au choix qu'on fait entre plusieurs solutions. Nous examinerons maintenant nos enquêtes sur les conseils de bande en fonction de ce paradigme à trois étapes.
Les deux premières étapes, auxquelles les organismes directeurs consacrent le plus de temps et d'énergie, comportent beaucoup de travail de cueillette, d'échange et d'interprétation des renseignements. Le sujet des données recueillies, échangées et interprétées n'est pas évident en soi; la sélectivité joue un rôle très important dans ce processus. d'abord, et de toute évidence, les attributions des conseils de bande restreignent le nombre de questions pertinentes, dans le sens technique, officiel. Certains conseils de bande, par exemple ceux qui sont soumis à l'article 68 de la Loi sur les Indiens, possèdent plus de pouvoirs que les autres. Cependant, en plus de cette question de compétence juridique et de limitation officielle imposée quant au pouvoir de décision des conseils de bande, le choix des questions soumises à l'approbation du conseil est subordonné à l'idée que la bande se fait du rôle des conseillers, c'est-à-dire à la définition du rôle du conseil par les membres de la bande au contrôle exercé par le conseil sur les moyens de communication, les sources de renseignements et leur accessibilité; ainsi qu'à une vue réaliste des diverses solutions que le conseil peut apporter à certains problèmes, et ainsi de suite.
Dans notre enquête, nous avons trouvé plusieurs bandes qui croient qu'un très grand nombre de questions sont du ressort du conseil de bande; ce dernier, le plus souvent par le truchement d'un système de comités multiples, reçoit des renseignements sur des questions dignes de l'attention du conseil. Ainsi, un de nos enquêteurs rapporte que, lors d'une réunion typique, le conseil de bande de Le-Pas a reçu des renseignements sur les questions suivantes et a pris des mesures pour les régler:
un hangar a été loué à un fermier blanc pour l'entreposage des pommes de terre; ici, on a accepté l'offre du fermier, évidemment faite par l'entremise de l'agence. . . Une lettre du ministre des Pêcheries a été déposée, offrant à la bande un permis pour la pêche de 5,000 à 10,000 livres de poisson dans les eaux des lacs Clearwater ou Rocky, au cours de l'automne; ce poisson ne doit pas être mis en vente. Le conseil a décidé de payer les frais de la pêche et d'en distribuer le produit gratuitement aux membres de la bande... On présenta une lettre du ministère de la Santé reçue en réponse à une plainte au sujet des puits: "Le gouvernement a assumé les frais de préparation des puits pour la dernière fois." Au cours de la discussion, il devint évident que, même s'il y avait eu de la négligence, les puits, de l'avis des gens, n'étaient pas satisfaisants. Ils voulaient un système de distribution d'eau. Ils pensaient pouvoir s'entendre avec le conseil municipal (Le-Pas), mais la chose n'avait pas été facile. La discussion passa de la distribution de l'eau aux réseaux d'égout. Le conseil avait déjà reçu un rapport technique sur cette dernière question. . . (Parmi d autres questions) on souleva celle du salaire trop faible payé par l'amicale au directeur sportif, et l'on proposa que cette personne soit désormais embauchée par le conseil, vu que toute façon, le conseil payait un supplément. Le ministre anglican de la localité, qui assistait à la réunion, soumit aussi une proposition. II voulait qu'on chasse les Témoins de Jehovah de la réserve et défendit son point de vue pendant un bon moment; mais le conseil, bien qu'appartenant à l'Église anglicane, s'y opposa. "Certains membres aiment entendre Awake", dirent-ils, "mais ils n'en demeurent pas moins fidèles à leur religion. Au Canada, la liberté implique que les Témoins ont le droit d'entrer dans la réserve". Le surintendant adjoint soumit une proposition relative aux prêts personnels accordés à l'occasion de mariages ou pour meubler les habitations nouvelles. .. Le conseil accepta cette proposition, mais s'opposa à l'établissement d'une caisse de prêts; les conseillers ne voulaient pas se voir obligés de rejeter les demandes d'emprunt faites par des personnes jugées non solvables...
Ce rapport d'enquête révèle un conseil de bande prêt à écouter les messages venant de plusieurs partis et chez qui le règlement des problèmes n'est pas soumis à un programme trop déterminé. Certains conseils de bande compris dans notre enquête avaient beaucoup moins de liberté quant à la variété des problèmes soumis à leur compétence ou quant au nombre de questions qu'ils acceptaient de porter à l'ordre du jour. Les bandes dont les installations et les fonds sont restreints ou qui n'exercent aucun contrôle direct sur leurs ressources, sont évidemment plus limitées pour ce qui est des questions soumises à leur examen. Dans ces localités, les informations reçues par le conseil sont généralement prévisibles et soumises à un programme sévère, quelques-unes étant soumises par les membres qui, aux réunions, se plaignent de la misère et de l'injustice qu'ils doivent subir, les autres provenant surtout d'un agent de la Direction des affaires indiennes ou d'un autre membre influent de la collectivité, d'un chef de bande ou d'un missionnaire respecté. Parmi les nombreux messages qui parviennent au conseil, plusieurs sont éliminés parce qu'on écarte certaines sources ou certains genres d'informations. Deux bandes visées par notre enquête ignorent plusieurs messages émanant de la Direction des affaires indiennes. Quatre autres ignorent systématiquement certaines classes ou catégories de membres de la bande, et s'efforcent d'empêcher ces personnes d'importuner les membres du conseil. Un de nos chercheurs a rapporté un bon exemple de ce genre d'élimination. Il décrit l'activité du conseil de bande dans une réserve dont la stratification interne est clairement déterminée selon la classe sociale et qui compte, à une extrémité de l'échelle du pouvoir, une élite de fermiers indiens relativement riches et, à l'autre extrémité, un prolétariat rural pauvre, manquant d'emploi. Dans une telle situation, il est difficile de s'entendre sur ce qui constitue les problèmes fondamentaux de la collectivité.
. . .Quand j'ai posé la question: "quel serait, selon vous, le problème le plus important dans la réserve? ", ceux que je désigne comme le groupe du pouvoir, les conseillers et les représentants des membres relativement prospères, ont répondu presque unanimement; "Le secours direct. Les gens ne veulent plus travailler. Ils veulent tous qu'on les fasse vivre." Par contre, à la même question, les représentants de la majorité pauvre ont répondu qu'il y a pénurie d'emplois rémunérés ou que le groupe du pouvoir contrôle les entreprises agricoles, ou les uns et les autres.
Ce conseil tient ses réunions assez loin de la réserve, dans une ville non-indienne où il existe un bureau de la Direction des affaires indiennes. Ceci est fait délibérément dans le but de protéger les membres du conseil contre les ennuis courants causés par les membres de la bande. Nous citons d'autres extraits de nos rapports d'enquête relatifs aux antécédents:
.. . .en 1958, un surintendant régional demanda s'il était sage de tenir les réunions dans un endroit aussi éloigné, mais le conseil défendit cette pratique, alléguant qu'il était préférable de ne pas traiter en public les affaires personnelles des individus qui demandent des secours et que l'interruption continue des réunions par des personnes qui soumettent au conseil leurs petits problèmes personnels, "gêne et retarde l'adoption de mesures concernant des questions plus urgentes".. . Le surintendant de l'agence appuya cette déclaration et ajouta. . . que le conseil pouvait "faire face aux groupes de pression", s'il n'était pas obligé "de leur répondre directement".
Ce conseil particulier a adopté une tactique quelque peu extrême pour traiter le volume de renseignements soumis par les membres de la bande; de plus, il a élaboré des mécanismes efficaces, de caractère non officiel, pour éliminer certains messages qui lui parviennent. Un extrait tiré du rapport d'une réunion de ce conseil illustre ces mécanismes en action:
. . . . dans la plupart des cas, il est facile de troubler un porte-parole de l'opposition et d'annuler l'effet de ses paroles. En écoutant un vieillard illettré qui, chapeau à la main, soumettait sa requête au conseil, j*ai pensé à la façon dont les travailleurs expérimentés traitent souvent un novice, utilisant leurs connaissances et un jargon technique qui excluent le novice, pendant qu'ils hochent la tête devant son ignorance. Le vieillard était debout directement derrière le surintendant adjoint. l'adjoint ne se retourna pas, mais, dans son jargon, expliqua au conseil qu'il n'y avait vraiment aucune raison pour justifier la présence du vieillard. Il était évident que l'homme ne comprenait rien et pourtant personne ne s'occupa de lui expliquer la situation. Les conseillers, les yeux au ciel, écoutèrent la requête et, de temps en temps, "soulignaient" entre eux les erreurs de son exposé. l'adjoint mit fin à l'incident en donnant au conseil l'assurance qu'il étudierait la question et souleva immédiatement un autre point. Le vieillard ne s'était même pas aperçu que son cas était réglé et resta là jusqu'à ce qu'il se rendît compte qu'on discutait autre chose, et il finit par se retirer.
Dans cet exemple, la question soulevée par le vieillard fut reçue et reconnue d'une façon bien spéciale, qui ne pouvait que décourager semblables interventions.
Plusieurs conseils de bande visés par notre enquête se disaient fatigués de recevoir les demandes, les plaintes, les suggestions, et le reste, de toute la population et demandaient une protection contre ces ennuis. l'étude faite en Colombie-Britannique, déjà mentionnée dans ce rapport, relève aussi cet état de choses et fait des recommandations précises à ce sujet. Nous avons tenu compte de ces recommandations dans notre analyse. Pour le moment, signalons une tendance qui apparaît dans nos rapports et qui porte les bandes plus nombreuses à accentuer la séparation entre le conseil et les membres de la bande, à acheminer les renseignements vers le conseil au moyen de rapports officiels soumis par des comités et d'autres associations, et à confier l'administration des secours, de l'embauchage et le reste à des employés rémunérés, qui font rapport au conseil de bande, directement ou par l'entremise du comité approprié.
Ceci ne diminue pas nécessairement le volume des renseignements soumis au conseil par les membres de la bande, non plus que la participation générale à l'activité du conseil, sauf quand les comités se chevauchent beaucoup. Quand la population est stratifiée en classes sociales, il se produit beaucoup de chevauchement dans la composition des comités, certains membres faisant partie de plusieurs comités. Cependant, au cours de notre enquête, nous avons trouvé certains réseaux où il y a peu de chevauchement. A Kamloops, par exemple, où l'importance et l'activité du conseil ont augmenté au cours des dernières années,
. . . .la Direction des affaires indiennes a recommandé que les postes au sein des nombreux comités rattachés au conseil de bande, soient accordés, autant que possible, à des personnes différentes, afin de "généraliser la participation aux affaires de la bande." c'est précisément ce qui s'est produit et personne n'est membre de plus d'un comité sur cinq; conséquemment, le conseil a établi des relations avec plusieurs factions différentes au sein de la bande, dont la plupart, pour diverses raisons, sont opposées à la Direction des affaires indiennes.
Dans ces localités, il y a de plus en plus de réunions du conseil, comparativement au nombre des assemblées générales des membres de la bande. Il faut se rappeler que, dans plusieurs bandes moins importantes et peut-être dans la plupart d'entre elles, les réunions du conseil sont pratiquement des réunions générales, qui autorisent la présence et la participation de membres qui ne font pas partie du conseil. Il faut aussi se rappeler que, même dans les bandes plus importantes, on doit convoquer des réunions générales lorsque l'ordre du jour comporte des questions qui ne peuvent se régler sans obtenir un vote majoritaire, par exemple, des questions relatives à la concession des terres ou à l'admission de nouveaux membres au sein de la bande.
Nos données indiquent que, plus une bande est importante et plus son champ d'action est étendu, plus il y a séparation entre les membres de la bande et les membres du conseil et moins il y a d'assemblées générales. Evidemment, dans certaines collectivités, l'activité de la bande qui, auparavant, n'était pas soumise à un programme mais était discutée ouvertement aux assemblées générales, est maintenant devenue sujet courant et doit suivre une filière; ces affaires sont administrées par des spécialistes qui sont, soit des employés civils payés par la bande ou des membres de comités spéciaux chargés de régler ce genre particulier de problèmes
Ainsi, les Squamishs de Vancouver-Nord ont un conseil qui, aux yeux d'au moins un de ses membres, équivaut à un cabinet, qui compte des ministres de la santé, du bien-être, des travaux publics, et le reste. En plus, ils engagent un gérant de bande au traitement annuel de $8,000 prélevé sur les fonds de la bande. Plusieurs des revendications, problèmes et besoins de la bande sont traités d'une façon plus ou moins régulière par les titulaires de ces postes. Dans les bandes où cette division des travailleurs et de l'autorité n'existe pas, les revendications, problèmes et besoins occupent probablement une bonne partie de l'attention du chef et des conseillers au cours de la session, ou sont soumis directement aux fonctionnaires de la Direction des affaires indiennes, sans passer par le conseil.
Dans trois bandes visées par notre enquête, les membres en général se plaignent de la tendance, signalée plus tôt, vers une réduction du nombre des assemblées générales des membres de la bande et une multiplication des réunions privées du conseil. l'extrait suivant, tiré du rapport de l'enquêteur sur Masset, est typique.
. . . .la critique, formulée par plusieurs membres du groupe d'opposition, s'attaque au fait que le conseil actuel ne tient pas assez d'assemblées générales. On se plaint aussi du fait que le surintendant assiste aux quelques réunions tenues. Apparemment, on accorde beaucoup d'importance à ces réunions en tant que mécanisme de contrôle social. On dit que, par le passé, les individus non satisfaits soumettaient leurs revendications à la discussion générale, et le différend, quel qu'il fût, était réglé par le vote unanime obtenu au cours de la discussion.
Il semble que, dans les collectivités où le conseil de bande était antérieurement une force d'intégration importante, qui s'occupait surtout d'exercer un contrôle social et de maintenir la solidarité de la bande, la transformation en organisme fort, chargé de traiter de questions d'adaptation économique exige de la part des fonctionnaires une attitude relativement impersonnelle, qui les amène à éliminer ou à négliger des questions socioémotionnelles ou "de relations humaines". Il faut distinguer entre l'insistance sur les problèmes du travail (gagner sa vie et améliorer son rendement) et l'attention accordée aux problèmes socioémotionnels (garder la paix au sein du groupe et maintenir les niveaux de motivation) et se rappeler que les groupes qui accordent beaucoup d'importance à une série de problèmes s'exposent à éprouver des difficultés dans une autre série.Note de bas de page 173 En fait, au sein de plusieurs bandes visées par notre enquête, le conseil de bande a assumé le premier rôle dans des fonctions ou des entreprises visant à l'adaptation économique, comme les transactions immobilières, la création d'emplois pour les membres de la bande, l'adoption de mesures pour pousser la production et la vente des produits et des services. Les bandes qui ont fait le plus d'efforts en ce sens, sont celles des Indiens du Sang, de Dokis, de Kamloops, de Le-Pas, de Nipissing et de Port Simpson. Nos enquêteurs rapportent qu'à Kamloops, Nipissing, Le-Pas et Port Simpson, les conseils de bande sont devenus plus efficaces dans le domaine de l'adaptation économique, mais qu'ils doivent faire face à des difficultés dans la sphère des relations humaines. Chez les Indiens du Sang, le conseil de bande n'était pas l'organisme central d'intégration, cette fonction ayant été remplie par diverses organisations, comme les groupes d'âge, la Société des femmes, et le reste. Là, le conseil de bande moderne n'est pas directement responsable des intérêts socioéconomiques du groupe, le genre d'intérêts visant à l'expression et au maintien de l'identité qui, dans une grande mesure, se règlent lors des cérémonies; les membres de la bande n'exercent pas non plus une forte pression sur le conseil à ce sujet. Dans l'exercice de leurs fonctions, les membres du conseil peuvent être plutôt impersonnels, agir comme s'ils faisaient partie d'un groupe administratif du monde des affaires ou de la Fonction publique, et ils peuvent justifier cette attitude en fonction de la manière dont la bande définit leur rôle. Comme le dit notre rapport d'enquête,
Les Indiens du Sang considèrent les membres du conseil comme les piliers des idées modernes. Par-dessus tout, ils favorisent l'expansion de l'activité économique et ils commencent à agir selon des critères universels.
Chez les Dokis, le conseil de bande, dirigé par un chef qui a toujours été réélu depuis 1953, a assumé le rôle du bureau d'administration d'une corporation, organisant des entreprises économiques comme la coupe et la vente du bois, l'embauchage des guides pour la chasse et la pêche, la construction de canalisations d'électricité dans la réserve, et le reste. En résumé, les membres du conseil se sont surtout intéressés à ce que nous appelons les problèmes d'adaptation. Cependant, on n'y rapporte pas beaucoup de problèmes socioémotionnels ou de relations humaines, peut-être parce que la collectivité ne compte qu'une centaine de membres; elle forme une entité homogène. d'autre part, Nipissing, bien que située seulement à quelque 30 milles des Dokis, a une population plus nombreuse dispersée dans plusieurs petites collectivités et n'a pas la cohésion des Dokis. Tandis que certains membres des clans qui ne sont pas au pouvoir admettent qu'on doit louer le conseil de bande des efforts qu'il déploie sur le plan économique, plusieurs lui reprochent de ne pas écouter leurs opinions et de ne pas s'occuper de leurs problèmes. En fonction de notre paradigme d'autodétermination, on refuse d'inscrire ces derniers à l'ordre du jour.
Dans notre rapport, nous trouvons quelques bandes où le conseil s'intéresse aux questions de l'adaptation et du développement économiques, sans être le principal organisme de la bande à cet égard. Par exemple, à Fort Alexander, où le mouvement coopératif a fait des progrès notables, le conseil de bande a accordé son approbation à ce mouvement - en fait, le chef et trois conseillers sont membres des comités exécutifs des trois coopératives - mais la coordination de l'activité économique de la bande est confiée aux coopératives, et non au conseil. Le fait qu'il n'a pas de ressources importantes à administrer restreint le rôle du conseil dans cette fonction d'adaptation. Dans le domaine socioémotionnel, on n'a apparemment jamais estimé que le conseil possède une compétence ou une responsabilité particulière et l'on ne s'attend pas qu'il agisse comme organisme d'intégration unissant les diverses factions religieuses et tribales dans cette réserve importante mais dont les membres sont dispersés. Même si, selon notre enquêteur, on a manifesté plus d'intérêt à l'activité du conseil de bande, ces dernières années, l'apathie et le manque d'intérêt dominent toujours. Comme il le fait remarquer:
. . . .l'apathie et le manque d'intérêt peuvent faciliter l'autodétermination chez le groupe dirigeant actuel. Il est généralement admis que, selon les principes démocratiques, on doit soumettre les questions et les propositions importantes à l'approbation des membres de la bande, et dans ces cas, on convoque des réunions générales. Seuls quelques membres assistent à ces réunions, et s'ils appuient les propositions du conseil, ce dernier est alors autorisé à mettre ses projets à exécution comme si toute la bande les avait appuyés. Comme l'expliquait un conseiller après une réunion convoquée dans le but d'approuver une proposition relative à l'établissement d'une usine de couture et à laquelle environ 35 membres assistaient: "Peu de membres sont présents, mais c'est une assemblée générale et les gens ont été convoqués. En ce qui nous concerne, la bande nous a donné l'autorisation de procéder".
Dans cette bande, le volume de renseignements provenant des particuliers n'est pas transmis au conseil par des voies claires et déterminées; même si beaucoup de renseignements sont donnés non officiellement au cours de la vie journalière, ils ne sont pas nécessairement inscrits à l'ordre du jour. Notre rapport d'enquête en ce qui a trait à cette bande et à d'autres démontre que les questions soumises au conseil non officiellement seront plus probablement considérées comme des données pouvant servir au processus de décision. Comme nous l'avons déjà signalé, dans presque tous les groupes étudiés au cours de notre enquête, on trouve des personnes influentes, qui ne sont ni conseillers ni chefs, mais dont les conseils et la direction sont recherchés par les conseillers et les chefs. Ces personnes tirent leur influence du fait qu'elles possèdent des talents ou des aptitudes estimables ou qu'elles peuvent obtenir le consentement de certaines parties de la collectivité au sujet des politiques et des programmes.
En étudiant la présentation des renseignements dont le conseil évalue l'admissibilité, nous nous sommes surtout occupés des renseignements qui proviennent des membres de la bande; ce n'est qu'occasionnellement que nous avons considéré les renseignements provenant d'autres sources. Nos rapports d'enquête démontrent clairement que les renseignements provenant de l'extérieur deviennent de plus en plus importants, particulièrement chez les bandes qui ont assumé plus de responsabilité sur les plans économique et administratif. La manière dont on traite ces renseignements pour les intégrer au processus d'auto-détermination, dépend de plusieurs facteurs, notamment de la nature du lien immédiat qui existe entre la Direction des affaires indiennes et la collectivité.
Lorsque les fonctionnaires de la Direction des affaires indiennes participent d'une manière directe et importune aux affaires de la bande, ils reçoivent une grande partie des renseignements de l'extérieur; à leur tour, ils transmettent ces renseignements d'une manière limitée ou générale, en y ajoutant, ou non, leurs vues complaisantes ou leurs interprétations. Notre rapport illustre comment un surintendant peut restreindre la communication des renseignements transmis au conseil, comment il les interprète et donne son opinion sur la façon de les traiter:
. . . .le surintendant a jugé nécessaire de restreindre de plus en plus les communications avec la bande, afin d'éviter les critiques violentes et diverses qui gênent son service. Cette limitation des canaux de communications entre la bande et la Direction des affaires indiennes a presque éliminé même les conseillers; elle a aussi imposé une lourde tâche au chef, qui visite le surintendant à peu près tous les jours et devient de plus en plus embarrasse par une paperasserie qui le confond et annule ses efforts. On a observé les effets de cette situation au cours des réunions du conseil, alors que le surintendant exposait une question en donnant sa façon de la résoudre, prétendant qu'il était arrivé à la solution avec la collaboration du chef. Presque toujours, les conseillers n'avaient jamais entendu parler de la "question", et bien qu'occasionnellement on obtînt un accord immédiat, au moins un ou deux conseillers s'opposaient à la résolution, demandant à étudier les divers documents pertinents et désirant une explication précise des termes de la résolution.
Cette canalisation restreinte des renseignements et l'imposition d'une manière de les traiter se rencontrent le plus souvent lorsque le surintendant habite la collectivité indienne, assiste à toutes ou à presque toutes les réunions et, en assumant le rôle de secrétaire et homme de ressources, devient une espèce de standard téléphonique humain dans le réseau des communications. Il justifie ce rôle en alléguant que les Indiens n'ont guère d'expérience des méthodes bureaucratiques et parlementaires, qu'ils ne connaissent ni ne comprennent le contenu des directives, rapports, contrats, et le reste, provenant de sources extérieures et qu'il importe d'assurer l'expédition des affaires de la bande. Une brève description d'une réunion du conseil de bande tirée de notre rapport d'enquête, donne une idée concrète de la présentation des communications par un agent:
. . . .Derrière le pupitre du président, il y avait deux sièges dont l'un était occupé par le surintendant. Le chef arriva plus tard et prit sa place. Les conseillers étaient assis en cercle autour de la table, mais le cercle était assez grand et il y avait un espace libre au centre. Le secrétaire du conseil avait un lutrin pour écrire, les autres n'avaient rien. . . Le surintendant étala ses nombreux papiers sur le pupitre. Le chef avait apporté deux petits cahiers d'exercices, mais comme il n'y avait pas de place sur la petite table, sauf dans un coin, il les conserva dans ses mains pendant toute la réunion. Puis, le surintendant commença à examiner ses papiers, les remuant de nouveau et faisant des bruits pour signifier qu'il voulait l'attention. Pendant ce temps, pour se venger, le groupe discuta en langue cris.. - Quand, enfin, la réunion commença, c'est le surintendant qui présenta toutes les questions à discuter. On ne fit pas circuler l'ordre du jour et le secrétaire n'avait pas en mains la correspondance qu'on discutait...
La situation est bien différente quand l'agent est rarement sur place ou n'assiste pas aux réunions et quand les communications provenant de l'extérieur de la bande sont transmises directement au conseil par la Direction des affaires indiennes et d'autres organismes du gouvernement fédéral, ou par d'autres services de l'administration locale, comme les municipalités, les associations coopératives, les groupes récréatifs, les touristes éventuels, les entreprises commerciales, les associations volontaires, et le reste. c'est alors que le conseil de bande ressemble le plus à un gouvernement municipal durable. Notre enquête démontre que les bandes qui se rapprochent le plus de ce modèle, sont les Indiens du Sang, les Dokis et les Squamishs. Dans ces endroits, le conseil est largement responsable de choisir, parmi les communications extérieures, celles qui peuvent être considérées comme des problèmes à résoudre, et il est libre de demander, ou non, des directives pour l'interprétation de ces messages.
Une autre question à considérer est la façon dont le conseil transmet les communications aux membres. d'après les données de notre enquête, les conseils qui tiennent beaucoup plus de réunions privées que d'assemblées générales de bande, gardent et publient rarement des procès-verbaux complets. Nos enquêteurs rapportent qu'ils ont recueilli des plaintes dans cinq endroits. En voici un exemple typique:
Le surintendant adjoint rédige un rapport sommaire des réunions du conseil et des copies dactylographiées sont affichées dans la réserve. Un homme résume ainsi ce qu'il pense de la situation: "Ces conseils .ils se réunissent. . .nous ne savons pas ce qui s'y passe. (Le surintendant adjoint) il affiche un papier, mais on ne peut pas le lire. Parfois, ma fille me le lit, mais je ne comprends pas. Tous ces grands mots. Us ne vous disent jamais rien. . .seulement faites ceci ou faites cela.. ." J*ai beaucoup d'exemples de ce manque de communication (entre le conseil et les membres de la bande) et de l'ignorance des Indiens au sujet de leurs propres affaires.
Évidemment, le problème des communications entre le conseil et les membres de la collectivité est plus aigu lorsque le nombre d'illettrés est plus élevé et que les assemblées générales de bande sont peu fréquentes. Dans ces localités, les questions formulées en termes techniques et juridiques, par exemple, les questions ayant trait aux traités ou aux modifications de la Loi, sont souvent considérées par le conseil comme des problèmes à venir; si elles sont portées à l'ordre du jour, les résultats des délibérations ne seront probablement pas présentés de façon compréhensible. Les renseignements recueillis chez les bandes des Territoires du Nord-Ouest illustrent bien ce point en ce qui concerne les dispositions non remplies des traités 8 et 11; ces rapports démontrent clairement que la population indienne et, en fait, plusieurs chefs et conseillers, ont une connaissance très sommaire de ces traités et de leurs conséquences.
Avant d'aborder la seconde phase du paradigme de l'autodétermination, celle qui traite de la recherche d'autres solutions, nous voulons insérer ici quelques remarques générales sur les communications, remarques qui vont définitivement au-delà des discussions des conseils de bande. Dans la partie de ce rapport qui traite de l'éducation et dans nos rapports d'enquête nous avons répété plusieurs fois que les documents, lettres circulaires, directives, rapports, et le reste, provenant de la Direction des affaires indiennes et d'autres organismes, sont inintelligibles pour beaucoup d'Indiens, en raison du faible niveau d'instruction de ces derniers et de la difficulté qu'ils ont à comprendre l'anglais ou le français, ainsi qu'en raison de la formulation et de la complexité des matières contenues dans ces documents. Lorsque ces difficultés s'ajoutent à l'ignorance des formalités bureaucratiques externes et de la structure des canaux de communications, il ne faut pas s'étonner que, comme le dit un de nos enquêteurs:
. . . .ils n'ont qu'une idée vague et souvent inexacte des lois et des règlements qui régissent leur vie. Comme en témoignent les dossiers de la Direction des affaires indiennes et d'autres sources, les Indiens ont tenté de stimuler l'activité officielle ou simplement cherché à obtenir des renseignements, mais leurs efforts ont été étouffés dans un fouillis de jargon et de paperasserie.
Cette ignorance du système découle en partie des moyens employés et des bureaux qui transmettent les renseignements. l'information touchant les formes de gouvernement propres aux bandes indiennes et leur position par rapport à d'autres éléments du système, est conservée dans des documents ou des manuels officiels, et il est rare qu'on la présente aux Indiens autrement que sous les formes officielles. Notre rapport d'enquête signale que, dans les Territoires du Nord-Ouest, on va tenter d'utiliser la radio pour communiquer des renseignements et des opinions sur ces questions; néanmoins, à notre connaissance, aucun projet de ce genre n'est prévu pour d'autres régions du pays. Évidemment, ces renseignements sont aussi transmis oralement, en cours de service, par le personnel de la Direction des affaires indiennes et par d'autres personnes qui s'occupent des cours sur le leadership; toutefois, le lien de communication est, en l'occurrence, assez sélectif, apparaissant entre les représentants de la société extérieure et les conseillers, les personnes influentes, les individus choisis pour suivre les cours sur le leadership et d'autres personnes du même calibre. il n'y a pas, en général, de transmission des renseignements présentés en termes facilement compréhensibles, comme on en trouverait dans les programmes communautaires d'éducation des adultes, sauf dans les cas où l'on a institué des programmes de développement communautaire et d'ateliers. d'après un de nos enquêteurs,
. . . .même la multiplication des ateliers et des cours sur le leadership semblent surtout avoir pour but d'amener en même temps les membres à exposer leurs problèmes et à suggérer des solutions - tâche à peu près impossible, puisque les individus n'ont pas les renseignements qui leur permettraient de déterminer les difficultés et de proposer des solutions.
Les demandes particulières de renseignements sont généralement transmises directement à la Direction des affaires indiennes, aux ministres et même au premier ministre. De plus en plus, on demande aux députés de s'occuper de ces questions. Cependant, ces demandes sont généralement soumises aux canaux de communication de la Direction des affaires indiennes, qui transmettent les réponses. Nous trouvons dans nos rapports un exemple de ce genre de circuit fermé:
Dans un cas, un homme illettré, d'âge moyen, demanda à sa fille de douze ans d'écrire au premier ministre pour se plaindre des conditions de vie de sa réserve et demander qu'on lui envoie un livre expliquant les dispositions de la Loi sur les Indiens, afin qu'il connaisse ses droits. (Ceci n'est pas textuel.) Le bureau du premier ministre lui répondit en des termes très techniques, lui disant de s'adresser au bureau local de l'agence et lui envoya un livre - un exemplaire courant de la Loi sur les Indiens. Il me parla de sa lettre et me montra la réponse, mais il était incapable d'exprimer ce qui n'allait pas. Je pense qu'il se croyait personnellement en faute, si lui-même ou sa fille ne pouvaient comprendre. . . Plus tard, à une réunion du conseil de bande (à laquelle l'homme n'assistait pas), le surintendant adjoint dit aux conseillers "Je vais vous lire quelque chose de drôle". . . Puis il lut la lettre originale. . . et la réponse.
Beaucoup d'Indiens semblent croire que la possession et la compréhension des documents sont une source de pouvoir quand ils traitent avec des organismes extérieurs. Ceci s'applique non seulement aux traités et aux livres des règlements, mais aussi aux documents qui contiennent des renseignements sur une variété de sujets et qui proviennent du bureau principal d'Ottawa. Un enquêteur fait observer que dans une des réserves étudiées
. . . .un homme intelligent et actif cherche à établir une organisation inter- bandes. Selon lui, la principale fonction de l'organisation sera de recueillir et d'interpréter la "lettre circulaire" ou les bulletins administratifs distribués par la Direction des affaires indiennes, parce qu'il attribue le peu de succès obtenu en traitant avec la Direction des affaires indiennes à une connaissance insuffisante de la méthode à suivre. Il espère que quelques jeunes Indiens, maintenant inscrits à l'école secondaire, étudieront ces lettres et les conserveront.
Nos rapports pourraient illustrer davantage l'importance capitale des communications en ce qui concerne l'étude de l'administration locale et de l'autodétermination des bandes indiennes; nous croyons toutefois avoir présenté assez de faits pour convaincre le lecteur que l'autodétermination, chez les Indiens, n'est pas une simple question de choisir et de former certaines personnes qui assumeront le leadership, ou d'obtenir un appui pour celles qui ont déjà assumé ce rôle. Nous reviendrons sur ce sujet dans le résumé du présent chapitre. Plusieurs des points que nous avons soulevés en ce qui a trait à l'obtention et au traitement des renseignements devant éventuellement servir de données aux conseils de bande, s'appliquent aussi bien à la seconde phase du processus de l'auto-détermination, c'est- à-dire la recherche des solutions. Comme le démontre notre échantillonnage, on retrouve, dans presque toutes les bandes, à quelques exceptions près, un certain nombre de thèmes et de modèles, qui valent d'être notés. Citons ici deux de ces exceptions: d'abord la tendance à recourir aux personnes qui exercent une influence locale, afin d'obtenir des conseils sur les diverses solutions de rechange, puis le nombre restreint de sources extérieures de consultation auxquelles les conseils font appel quand ils traitent des questions qu'ils jugent problématiques. Après avoir traité brièvement de ces deux modèles, nous étudierons la tendance croissante que manifestent certaines bandes à consulter délibérément des sources étrangères au réseau conventionnel formé de la Direction des affaires indiennes et du conseil de bande.
Il va sans dire que la source de direction et de consultation recherchée est subordonnée à la nature des grands problèmes à régler. Par exemple, si l'on croit que le conseil de bande trouvera des solutions sur le plan socio-émotionnel, les différends entre individus et clans, les écarts de conduite, les difficultés d'ordre social et les autres problèmes de ce genre seront sans doute soumis aux experts locaux compétents en la matière. Il peut s'agir de personnes influentes appartenant au réseau occulte des relations sociales, ou de personnes très estimées (même si elles n'ont pas de prestige) et qui font vraiment partie de la bande, comme les chefs héréditaires. Afin de régler ces questions, on pourra aussi demander les conseils d'un missionnaire ou d'une autre personne non-indienne qui connaît bien la collectivité, mais la chose se fera de façon non-officielle. Parfois le conseil de bande fera appel à la Direction des affaires indiennes, en suivant les voies officielles, afin de résoudre des problèmes de relations humaines. Selon notre enquête, trois conseils de bande qui voulaient mettre fin à des troubles du comportement, ont officiellement cherché à obtenir de l'aide, en demandant un meilleur régime de surveillance. Cependant, plusieurs bandes considèrent que ces problèmes sont d'ordre intérieur et doivent être réglés par l'entremise de l'organisation communautaire non officielle, qui compte des personnes très influentes. Quand il s'agit de problèmes moins personnels et moins techniques, de questions d'adaptation que les étrangers appelleraient des problèmes économiques et politiques, on recherchera probablement les conseils d'une personne influente qui a acquis l'expérience voulue en dehors de la collectivité. Nos enquêteurs ont relevé maints cas de personnes qui, sans faire partie du conseil et sans être reconnues comme experts des questions socioémotionnelles, ont cependant beaucoup d'influence, en qualité de conseillers dans les coulisses, lorsqu'il s'agit de location des terres ou des droits sur les ressources, de la rentabilité de projets commerciaux, des moyens de hâter des décisions; en un mot elles dirigent tout en sous-main. Comme nous l'avons déjà dit dans un chapitre précédent, ces personnes influentes sont vraisemblablement cosmopolites; ce sont souvent des immigrants ou des descendants d'immigrants qui, dans un sens, n'ont pas le droit de se prononcer sur les questions socio-émotionnelles d'ordre intérieur, mais qu'on croit capables d'aider la bande à faire face aux changements apportés par le temps. En dehors des personnes influentes de la localité, la principale source de consultation à laquelle les conseils de bande peuvent s'adresser en vue de régler les problèmes d'adaptation est, comme l'on pouvait s'y attendre, la Direction des affaires indiennes. Le fonctionnaire de l'agence de la Direction des affaires indiennes tend à contrôler étroitement l'acheminement vers la bande des suggestions de solutions. Dans certains cas, les solutions proposées émanent du fonctionnaire lui-même, mais le plus souvent, ces solutions sont soumises à un programme, en ce sens que le fonctionnaire ne fait que transmettre les solutions proposées par ses supérieurs. La Direction emploie des spécialistes, qui conçoivent les solutions et se tiennent en contact avec des spécialistes des autres services du gouvernement, des entreprises commerciales, des universités, et le reste. Cependant, il est rare que le conseil de bande soit lui-même en relation directe avec ces sources d'idées menant à des solutions. Les idées sont soumises à la filière hiérarchique, si bien qu'elles n'arrivent à l'agent que sous une forme fixe ou atténuée. Lui-même leur apporte de nouvelles transformations et les transmet au conseil sous la forme d'une seule suggestion: vous devriez adopter le régime électif; vous ne devriez pas louer vos droits sur le bois; vous ne devriez pas adopter une politique qui oblige les gens à travailler pour obtenir des secours; vous devriez accepter de déplacer votre collectivité trente milles plus loin, là où le sol est plus fertile, et le reste. Comme la Direction des affaires indiennes est intéressée à la solution choisie, on peut comprendre qu'elle favorise fortement une solution plutôt qu'une autre. Notre enquête révèle que, dans certaines localités, on est porté à ne pas tenir compte des conseils donnés par la Direction des affaires indiennes et à chercher ailleurs des suggestions qui permettront de résoudre les problèmes. Cette tendance s'est manifestée par l'emploi d'avocats indépendants, qui conseillent les bandes sur les questions d'ordre juridique.
Au cours des dernières années, certaines bandes se sont alliées à des syndicats et à des fédérations coopératives, dont elles suivent les conseils; elles ont engagé leurs propres conseillers économiques, qui étudient la rentabilité de leurs réserves; elles ont accepté l'aide d'organisations, comme l'Association des Indiens et des Esquimaux, qui agissent comme conseillers économiques. Étant donné que les gouvernements territoriaux et provinciaux partagent de plus en plus de responsabilité avec le gouvernement fédéral dans la direction des affaires indiennes, on prévoit qu'on pourra s'adresser à de plus nombreuses sources de consultation, en vue de mieux se renseigner sur les diverses possibilités, surtout lorsque les projets de développement communautaire sont prospères. Ceci ne veut pas dire que les solutions proposées seront meilleures ou plus à point que si elles émanent de la Direction des affaires indiennes. Nous avons noté le cas de deux bandes qui ont adopté les conseils d'experts en économie non attachés à la Direction des affaires indiennes; or, ces conseils se sont révélés incorrects en fonction des buts économiques déterminés par les Indiens eux-mêmes. Dans les deux cas, les conseils du gouvernement, dont on n'a pas tenu compte, auraient été plus efficaces pour atteindre ces buts. Nous ne cherchons pas ici à souligner l'exactitude ou l'inexactitude des solutions proposées, mais plutôt le fait que les conseils de bande ont pris l'initiative de demander des conseils. Les bandes qui possèdent des ressources, sortent du système unilatéral d'acheminement d'information qui les relie à la Direction des affaires indiennes et s'allient à d'autres organismes aptes à résoudre les problèmes. Les bandes qui adoptent cette nouvelle attitude, établissent des liens avec des sections de la structure institutionnelle de la société canadienne dont elles ont été exclues jusqu'à présent, sauf indirectement par l'entremise de la Direction des affaires indiennes ou par leur participation inconsciente comme sujets de recherche. Afin de situer ce dernier point, considérons les Indiens comme objets et bénéficiaires des recherches entreprises dans le but d'améliorer leur sort. Souvent les objets de la recherche, qui en sont aussi les bénéficiaires, utilisent directement les résultats. Prenons, par exemple, la recherche médicale. Une personne qui, comme patient, est l'objet d'une telle recherche, devrait en bénéficier, ou du moins elle peut espérer que ses semblables en profiteront, et en même temps elle apprend les résultats en lisant des résumés d'articles dans les journaux ou les périodiques, ou bien, elle est renseignée par les chercheurs qui s'intéressent à son cas. De la même façon, les administrateurs lisent des études sur l'administration; les spécialistes prennent connaissance des études sur leurs propres normes de recrutement, sur la valeur du marché, l'orientation de la recherche, et le reste. ils sont à la fois les objets, les utilisateurs et, peut-être, les bénéficiaires de la recherche. d'autre part, les Indiens sont les objets de la recherche et espèrent en être les bénéficiaires, mais on ne leur donne à peu près aucun renseignement sous forme de résumé d'articles ou sous toute autre forme, de sorte qu'on ne peut vraiment pas les considérer comme utilisateurs des résultats de la recherche. La tendance, que manifestent les conseils de bande à commander eux-mêmes les recherches à faire en vue de résoudre les problèmes, est un indice de l'évolution de la structure sociale dans certaines bandes. Nous présentons une dernière remarque sur la gamme des services accessibles aux bandes indiennes. Plusieurs organismes gouvernementaux, comme les bureaux du développement régional, l'ARDA et la Société centrale d'hypothèques et de logement, ont institué des recherches, tenu des consultations et offert d'autres services en vue d'aider les personnes dans le besoin à résoudre leurs problèmes locaux ou régionaux. Dans la première partie du présent rapport, nous avons étudié à fond toute la question de l'accessibilité de ces services aux Indiens; il n'est donc pas nécessaire de nous étendre ici sur les questions d'exclusion, de coordination et de double emploi. Dans le contexte actuel, nous désirons simplement signaler l'absence générale de communication entre les conseils de bande et ces organismes, même si les programmes mis en oeuvre par ces organismes sont ceux-là mêmes dont les Indiens ont le plus besoin. d'après nos rapports, il est rare que l'existence de ces services soit connue des membres des conseils de bande.
Il est une autre source de renseignements dont les bandes ne tirent que rarement profit, soit l'information sur les façons différentes dont d'autres bandes ont résolu des problèmes analogues. l'une des répercussions imprévues de la création et du patronage des conseils de bande a été de faire se refermer sur eux-mêmes ces conseils comprenant, pour la plupart, un bien petit nombre de membres. l'établissement des conseils consultatifs régionaux, étudié ailleurs dans le présent rapport, devrait contribuer à rectifier cette situation narcissique et permettre aux bandes de se renseigner sur l'activité des autres bandes, en montrant les problèmes locaux sous leur vrai jour et en augmentant le nombre d'idées accessibles à chaque bande particulière. Les organisations volontaires, à l'échelle nationale, régionale et locale et, en particulier celles qui comptent uniquement, ou presque uniquement, des membres indiens, pourraient aussi s'occuper de diffuser des renseignements. Nous avons déjà dit comment ces associations pourraient remplir un rôle important dans le domaine socioémotionnel de l'identité, de la sociabilité et de la solidarité, qui s'étend au-delà de la collectivité, et comment elles pourraient devenir des groupes de pression sur le plan politique. Cependant, nos données laissent croire qu'elles jouent un rôle négligeable dans la sphère de l'adaptation économique. En résumé, disons que, face à leurs problèmes, les conseils de bande ont accès à un volume très restreint et très canalisé d'information, alors que tout organisme chargé de prendre des décisions a absolument besoin de cette information. Dans notre paradigme par trop simplifié, la dernière phase est celle du choix effectif entre plusieurs solutions. Possédant les données du problème et connaissant la valeur des solutions possibles, comment les conseils de bande arrivent-ils à un choix? Nous n'avons ni la compétence ni les renseignements voulus pour répondre aux questions relatives aux traits de personnalité qui déterminent les normes du choix individuel ou des choix faits dans les coulisses.
Notre enquête révèle que plusieurs conseillers acceptent certaines décisions sans y porter un grand intérêt, soit parce que les questions en cause les laissent indifférents, soit qu'ils n'ont pas les renseignements qui leur permettraient de porter un jugement calculé. Lorsque tous ou presque tous les membres du conseil décident ainsi, nous avons un conseil qui se contente d'approuver les décisions prises par d'autres, comme on l'a vu dans un chapitre précédent. Le rôle du conseil dans la prise des décisions se limite alors à celui d'extérieur; il ne fait qu'accorder une sanction officielle aux choix arrêtés par d'autres personnes. Evidemment, le fait de donner ou de refuser cette sanction est aussi une question de choix; aussi, avant de nous prononcer sur ce qui détermine le choix à ce niveau, il nous faudrait beaucoup plus de renseignements que nous n'en avons.
En ce qui concerne les deux premières phases du processus de l'autodétermination, l'enquêteur peut au moins déterminer avec une certaine exactitude la somme des renseignements dont chacun dispose, et dans quelle mesure on est au courant des problèmes et des solutions; il peut ensuite analyser ces deux phases à la lumière des renseignements obtenus. La dernière phase est beaucoup plus difficile à analyser, car les données qui s'y rapportent sont plus sujettes à des interprétations variées que celles des deux premières phases. Beaucoup de données sur le choix effectif ne sont que des déclarations concernant des motifs imputés, qui sont difficiles à prouver, et des déclarations, souvent ambiguës et contradictoires, concernant la personne qui fait vraiment le choix.
Pour illustrer cette difficulté, voyons quelques cas soumis à notre enquêteur. En plusieurs endroits, des informateurs lui disent que le conseil ou certains conseillers décident toujours en fonction de leur intérêt personnel, ou des intérêts de leur parenté, de leur section ou de leur coterie. Dans un ou deux cas, on a pu conclure que cette accusation est juste, parce que le choix qui a été fait révèle clairement le préjugé ou parce que le conseiller en cause admet lui- même qu'il a des préjugés. Cependant, dans la majorité des cas, les conseillers ne l'admettent pas, de sorte que l'étude des décisions qu'ils ont prises, ne permet pas de conclure avec certitude.
Les données que nous possédons sur plusieurs bandes, nous permettent à peine d'affirmer que le choix d'une solution suivra la coutume s'il n'y a pas assez de renseignements
pour appuyer un jugement, et que l'observateur étranger ne comprendra le choix que s'il le considère comme résultant d'un équilibre entre les intérêts et les pressions. Par exemple, si la solidarité de la bande est d'un intérêt primordial, on choisira la solution qui nuira le moins à cette solidarité. Lorsque l'intérêt économique est plus important, on choisira la solution la plus susceptible de rapporter à la bande des avantages de cet ordre. Lorsque les dirigeants sont soumis à des pressions contraires, ils s'abstiendront probablement de faire un choix, ou ils choisiront la solution qui leur conservera les bonnes grâces de la partie de la population à laquelle ils s'identifient ou de celle qui leur accorde son appui. On peut formuler simplement la règle générale en ce qui concerne la dernière phase du processus d'auto-détermination, chez bon nombre de nos bandes, en disant que le chois d'une solution est fonction de l'opinion publique de la bande et des intérêts des sous-groupes qu'elles représente, compte tenu de la façon dont les dirigeants les voient. Nous savons que chaque bande a une façon particulière d'examiner les solutions possibles et de remplir les formalités consécutives à une décision, c'est-à-dire, la rendre publique et officielle. Le processus soumis à un programme sévère ne demande pas beaucoup de discussion, car nombreux sont ceux qui connaissent d'avance la décision qui sera prise. Dans le cas contraire, si les bandes désirent fortement obtenir l'unanimité, les Indiens sont très capables d'accomplir dans les coulisses le travail qui assurera l'unanimité, avant que le conseil ne prenne une décision officielle. d'après nos rapports, on pourrait énumérer plusieurs genres de décisions publiques et officielles, mais nos données sur le sujet sont trop superficielles pour nous permettre de généraliser ou de déchiffrer les corrélations qui existent entre ces nombreux genres.
Des extraits tirés de nos rapports concernant la bande des Dokis illustrent le problème qu'affronte l'observateur, lorsqu'il cherche à identifier qui décide en dernier ressort d'une question donnée et à évaluer le poids de l'opinion publique. Après avoir décrit les modes d'acheminement de l'information du chef à la bande, l'enquêteur ajoute:
Le filtrage (par ré-interprétation) de ces renseignements a pour effet de déterminer qui aura vraiment le sentiment d'avoir pris une décision sur une question particulière. d'une part, le chef est d'avis que c'est vraiment lui qui prend toutes les décisions dans la réserve. Le "problème", selon lui, c'est que personne ne critique ses idées et qu'aucun membre n'a d'opinions personnelles. d'autre part, les membres de la bande croient que ce sont eux qui prennent les décisions, parce que, comme groupe, ils peuvent rejeter toute décision en tenant un scrutin. Un individu a résumé le sentiment de plusieurs membres de la bande en disant: "Ce n'est vraiment pas important d'être chef ou conseiller, parce qu'ils se contentent de tenir les réunions, et c'est nous qui décidons ce qui se passe ici". Il semble que ces deux prétentions soient partiellement vraies, mais pour bien comprendre ceci, il faut avoir une idée plus précise de la politique de la bande... car, si rudimentaire soit-elle, c'est elle qui conditionne toutes les décisions qui sont prises aux réunions.
l'enquêteur donne ensuite les grandes lignes de la politique fondamentale, formulée et mise en pratique il y a environ dix ans. En résumé, il s'agit d'une politique d'exploitation contrôlée du bois, de ha pâte à papier, de la pêche et des guides, afin de fournir assez de travail pour tenir les membres occupés pendant toute l'année. Au début, cette politique a été critiquée, mais son succès a éliminé les critiques, de sorte que, à l'heure actuelle, on discute surtout des différences d'opinion quant aux moyens. Nous avons donc une situation où la prise de décisions suit un programme rigide dans ses trois phases. d'après nos rapports,
. . . à Dokis, la bande ne tient presque jamais de scrutin général sur les questions qui se présentent. Cela tient à ce que la plupart des questions ont déjà été réglées avec succès par le passé... il existe un précédent.
Comme cette bande est petite, homogène, cohérente et bien nantie, on peut supposer qu'il est plus facile d'y faire l'unanimité que dans les autres bandes, qui n'ont pas de politique aussi définie. Toutefois, même ici, on peut difficilement faire des déclarations concluantes sur la dernière phase de l'autodétermination en ce qui concerne le chef et le conseil de bande. Il est bon de ne pas l'oublier quand on évalue les cours de leadership destinés à la population au niveau local. Ces cours proposent comme modèles deux types de dirigeants. l'un est le catalyseur-intégrateur qui s'occupe d'obtenir une participation à peu prés générale à l'activité et aux discussions, initiant les gens aux formes des organisations officielles et les habituant à exprimer librement leurs opinions sur la nature des problèmes et les moyens de les résoudre, tout en veillant à la solidarité des membres de son groupe et en satisfaisant à leurs besoins socioémotionnels. Dans plusieurs localités, les Indiens ont les aptitudes nécessaires pour régler les problèmes socio-émotionnels et, comme nous l'avons déjà vu, savent s'organiser au niveau local quand le besoin s'en fait sentir. Ce type de dirigeant ne requiert qu'un minimum de formation théorique. l'autre type de dirigeant ressemble à l'image populaire de l'administrateur au sein d'une société ou du gouvernement, qui sait exactement ce qu'il veut, peut diriger des réunions, suivre les règles de procédure, voire risquer son prestige ou son poste pour appuyer une politique. c'est le genre d'administrateur qu'on rencontre dans la société environnante et dont on trouve peu d'exemples dans les collectivités indiennes, tout comme dans n'importe quelle collectivité de peu d'importance.
Nous avons tenté de démontrer que, pour améliorer le processus de l'autodétermination au niveau local, il ne s'agit pas nécessairement de former des administrateurs indiens du type commercial ou financier, ou même des catalyseurs et des intégrateurs, bien qu'aux niveaux plus élevés de l'organisation, niveaux national et régional, on ait grandement besoin d'indiens de ce calibre. Nous avons soutenu que le besoin le plus pressant, au niveau local, consiste à élargir les vues de la population de la bande, en l'exposant à des expériences qui dépassent la scène strictement locale et en s'assurant qu'elle puisse obtenir les renseignements, transformables en connaissances, qui peuvent alimenter le processus de l'autodétermination. Lorsque ces renseignements sont accessibles et que la bande exerce un contrôle réel, et non pas fictif, sur les dépenses importantes, les faits recueillis prouvent que les conseils de bande viables n'ont pas de difficulté à recruter des "dirigeants" qualifiés.